Mastersbooking.fr : enquête sur le business des "masters"

Camille Stromboni, Aurore Abdoul-Maninroudine - Mis à jour le
Mastersbooking.fr : enquête sur le business des "masters"
Etre ou ne pas être sur Mastersbooking - une plateforme qui promet d'aider les étudiants à intégrer un master - la question fait débat à l'université. // ©  Capture d'écran
Qu’est-ce que Mastersbooking.fr ? Cette plateforme privée, promue par une campagne de pub dans le métro parisien en avril 2016, s’engage à simplifier la vie des étudiants pour intégrer un master. Une promesse qui raisonne étrangement alors que la sélection en master à l’université fait débat. Et qui repose la question de l’utilisation du terme "master".

Les slogans s’affichent sur les murs du métro parisien depuis la mi-avril 2016 : pour "optimiser vos chances d’intégrer un master", simplifiez-vous la vie en passant par Mastersbooking.fr !

"Notre objectif est de faire économiser de l’argent et du temps à l’étudiant", détaille Antoine Biehler, directeur du développement de Mastersbooking.fr. Depuis sa création, il y a un an, "entre 10.000 et 20.000 candidats" se seraient inscrits sur ce site qui permet à l’étudiant de postuler, grâce à un dossier de candidature unique, à plusieurs formations directement sur Mastersbooking.fr. Les établissements s’engagent à donner une réponse sous sept jours.
 
Les trois premières candidatures sont gratuites, puis l’étudiant doit acheter des crédits allant de 19 à 89 euros. La candidature via Mastersbooking.fr n’étant en fait qu’une précandidature : si un étudiant est présélectionné, il intègre ensuite la procédure classique de recrutement de l’établissement visé. L’établissement supérieur reverse lui un pourcentage des frais d’inscription pour chaque étudiant admis chez lui via la plateforme.

Mais où sont les masters ?

"Déposez gratuitement votre candidature à nos programmes master 1, master 2, MBA et mastère spécialisé partout dans le monde", promet la baseline du site. Mais de quelles formations de master parle-t-on ? Loin d’être exhaustive, l’offre proposée apparaît paradoxalement pauvre... en masters.

"La plateforme répertorie plus de 1.000 masters et couvre environ 80% de l’offre de masters", affirme pourtant Antoine Biehler, avant d’ajouter qu’il s’agit en réalité de formations qu’il regroupe dans une catégorie "masters et assimilés". Soit des mastères spécialisés, des masters of science, des MBA et autres formations de niveau bac+4/5. Seuls les cursus des établissements signataires d’un contrat avec Mastersbooking.fr figurent sur le site.

Interrogé par EducPros, le ministère de l’Enseignement supérieur indique que la Dgesip (Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle) étudie "la validité juridique" de l’utilisation du terme master par ce site, comme pour d’autres, tout en rappelant que celle-ci peut toujours être "très ambiguë". De son côté, la CPU (Conférence des présidents d’université) s’interroge : "En jouant sur l’utilisation du mot 'master', on peut se demander si Mastersbooking.fr ne fait pas de la publicité mensongère… ", jauge Jean-Loup Salzmann, son président.

"Il n’y a aucune volonté de tromper l’étudiant derrière l’utilisation du mot 'master'", insiste de son côté Cécile Escape, directrice générale d’Eduniversal, dont Mastersbooking.fr est une filiale. "C’est simplement le terme le plus générique et qui parle le plus aux étudiants, que nous ayons trouvé. À terme, poursuit-elle, notre objectif est d’être le plus exhaustif possible et de répertorier le plus grand nombre de masters universitaires."

Les diplômes nationaux de sept universités proposés

Mais les "vrais" masters ne sont déjà pas totalement absents de la plateforme : sept diplômes nationaux étaient, jusqu’à jeudi dernier, proposés. Des masters délivrés par Paris 1-Panthéon-Sorbonne, l’Upec (université Paris-Est Créteil), l’Upem (université Paris-Est Marne-la-Vallée), l’université de Poitiers, l’université de Cergy-Pontoise, l’université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et Paris-Dauphine.
 
Une présence qui peut surprendre, au moment où les universités sont nombreuses à défendre le droit de sélectionner en deuxième cycle, faute de moyens nécessaires pour accueillir tous les étudiants qui le souhaiteraient ou encore de débouchés suffisants à la sortie. "Pour les établissements universitaires, seuls des frais symboliques de 89 euros par programme et par an sont facturés", précise Cécile Escape.

Un facteur de visibilité pour ces masters 2

Le président de l’université de Cergy-Pontoise, François Germinet, assume pleinement la présence de son master 2 "Gestion des instruments financiers" sur Mastersbooking.fr. "La responsable du master m’a indiqué avoir fait sciemment cette démarche, explique-t-il à EducPros. Le coût pour apparaître sur la plateforme pendant une année est très limité, et c’est un facteur de visibilité supplémentaire. Il n’y avait pas de raison de ne pas essayer."
 
"Si les universités s’empêchent systématiquement d’apparaître sur les sites regardés par les étudiants, si elles s’autocensurent en permanence, elles ne pourront jamais faire valoir la qualité de leurs formations, poursuit-il. Or, nos masters sont très souvent de meilleure qualité que d’autres formations, d’écoles de commerce notamment."

C’est d’ailleurs l’argument mis en avant par Mastersbooking : "Notre plateforme constitue un canal supplémentaire permettant aux universités de mieux capter les meilleurs profils d’étudiants", argumente Cécile Escape.

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – oct2013 Centre Panthéon ©Camille Stromboni

Certaines universités très surprises…

À l’université Paris 1, dont l’un des parcours du master 2 en économétrie est proposé par Mastersbooking.fr, la surprise est totale. "L’établissement n’est pas au courant, réagit Nadia Jacoby, vice-présidente "Numérique et communication". Et il est impensable de recourir à un intermédiaire privé pour recruter des étudiants dans un diplôme national de l’université publique. C’est totalement contraire à nos principes et inutile dans une situation où nous devons faire face à une demande bien supérieure au nombre de places disponibles en master. Et si, comme cela semble être le cas, l’étudiant doit payer pour candidater via ce site à partir d'un certain nombre de candidatures, c’est une rupture d’égalité de traitement inacceptable pour nous."

"Le conseil d'administration n'a jamais été saisi de cette question. Aucune décision d'établissement n'a été prise de recourir à ce type de service. À ma connaissance, aucun contrat n'a pu être conclu avec ce prestataire", précise Nadia Jacoby.

… qui veulent mettre fin à une collaboration jugée embarrassante

Même son de cloche du côté de Paris-Dauphine. Sabine Mage, vice-présidente Formation et vie étudiante, indique "n’avoir jamais entendu parler de Mastersbooking.fr et que ce sujet n’a pas été discuté en interne". Quant à la responsable du parcours de M2 concerné, Stéphanie Dameron, elle fait savoir qu’il y eu "une confusion" avec le groupe Eduniversal. Quelques jours après qu’EducPros l’a contactée, sa formation n’apparaissait plus sur le site.

Mastersbooking assure pourtant à EducPros ne mettre "aucun programme en ligne par lui-même sans validation des établissements. Il y a obligatoirement l’accord d’un responsable de programme ou d’un représentant de l’institution".

"Le responsable de master a accepté une offre promotionnelle liée au classement SMBG [également une filiale d’Eduniversal] mais il commence déjà à le regretter", confie de son côté Gilles Roussel, à la tête de l’université Marne-la-Vallée, dont le master MOS (Management des organisations sportives) est proposé sur le site.
 
"Il ne compte pas renouveler l’expérience, ajoute-t-il. Si cela rendait un service supplémentaire à l’étudiant, pourquoi pas, mais ce n’est pas le cas ! Et faire payer l’étudiant pour effectuer ces 'précandidatures', alors qu’il devra, comme tout le monde passer par la procédure normale, c’est vraiment scandaleux", tranche-t-il. Et de souligner l’urgence de mettre en place un portail des masters… gratuit.

Aller plus loin
- Le site Mastersbooking.fr

Camille Stromboni, Aurore Abdoul-Maninroudine | - Mis à jour le