Chaque année, ils sont scrutés à la loupe et leurs résultats repris à l'envi dans les médias. Depuis leur lancement, il y a deux décennies, les classements internationaux, parmi lesquels figurent notamment Shanghai, THE, FT, ou encore QS et Leiden sont devenus incontournables dans l'enseignement supérieur mondial.
Affichant des informations qualitatives et quantitatives clé (productivité scientifique, taux de placement des diplômés, nombre d'anciens élèves ayant reçu des prix) ils donnent une visibilité dont aucun établissement qui aspire à rayonner à l'échelle internationale n'envisagerait actuellement de se passer.
"Un élément objectif d'évaluation de la qualité des établissements"
"Il serait faux, voire hypocrite de dire qu'ils ne sont pas importants. Toute la communauté de nos écoles – diplômés, étudiants, parents, prescripteurs et prospects – a les yeux rivés sur ces classements, qu'elle considère souvent comme le meilleur élément objectif d'évaluation de la qualité des établissements. À ce titre-là, ils comptent forcément aussi énormément pour nous", affirme Claire Bergery-Noël, directrice du cabinet du directeur général de l'Edhec BS.
S'ils comptent autant, c'est qu'ils représentent, pour l'Edhec comme pour les autres établissements français, le graal pour être visibles hors de nos frontières.
Nous voulons avoir une grande réputation à l'international et, à cette fin, il nous faut être bien classé. (A. Guilhon, Skema BS)
"Si on n'était pas dans ces classements, on n'existerait tout simplement qu'en local. Or, ça n'est pas notre stratégie. Au contraire, nous voulons avoir une grande réputation à l'international et, à cette fin, il nous faut être bien classé", avoue Alice Guilhon, directrice de Skema BS.
Une dynamique vertueuse d'attractivité
En France, grandes écoles et universités sont de plus en plus soucieuses de leur positionnement dans ces classements. L'impact le plus recherché : une plus-value en termes d'image permettant d'attirer des étudiants et enseignants-chercheurs de qualité du monde entier.
"L'objectif est de former au mieux nos étudiants en leur proposant des formations d'excellence. Or, pour bien les former, il faut être à la pointe de la technologie. Et pour cela disposer de laboratoires de recherche pertinents et compétents qui publient dans les meilleures revues. Autant de critères qui permettent ensuite de grimper dans les classements. En somme, c'est un cercle très vertueux", observe Christophe Lerouge, directeur d'IMT Atlantique.
Un cercle qui s'avère également vertueux quand, à la faveur de nouveaux critères, certains classements participent à faire progresser les écoles en interne. Ainsi, à Skema BS, l'introduction dans le FT de questions sur l'équilibre homme/femme, l'impact carbone ou la diversité dans le corps professoral a été l'occasion d'initier des changements positifs dans ce sens.
"Ce sont des boucles d'amélioration continue, essentielles pour alimenter nos politiques de diversité et de développement durable. De ce point de vue-là, les classements ont un effet très bénéfique pour nous. Même si, au bout du compte, ce ne sont pas eux qui dictent nos décisions", abonde Alice Guilhon.
Des classements imparfaits avec des biais
Les classements font toutefois l'objet de critiques régulières. Sont pointés des biais dans les indicateurs de performance, qui ne permettraient pas de prendre en compte la diversité des missions des établissements.
"On peut en effet regretter que certains classements soient très normatifs, confirme Claire Bergery-Noël. Quand on a des stratégies très disruptives, comme c'est le cas dans notre école, cette spécificité n'est pas prise en compte." Aussi, en marge des classements, l'école déploie-t-elle beaucoup d'énergie pour faire reconnaître ses spécificités auprès de ses parties prenantes.
On sait tous que les classements sont à prendre avec des pincettes car ce sont des modèles imparfaits. (J.-F. Peyrat, Université Paris-Saclay)
Une préoccupation moins prégnante pour l'université de Paris-Saclay, qui faisait partie en 2022 du top 20 du très sélect classement de Shanghai. N'en demeure pas moins la prudence, de mise dans la plupart des établissements français. "On sait tous que les classements sont à prendre avec des pincettes car ce sont des modèles imparfaits. À ce titre, ils ne peuvent et ne doivent pas être l'alpha et l'omega du développement d'un établissement", relativise Jean-François Peyrat, son vice-président numérique et pilotage.
Vers une décrue de la vague des classements ?
Parmi les autres critiques récurrentes : l'instabilité des critères, mais aussi l'énergie consacrée et le coût non négligeable en termes de personnels et de temps passé à documenter les réponses.
Certains établissements font le choix de mobiliser toute l'année plusieurs salariés, chargés de remplir les questionnaires, de faire le lien avec les services et de valoriser informations collectées. "À partir du moment où on y va, autant faire les choses bien, estime Bernard Ramanantsoa, ancien directeur général et professeur émérite d'HEC. Les questions posées peuvent être assez compliquées à comprendre et il faut avoir un certain savoir-faire pour y répondre."
Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Jusqu'où cette vague de classements peut-elle déferler ? En 2022, trois grandes universités américaines, dont Harvard et Yale, annonçaient quitter le classement annuel des meilleures facultés de droit du magazine US News & World Report.
En cause : une méthodologie qui dissuaderait notamment des étudiants de postuler à cause des frais de scolarité trop élevés. Un mouvement qui, s'il prenait de l'ampleur, pourrait annoncer la mort des classements ?
"Aujourd'hui, ce sont eux qui dictent la loi en nous imposant des questionnaires à longueur de temps, mais je pense qu'on en a besoin car ce sont des indicateurs de bonne santé de nos établissements, estime Alice Guilhon. Il faut juste qu'on se mette d'accord avec les classeurs sur ce qui est acceptable ou pas."
Trois questions à Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
Quel impact ont les classements internationaux sur les réformes gouvernementales ?
Je ne pense pas qu'on puisse parler d'impact. En revanche, les réformes menées depuis 2017, comme le choix d'investir dans la recherche sur le temps long avec la loi de programmation de la recherche qui permet une augmentation des budgets des établissements et des laboratoires de recherche, la création de chaires de professeurs junior ainsi que la valorisation du doctorat, produisent des effets, y compris sur le bon positionnement de nos établissements.
Participent-ils à redéfinir le paysage du supérieur ?
Il est clair que les établissements français enregistrent de très bonnes performances aussi grâce à une structuration plus proche du modèle international, via notamment les programmes d'investissements d'avenir (PIA), les initiatives d'excellence (IdEx) et les Isite. Cela signifie-t-il qu'il faut redéfinir le paysage pour conformer chacun à un moule unique ? Non au contraire ! L'une des richesses du paysage français est la diversité de son offre. Et le rôle de mon ministère est d'offrir à chacun les leviers de son action.
Quels sont les points forts de la France ?
Dans le classement général de Shanghai 2022, la France occupait, pour la 3e année consécutive, la 3e place mondiale sur la base du nombre d'établissements présents dans le Top 20. Mais c'est surtout en mathématiques que la France s'illustre le plus, avec 36 établissements nationaux classés dans cette discipline, soit 7,2% du nombre total d'institutions dans le palmarès. De même, le dernier Leiden a souligné des positions remarquables d'établissements français pour la part des femmes parmi les auteures – un enjeu auquel je suis très attachée – ou encore le degré de publications en collaboration.