Lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le supérieur : beaucoup d’initiatives, peu de moyens

Éléonore de Vaumas Publié le
Lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le supérieur : beaucoup d’initiatives, peu de moyens
L'IEP Strasbourg a mené une semaine de prévention sur les violences sexistes et sexuelles auprès des étudiants de première année. // ©  Agnès Millet
Dans l’enseignement supérieur, les plans d’action se multiplient pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), mais beaucoup reste à faire pour améliorer et pérenniser les dispositifs et ainsi mieux prendre en charge les étudiants.

Les chiffres donnent le vertige. Une étudiante sur vingt déclare avoir été victime de viol pendant ses études ; une sur dix, de violence sexuelle (selon l'enquête réalisée par l’Observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes dans l’enseignement supérieur, d'octobre 2020). Au sein des établissements de l’enseignement supérieur, entre enquêtes internes et révélations fracassantes, la prise de conscience est inévitable.

"Il y a encore trois ans, certains directeurs étaient convaincus qu’il n’y avait pas de violences sexistes et sexuelles (VSS) dans leur établissement. Aujourd’hui, ça n’est plus le cas. Tous se félicitent de la libération de la parole. Le problème, c’est qu’il faut pouvoir prendre en charge cette parole, et ça, ça n’est pas encore acquis partout", synthétise Gaëlle Berton, secrétaire générale de l’Observatoire étudiant des violences sexuelles et sexistes.

Des actions de sensibilisation à foison

En revanche, l’obligation pour les établissements du secteur public de se doter ou de renforcer leur cellule d’écoute et de signalement est de son côté acquise. Il s’agit là d’une des 21 mesures du plan national d’action contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) dévoilé en octobre 2021 par le ministère de l’Enseignement supérieur, afin d’inciter les écoles et universités à engager une politique volontariste de prévention et de lutte contre ces violences.

"Les actions proposées sont très nombreuses, même si elles ne sont pas toujours très fonctionnelles. Ce plan aura au moins servi de déclencheur, notamment pour les établissements qui n’avaient rien", remarque Philippe Liotard, président de la CPED (Conférence permanente égalité diversité).

Les actions proposées sont très nombreuses, même si elles ne sont pas toujours très fonctionnelles. (P. Liotard, CPED).

Au menu notamment, des formations en direction des personnels (administratif, accueil, laboratoire, structures de recherche) et les étudiants, des actions de sensibilisation diverses et variées (campagne d’affichage, ateliers, conférence, surveillance en soirées, etc.), la création de réseaux d’écoute et d’accompagnement multi-campus, l’élaboration de contenus de bonnes pratiques, des partenariats avec des organismes spécialisés…

Des dispositifs de lutte contre les VSS au bon vouloir des établissements

Outre la forme que peuvent prendre ces actions, c’est aussi leur mode de gestion qui diffère d’un établissement à un autre. À tel point que le ministère, qui pourtant accompagne, conseille et finance une part importante de ces projets depuis deux ans, a parfois du mal à suivre. "Entre les universités qui disposent d’une cellule d’accueil et d’écoute des victimes depuis plusieurs années et les établissements qui la mettent tout juste en place à la suite de la loi de 2019, c’est difficile d’avoir une vision exhaustive de toutes les pratiques", confirme Julie Guerreiro, chargée de mission égalité et lutte contre les VSS au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

"Cela dépend en fait des besoins de l’établissement, et sur cela nous avons choisi de ne rien imposer. L’essentiel n’est-il pas avant tout que les dispositifs fonctionnent", interroge-t-elle ? Or, c’est là que le bât blesse parfois.

Absence de visibilité des mesures en place

Méconnaissance du dispositif, personnels peu disponibles et étudiants méfiants, décalage entre le signalement et la procédure disciplinaire, absence de suite donnée à une affaire… à mesure de leur mise en œuvre, les limites des dispositifs de lutte contre les VSS apparaissent, là aussi, très variables selon les établissements.

La plus répandue toutefois : l’absence de visibilité. "On sait, de façon assez unanime, que les étudiants sont assez peu au courant de l’existence de ces dispositifs", observe la chargée de mission ministérielle.

Un constat que partage la secrétaire générale de l’Observatoire étudiant des VSS : "Rien que sur le site internet de certains établissements, c’est difficile de trouver l’information, alors qu’il faudrait y accéder d’un simple mot-clé. À quoi bon avoir un dispositif si personne ne le connaît ?"

Une campagne de communication nationale sur le consentement

À cette question, plusieurs solutions possibles. Le ministère, lui, compte agir en lançant prochainement une campagne de communication nationale sur le consentement, en partenariat avec l’association Sexe et consentement. De son côté, la CPED parie sur la mise en réseau de ses chargés de mission Egalité avec différentes instances des établissements (ressources humaines, services de santé universitaires, responsables de composantes) pour penser la stratégie de communication à tous les échelons.

On sait, de façon assez unanime, que les étudiants sont assez peu au courant de l’existence de ces dispositifs. (J. Guerreiro, MESR)

"Il faut continuer de travailler en direction des étudiants, c’est important, parce qu’au niveau des personnels, je trouve que l’information passe relativement bien, note Philippe Liotard. De même, pour les formations, s’il y en a de plus en plus, dont certaines gratuites via le ministère de l'Enseignement supérieur, il y a un enjeu à former aussi tous les étudiants et les gouvernances des établissements. Plus ces dernières auront les connaissances, plus elles seront réceptives et prêtes à y mettre les moyens."

Un financement insuffisant pour garantir la pérennité

Car c’est là que se jouent l’avenir et l’efficacité de ces dispositifs. Si le plan d’action national ministériel, qui prévoit sur cinq ans (de 2021 à 2025) une enveloppe globale de 7 millions répartis via un appel à projets annuel*, permet de renflouer ponctuellement les caisses, ces fonds ne suffisent pas pour le moment à en assurer la pérennité.

Et peu d'établissements - grandes écoles comme universités - parviennent à dégager des moyens spécifiques. Résultat : les directions bricolent avec ce qu’elles ont et les bonnes volontés. "À AgroParisTech, la cellule d’écoute et de signalement n’est tenue que par une seule femme et encore à temps très partiel. Autant dire que c’est très loin d’être suffisant", déplore Morgane Marcille, étudiante de l’école et co-responsable de Cassis (cellule de sensibilisation et d’information sur la sexualité), composée d’une trentaine d’étudiants volontaires.

"Il est clair que les personnes détachées à ces dispositifs le sont très rarement à 100%, confirme Philippe Liotard. Je rêve qu’on puisse embaucher des personnes à temps plein. Il faudrait aussi un VP diversité statutaire qui aurait la responsabilité du dispositif. Aujourd’hui, ils ne sont qu’une vingtaine en France."

Tolérance zéro

Dans la tourmente après la révélation de faits graves, l’école Polytechnique a, quant à elle, opté pour la "tolérance zéro". Pour cela, elle a planché de longs mois, questionnaire en direction des étudiants à l’appui. Bilan de l’opération : le dispositif HDVS (harcèlement, discrimination, violences à caractère sexuel ou sexiste), réorganisé, compte cinq référents bien identifiés grâce à une montée en puissance des actions de sensibilisation.

À cela s’ajoute, entre autres, un élargissement des formations aux responsables associatifs et la réalisation d’un livret de prévention présentant les rôles de chacun et les contacts utiles. "Cela nous a demandé beaucoup de travail, mais je pense que cela a été fructueux pour les élèves. La direction et les étudiants se sont beaucoup impliqués et nous avons vraiment les moyens ; ce qui nous permet d’être toujours en mouvement", se réjouit Marie Bresson, sa déléguée à la diversité.

Des dispositifs communs à plusieurs établissements

Autres bons élèves : à Lyon et Saint-Etienne, un projet de plateforme commune regroupant les universités et les écoles de ces sites est à l’étude. Objectif ? Orienter plus efficacement les signalements vers les cellules des établissements concernés. Parallèlement, plusieurs écoles du plateau de Saclay, dont CentraleSupélec, l’Institut d’optique, l’ENS et AgroParisTech, ont travaillé conjointement à une charte inter-écoles pour encadrer les événements festifs.

Petit à petit, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans le supérieur s’organise, mais quid de l’évaluation des projets à ce jour mis en œuvre ? "On est en train de lancer avec la CPED une enquête auprès de nos 90 adhérents pour faire le point sur ces actions, les résultats et les moyens, en collaboration avec le ministère. Cela nous permettra alors d’avoir une meilleure vision globale", informe son président. Verdict : fin 2023.

*En 2022, l’enveloppe annuelle s'établie à 1,7 million d’euros, dont 800.000 euros pour un appel à projets à destination des établissements et 300.000 euros pour une campagne de financement à destination des associations étudiantes.

Éléonore de Vaumas | Publié le