"Incontournable", "formidable outil", "nouvelle dynamique"… Interrogés sur leur usage du numérique dans leur pédagogie, les enseignants qui ont répondu à l'appel à témoignages d'Educpros en juillet 2015 sont unanimes. Faire le choix du numérique apparaît d'abord comme une nécessité pour maintenir des enseignements performants et aider ses étudiants à mieux réussir.
Plus flexibles, plus motivants, les outils numériques donnent l'opportunité d'un enseignement à la demande, qui prolonge le temps de l'apprentissage. "Ils permettent de capter l'attention des étudiants, en individualisant les séances, le rythme d'assimilation et en rendant l'étudiant plus autonome : il devient un acteur de sa propre formation, et acquiert des compétences qu'il n'aurait pas obtenues, ou bien beaucoup plus tard dans sa formation", écrit un maître de conférences de l'Upec.
Plusieurs enseignants relèvent d'ailleurs une meilleure qualité des travaux rendus, et une amélioration des notes des étudiants utilisant les outils numériques. Un enseignant de l'université Reims Champagne-Ardenne pointe ainsi une augmentation de la moyenne de ses élèves de 3 points. "Dans certains cours, les étudiants qui n'utilisent pas les outils pédagogiques ont un taux de réussite de 0%, alors qu'il est de 50% pour ceux qui travaillent au minimum 10 heures le cours en utilisant des outils numériques."
Une pédagogie chronophage
Principal inconvénient relevé par les répondants : le caractère chronophage de cet enseignement. "On pense souvent que le numérique fait gagner en rapidité, mais il nécessite une vraie réflexion pédagogique, une reconstruction des cours, tant sur le fond que sur la forme. Cela implique beaucoup de travail en amont", indique un professeur de l'Iéseg.
Le suivi également doit être plus soutenu, comme l'explique ce professeur de l'université Reims Champagne-Ardenne : "la motivation des étudiants est au rendez-vous, car les logiciels utilisés en TD et TP favorisent la démarche d'investigation. En revanche, il est nécessaire de bien contrôler leur utilisation". En effet, "la capacité de concentration induite par la multiplication des stimuli peut être diminuée...", avance un professeur de l'Essec.
On pense souvent que le numérique fait gagner en rapidité, mais il nécessite une vraie réflexion pédagogique, une reconstruction des cours, tant sur le fond que sur la forme.
Très peu de décharges de services sont prévues : "créer une interaction différente avec les étudiants, qui cocréent leur enseignement, requiert du temps. Ces besoins cruciaux ne sont pas toujours pris en compte par les établissements, qui restent sur des schémas de classe très traditionnels", écrit une professeure.
Un sentiment renforcé par ce qu'un enseignant appelle "l'ère du bricolage". "Les infrastructures ne suivent pas toujours : le Wifi n'est pas forcément dimensionné pour une moyenne de deux connexions simultanées par étudiant et enseignant [ordinateur et smartphone/tablette]", regrette un maître de conférences de l'université de Lorraine. Un problème de dimensionnement des réseaux qui nuit à l'enseignement. "Gare aux bugs et crashs qui font perdre du temps et démobilisent rapidement les apprenants", prévient une professeure.
Un soutien variable de l'institution
Alors même que la pédagogie numérique est vécue comme un engagement, le soutien des établissements reste exceptionnel, excepté pour ceux qui ont fait de l'utilisation du numérique une priorité stratégique. "La prise de risque, en faisant notamment face à de mauvaises évaluations par les étudiants, n'est pas forcément récompensée ou encouragée. Pourtant, elle est inévitable pour l'enseignant qui doit passer par une phase prototype", estime une professeure.
La majorité des répondants n'ont pas reçu de formation à l'innovation pédagogique, et le regrette. Pour se former, le système D semble être la règle. Certains évoquent une participation à des colloques ou à des conférences. D'autres ont fait appel à des collègues plus au fait des outils, et la plupart indiquent s'être formés seuls, "par des lectures", "des expérimentations" ou grâce à des "formations courtes sur la base du volontariat". Les enseignants formés dans leur établissement l'ont été par des ingénieurs pédagogiques.
Cet engagement peut toutefois être parfois reconnu de façon plus informelle. Comme pour ce professeur de Skema qui vit son investissement comme un outil de notoriété pour lui et pour son école, ou un maître de conférences de l'université de Lorraine qui signale que son établissement reconnaît son investissement en le sollicitant pour former d'autres collègues.
Une reconnaissance financière inexistante
Quant à une éventuelle reconnaissance financière, elle est quasi-inexistante, à l'exception des enseignants ayant pris la responsabilité d'un service d'ingénierie pédagogique. "Certains appels à projets d'innovation pédagogique pour le financement nécessitent la 'redistribution' de quelques heures complémentaires. Mais cela ne va pas chercher bien loin", explique un maître de conférences de l'Upec, qui évoque également les moyens financiers réduits des établissements : "lorsque l'innovation nécessite un financement de matériel, les demandes, les discussions ont tendance à n'en plus finir..."
"Il serait peut-être plus judicieux de reconnaître l'implication des enseignants dans ces pédagogies innovantes pour leur évolution de carrière, au même titre que la recherche, estime-t-il. Après tout, en testant ces innovations pédagogiques, ne faisons-nous pas de la recherche sur les méthodes d'apprentissages les plus adaptées à notre discipline pour notre population étudiante ?" Vaste chantier...
Parmi les outils les plus utilisés par les répondants, la prise de notes collaborative arrive en tête. Les boitiers électroniques, le podcast, le tableau blanc interactif et les logiciels de simulation reviennent aussi régulièrement. En revanche, seuls 7 répondants sur 25 déclarent utiliser des MOOC faits par eux-mêmes ou par d'autres.
Ces réponses sont tirées d'un appel à témoignages sur le thème « Enseignants-chercheurs : êtes-vous passés au numérique ? », lancé sur EducPros le 6 juillet 2015. 25 réponses ont été prises en compte.