Les écoles d'ingénieurs cultivent l'esprit d'entreprendre

Céline Authemayou
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Agrocampus Ouest s'apprête à créer une pépinière d'entreprises, AgroUP, dédiée exclusivement à ses étudiants.
Agrocampus Ouest s'apprête à créer une pépinière d'entreprises, AgroUP, dédiée exclusivement à ses étudiants. // ©  Agrocampus Ouest
Déjà présent au cœur des écoles depuis quelques années, l’entrepreneuriat s’impose désormais comme un passage obligé durant la formation d’ingénieur. Les établissements sensibilisent, forment et accompagnent leurs élèves. Avec un double objectif : faciliter la création d’entreprise certes, mais aussi transmettre au plus grand nombre la fibre innovante. À l’occasion de la publication du palmarès 2015 des écoles d’ingénieurs, EducPros revient sur les initiatives menées en la matière.

Le changement de paradigme n'est pas encore pour demain. En 2013, près de 44% des diplômés ingénieurs ont obtenu leur premier poste dans une entreprise de plus de 5.000 salariés, selon la CGE (Conférence des grandes écoles). Quant à la création d'entreprise ? Si elle ne concerne encore que 1,4% des diplômés 2013 selon notre palmarès, les jeunes qui se lancent dans l'aventure de l'entrepreneuriat sont de plus en plus nombreux. "Il y a cinq ans, nous comptabilisions une ou deux entreprises créées chaque année, note Alain Ayache, directeur de l'Enseeiht à Toulouse. Aujourd'hui, nous en sommes à cinq-six.

Début 2014, l'école et ses six consœurs de Toulouse INP ont créé le statut étudiant-entrepreneur : grâce à un aménagement de son emploi du temps, l'étudiant peut travailler sur un projet de création, épaulé par l'école, notamment grâce à des formations dédiées. Un modèle qui a inspiré l'initiative mise en place par le gouvernement à la rentrée 2014 et portée par les 19 PEPITES (Pôles étudiants pour l'innovation, le transfert et l'entrepreneuriat) régionaux.

La sensibilisation, pour “semer des graines”

Rencontre avec des porteurs de projet, participation à des concours d'innovation, conférences, semaines dédiées à la création d'entreprise... La quasi-totalité des écoles d'ingénieurs proposent à leurs élèves une sensibilisation à l'entrepreneuriat. Faciles à mettre en place et peu coûteuses, ces initiatives se déroulent généralement en début de cursus. "La sensibilisation a pour avantage d'impacter les masses, note Julien Olivier, chargé de mission innovation et création d'entreprises – exportation au sein de la nouvelle Insa Centre Val-de-Loire. Elle permet ensuite de laisser libre choix aux étudiants, en fonction de leurs aspirations." Avec d'autres établissements de la région, l'école participe entre autres au concours Créa'Campus, qui permet à des équipes étudiantes de créer un projet fictif d'entreprise.

Autre formule très prisée en matière de sensibilisation : le retour d'expériences. À l'Epita, les diplômés créateurs d'entreprise viennent parler de leur projet devant les futurs ingénieurs. "Le frein est trop souvent dans la tête, constate Joël Courtois, directeur de l'école parisienne, qui comptait en 2013, 6% de diplômés entrepreneurs. Les élèves ont besoin de voir que leurs pairs ont réussi. C'est parce qu'on a compris que c'était faisable, qu'on a vu de belles réussites que l'on peut se dire : pourquoi pas moi ?"

Le frein est trop souvent dans la tête. Les élèves ont besoin de voir que leurs pairs ont réussi.
(J. Courtois - Epita)

La formation, en lien avec les partenaires locaux

Plus engageant que la simple sensibilisation, le passage par la case formation exige une réorganisation des cursus. Près des trois quarts des établissements se sont engagés dans cette voie. D'autres préfèrent, par exemple, signer un double diplôme avec un IAE.

Depuis quelques mois, AgroCampus Ouest propose à ses élèves ingénieurs-agronomes une UE (unité d'enseignement) dédiée à l'entrepreneuriat. "Nous avions déjà un certain nombre d'activités liées au sujet, explique Caroline Lelaidier, directrice générale adjointe des formations. Mais nous voulions réformer le cursus : nous avons donc identifié les compétences que nous souhaitions faire acquérir à nos élèves. L'entrepreneuriat en faisait clairement partie."

Bon nombre d'écoles optent pour la formule "module" ou "mineure", qui vient compléter l'offre existante. C'est le cas à l'Esaip : l'école installée à Angers proposera à la rentrée 2015 une mineure Entrepreneuriat à ses élèves de troisième année du cycle ingénieur. Elle s'ajoute ainsi aux sept options existantes. "Avant de créer ce parcours d'une centaine d'heures, nous avons réalisé une enquête auprès de nos étudiants", explique Christophe Rouvrais. Le but ? Connaître leurs attentes en matière de formation à l'entrepreneuriat. "Le retour a été très positif, note le directeur. Ils sont clairement intéressés par le sujet, mais ils ont besoin d'être épaulés et cadrés grâce notamment à des cours dédiés." Le nouveau cursus, mené avec l'école d'agronomie ESA et l'école de commerce Essca, permettra chaque année à une trentaine d'élèves de suivre des cours et des séances coaching et de mener un projet tutoré, dédié à la création d'activité. Pour cette dernière partie, l'école va se rapprocher de l'incubateur local, Angers Technopole.

Nous voulions réformer le cursus : nous avons donc identifié les compétences que nous souhaitions faire acquérir à nos élèves. L'entrepreneuriat en faisait clairement partie.
(C. Lelaidier - AgroCampus Ouest)

Et c'est là tout l'intérêt de la démarche : se lier aux structures régionales, pour s'implanter dans le tissu économique local. Qu'il s'agisse d'organismes de formation, d'entreprises ou de structures liées au transfert. À l'Insa Centre Val-de-Loire, les cours théoriques du module Entrepreneuriat sont dispensés en partie par des représentants de la CCI (chambre de commerce et d'industrie). "Pour la partie projet, nous nous sommes rapprochés de la couveuse locale et des pépinières gérées par les collectivités, explique Julien Olivier, dont le poste au sein de l'établissement est financé par le conseil régional. La prochaine phase consiste à tisser des partenariats avec des entreprises."

C'est déjà le cas dans certaines écoles, à l'image de Toulouse INP. Pour financer son parcours étudiant-entrepreneur, le groupe bénéficie d'une aide financière de GDF Suez et de Suez Environnement. Les deux entités se sont engagées à verser aux écoles 40.000 euros par an pendant cinq ans pour soutenir le projet (financement des dépôts de brevet, des déplacements, etc.). "Notre objectif est clairement d'augmenter cette ressource, affirme Alain Ayache, directeur de l'Enseeiht et référent Entrepreneuriat au sein de Toulouse INP. Je suis convaincu qu'il relève du rôle social des entreprises d'aider les jeunes à développer ce type d'activités. Les grands groupes se positionnent d'ailleurs très clairement en ce sens."

L'accompagnement et le droit à l'erreur

Phase la plus aboutie du processus, l'accompagnement à la création d'entreprise est réservé à une petite poignée d'étudiants... et d'écoles, pour l'instant encore. Environ 10% ont mis en place des filières très complètes, permettant à la fois de former et d'accompagner les futurs ingénieurs. "C'est là la nouveauté pour nos écoles, note Caroline Lelaidier, d'AgroCampus Ouest. Désormais, le monde économique s'attend à ce que nos établissements accompagnent davantage les étudiants motivés par la création d'entreprise. Les dispositifs mis en place doivent donc être plus complets qu'une simple sensibilisation." Après avoir créé son UE au printemps 2014, l'école se penche ainsi sur la mise en place d'une pépinière d'entreprises, AgroUp, dédiée exclusivement à ses élèves.

À l'Esaip, c'est un pré-incubateur qui est en cours de création, et l'Insa Centre Val-de-Loire a inauguré son incubateur début 2014. "Il est clair que ces structures sont d'un grand soutien pour les jeunes créateurs", témoigne Vivien Staehle-Bouliane. À 24 ans, le jeune homme vient d'être diplômé de SupOptique. Avec deux camarades de promotion, il a créé son entreprise pendant son cursus, Phonoptics, qui commercialise un microphone à fibre optique. Passé par la filière Innovation-Entrepreneuriat (FIE) de l'école d'ingénieurs, il a eu trois années pour apprendre les bases du "métier" (comptabilité, dépôt de brevet, propriété intellectuelle) et mettre sur pied son projet. Depuis sa diplomation, il est hébergé gratuitement pendant un an au sein du 503, incubateur de SupOptique, et bénéfice de toute l'infrastructure technique des lieux, au cœur d'un cocon sécurisant.

Car le principal intérêt de cet accompagnement sur mesure est de permettre aux porteurs de projet de se lancer sans se mettre totalement en danger. "Un échec pendant les études est moins problématique : aujourd'hui encore, une mauvaise expérience en début de vie active peut être mal vue sur un CV, note Alain Ayache. Ici, au sein de l'école, ils peuvent se lancer sans risques."


Céline Authemayou | Publié le