
Face à la baisse du vivier dans les filières scientifiques, la rédaction d’EducPros a invité dirigeants de l’enseignement supérieur et professionnels du secteur à un échange sur la question de la baisse du niveau en maths et son impact dans l’enseignement supérieur à l'occasion de la deuxième édition du Club de la rédac', organisé le 25 mars 2025, à Paris.
Écoles d’ingénieurs : la baisse des effectifs inquiète
Ces dernières années ont été marquées par une baisse des entrants en première année de cycle ingénieur. "On ne peut que se questionner sur le lien entre la réforme du lycée et la baisse brutale des effectifs dans les écoles d’ingénieurs", interpelle Mélanie Guenais, vice-présidente de la Société mathématique de France et coordinatrice du Collectif Maths&Sciences.
La mathématicienne identifie plusieurs origines liées à cette chute des inscriptions en école d’ingénieurs, comme la crise sanitaire survenue en 2020, au moment de la mise en place du nouveau baccalauréat, mais aussi la réforme des DUT en BUT en trois ans, qui a conduit à une baisse des intégrés issus de cette filière dans les écoles d’ingénieurs.
Face à cela, les écoles d'ingénieurs ont cherché à augmenter le nombre de places, à ouvrir des campus, à créer des formations. "Mais on voit désormais que les écoles de spécialité se retrouvent appauvries dans ce système. Je crains que cela devienne un phénomène assez marquant", observe Laurent Champaney, président de la CGE (Conférence des grandes écoles) et directeur général d'Arts et Métiers.
"On est dans un contexte géopolitique qui appelle à la souveraineté technologique et industrielle. Il faut élargir le champ des voies d’accès. Beaucoup d’écoles d’ingénieurs proposent des programmes de bachelor, avec ou sans grade de licence. Je dis aux jeunes de s'orienter vers un bachelor puis de se faire embaucher comme ingénieur junior", réagit François Stephan, directeur de l'ECE.
La mixité en recul dans les grandes écoles
De plus, l’écart se creuse entre le nombre de diplômés hommes ingénieurs et le nombre de diplômées femmes ingénieures. "La réforme a eu un impact massif sur les lycéennes. Cela se voit dans les filières sélectives et impacte le recrutement des grandes écoles", explique Mélanie Guenais.
Les mathématiques restent marquées par des stéréotypes de genre, soulevant la question d’un accès inégal aux filières sélectives. "En voulant réduire l‘accès aux maths, on a contraint son accès aux seules personnes bien informées. Cela va favoriser les garçons issus de classes favorisées", poursuit la mathématicienne.
Il s'avère que les lycéennes ont davantage tendance à diversifier leurs choix de spécialités que les lycéens. "Le vivier de garçons sera suffisant pour répondre aux besoins. Mais nous n’avons pas suffisamment de filles. Si nous voulons avoir un discours cohérent, ce n’est pas uniquement en disant aux filles qu’il faut faire des sciences et des maths", réagit Patrick Courilleau, adjoint à la cheffe de service, à la DGESIP.
Réforme du lycée : quel impact réel sur le niveau en maths ?
La réforme du lycée a-t-elle entraîné une dégradation du niveau en mathématiques ? "La réforme a modifié le profil et le vivier de jeunes qui ont des compétences en maths, alors que le fait d’avoir un bagage en maths peut être fondamental pour suivre certaines formations", observe Patrick Courilleau.
Selon lui, certains cursus ne peuvent pas accueillir des élèves n’ayant pas choisi la spécialité maths. "La classe préparatoire aux grandes écoles est peu adaptée à prendre en compte cette diversité de profils. Dans les universités, il y a un peu plus de marge de manœuvre, un peu de souplesse avec le "oui si" qui vient pallier une partie des lacunes."
Malgré les dispositifs mis en place, les établissements de l’enseignement supérieur demeurent le dernier maillon de la chaîne. "Si on veut résoudre le problème, il faut partir à la racine et redevenir exigeant dès le primaire", a réagi une professionnelle du secteur. "Nous formons des ingénieurs qui vont travailler dans des domaines exigeants et il n’est pas question de baisser le niveau."
Quelles sont les solutions envisagées ?
Pour l’instant, aucune modification de la réforme du lycée n’est envisagée. "Le sujet n’est pas à l’ordre du jour. Le contexte politique est un peu fluctuant", explique Patrick Courilleau. Mélanie Guenais suggère que le lycée soit en mesure de s'adapter à la variété de profils. "Il faudrait pouvoir choisir des parcours généralistes en sciences au lycée, des parcours qui permettraient d’assurer ce socle commun."
Le sujet de la réforme de la formation initiale des professeurs, avec le concours qui sera déplacé en fin de licence, a également été abordé. "On va encourager les universités à faire monter en compétences les étudiants. Il est primordial que les futurs professeurs des écoles aient un bagage scientifique solide pour former les futurs élèves", poursuit Patrick Courilleau.