Étudiants et alcool : les cinq clés d'une prévention efficace

Julia Zimmerlich Publié le
Étudiants et alcool : les cinq clés d'une prévention efficace
L'université de Bordeaux a fait le choix de la formation par les pairs avec la mise en place d'une équipe de dix-huit étudiants relais-santé (ERS), répartis en trois équipes : bien-être, sexualité et soirées étudiantes. // ©  Université de Bordeaux
L'alcool dans les soirées étudiantes est un véritable casse-tête pour les responsables de l'enseignement supérieur, les étudiants trouvant toujours des stratégies de contournement. Pour y remédier, certaines écoles et universités innovent pour sensibiliser leurs étudiants. Avec un credo : pour changer les habitudes, mieux vaut communiquer toute l'année.

Noyé dans un étang. Voilà comment s'est terminée la soirée du week-end d'intégration d'un étudiant en deuxième année de médecine à l'université de Lille 2, la nuit du 17 au 18 octobre 2015. Un camping réservé pour deux jours, une boîte de nuit privatisée, des alcools forts et 150 étudiants participants... Un cocktail bien connu des chefs d'établissements et un scénario redouté par tous.

Dix ans après la mort d'un étudiant de Centrale Paris après une fête sur le campus et six ans après le vote de la loi "anti open-bars", certains établissements, écoles de commerce en tête, ont pris le problème de l'alcoolisation de leurs étudiants à bras-le-corps.

#1 Former son BDE

Former le Bureau des élèves est devenu le minimum syndical de la prévention dans les grandes écoles. Dans tous les établissements, la préparation des soirées organisées sur le campus fait l'objet d'un suivi particulier.

Un responsable de l'administration ou de la vie étudiante accompagne systématiquement le BDE en amont, en s'appuyant sur l'un des nombreux guides d'organisation de soirées, comme celui du BNEI (Bureau national des élèves ingénieurs). À l'Essec, tous les étudiants organisateurs d'événements sont formés sur une journée par une addictologue et un avocat spécialisé dans le droit de la responsabilité.

L'université de Bordeaux a fait le choix de la formation par les pairs avec la mise en place d'une équipe de dix-huit étudiants relais-santé (ERS), répartis en trois équipes : bien-être, sexualité et soirées étudiantes. Huit sont chargés de sensibiliser les associations à une démarche de réduction des risques et de les accompagner dans la mise en œuvre de la charte "soirées étudiantes exemplaires" impulsée par le préfet de Gironde en 2010.

"Ils rencontrent les associations, analysent avec eux les actions à mettre en place : organiser un système de navettes, prévoir un centre de premier secours, aménager un lieu plus calme pendant la soirée, etc.", détaille Lucie Guignot, chargée de projet prévention de l'université. À Bordeaux, les étudiants relais santé existent depuis 2008 et les étudiants sont rémunérés au Smic par des contrats de vacation de 130 heures.

D'autres universités ont mis en place des équipes similaires, notamment à Angers, Tours, Grenoble et Montpellier. "Même si nous renouvelons l'équipe chaque année, en essayant de représenter toutes les filières et tous les âges, leur réputation est stabilisée, complète la chargée de projet. Au début, ils étaient perçus comme les petits gendarmes de l'administration, mais, aujourd'hui, ce sont les associations qui viennent taper à leur porte."

#2 Informer en mode interactif

Certaines écoles proposent toujours la formule classique du grand amphi qui rassemble tous les étudiants de première année face à un addictologue, pour une efficacité... limitée. Pour favoriser les interactions, l'Essec a sollicité cette année la DDSP (direction départementale de la sécurité publique) et l'association de prévention Avenir Santé pour une journée d'animations sur le campus. Trois types d'activités étaient proposés : un "freinage d'urgence", piloté par des policiers de la DDSP, un parcours de simulation d'ébriété et un test d'évaluation des pratiques addictives. 300 élèves en tout ont participé aux ateliers.

Depuis quatre ans, les Mines de Douai font appel à la compagnie Entrées de Jeu pour un débat théâtral participatif, "Jusqu'à plus soif", pour un coût de 1.600 euros. Les comédiens mettent en scène des situations types : la pression du groupe qui pousse à boire, les comportements agressifs, une étudiante qui a trop bu et qui se retrouve dans le lit d'un garçon...

À la fin de chaque saynète, les étudiants sont invités à rejouer des passages afin de proposer des solutions plus responsables. La participation est obligatoire pour les 200 élèves de première année. "Le message passe bien, ça les pousse à réfléchir. Mais les effets sont de courte de durée... Certains me disent qu'ils retombent très vite dans les mêmes travers", reconnaît Kader Amara, le secrétaire général de l'école.

Depuis quatre ans, les Mines de Douai font appel à la compagnie Entrées de Jeu pour un débat théâtral participatif

#3 Communiquer toute l'année

Prolonger les effets de la journée de prévention de rentrée, c'est tout l'enjeu des chefs d'établissements. L'université de Bordeaux propose ainsi une campagne d'affichage bien pensée et des animations ludiques qui font office de piqûre de rappel tout au long de l'année.

Depuis deux ans, un photomaton gratuit et illimité est également disponible sur le campus. L'idée : se mettre en scène avec ses amis sur le thème "Comment tu rentres ce soir ?" Sur chaque photo imprimée, un encart rappelle les coordonnées des étudiants relais santé et renvoi vers leplanb.info, un site de prévention des addictions pour les étudiants de Gironde, en ligne depuis la rentrée 2010. Sur le site, un module interactif invite l'internaute à "remplir" un verre pour apprendre à bien doser. Dans la continuité de ce dispositif, les ERS de Bordeaux ont conçu des verres réutilisables pour les soirées avec les doses à ne pas dépasser pour chaque type d'alcool.

À Kedge, six jeunes ont été recrutés en service civique, notamment pour intervenir lors des grandes soirées étudiantes avec un stand de prévention et aller à la rencontre des jeunes dans les espaces fumeurs.

#4 Changer les habitudes

Des initiatives qui ont toutes pour but de changer les habitudes. Penser à boire de l'eau, par exemple. Cela paraît fou, mais "les étudiants n'osent pas en demander au bar", raconte Lucie Guignot. Pendant les soirées, des affiches signalent qu'on sert de l'eau à volonté. "On travaille aussi sur la tarification des softs, qui doivent être vraiment moins chers que le verre de bière et on pousse les associations à proposer des cocktails sans alcool qui donnent envie".

À Polytech Nantes, les capitaines de soirées boivent des softs gratuitement toute la soirée et gagnent des "polypoints". "Pour développer les comportements civiques et citoyens, nous demandons à nos étudiants d'acquérir 10 polypoints dans l'année", détaille Antoine Gouillet, enseignant-chercheur à Polytech Nantes et chargé de mission pour la vie étudiante.

#5 axer sur le bien-être

Au lieu d'aborder le problème de l'alcool de manière frontale, certains établissements font le choix de le traiter via un dispositif plus large sur le bien-être. C'est le cas de Kedge, qui a lancé le Wellness sur ses trois campus de Bordeaux, Marseille et Toulon. Toute l'année, un réseau d'écoutants, une dizaine de collaborateurs volontaires par campus chapeautés par une psychologue, apporte son soutien aux étudiants qui en expriment le besoin.

Les thèmes abordés sont larges : surcharge de travail, baisse de motivation, difficultés financières ou d'organisation, sentiment d'isolement. "Dans ce cadre très personnalisé, la question de l'alcoolisation et de la fréquentation systématique des soirées peut être abordée, au cas par cas, détaille Martine Mordant, directrice générale adjointe. Avec ce dispositif nous leur faisons passer le message suivant : prenez soin de vous, nous sommes là pour vous, soyez épanouis et votre parcours scolaire sera d'autant plus riche."

À l'Iéseg, l'accompagnement se fait par les pairs et c'est un module de cours optionnel crédité de 2 points. Le dispositif, baptisé Manager in Vivo, porte sur développement de compétences managériales avec une partie consacrée aux addictions et à l'alcool. Chaque année, 60 étudiants de master prennent chacun en charge un groupe de 10 étudiants de première année, qu'ils suivent sur un semestre.

La question de l'alcool est abordée lors d'un atelier autour d'une mallette pédagogique, le Kottabos. Le jeu, mis au point par l'ANPAA (Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) 59, propose neuf activités ludiques qui simulent des situations de prise d'alcool et les risques immédiats qui en découlent. Coût de la mallette : 3.800 euros.

"Il est très difficile de mesurer l'impact de cet atelier sur la consommation de nos étudiants, analyse Hassan El Asraoui, professeur associé d'économie, en charge de la vie étudiante à l'Iéseg. D'après les retours que nous avons, ils ont une approche différente de l'alcool. Plus tangiblement, depuis 2009, il y a moins de dégradations pendant les événements festifs, moins de problèmes signalés par le voisinage (le campus de Lille est en centre-ville) et un taux d'absentéisme très faibles les lendemains de soirée."

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