Pour réguler l'enseignement supérieur privé, la qualification EESPIG peut-elle être élargie ?

Clément Rocher Publié le
Pour réguler l'enseignement supérieur privé, la qualification EESPIG peut-elle être élargie ?
plain picture eespig // ©  DEEPOL by plainpicture
Alors que de nombreuses voix s'élèvent pour une meilleure régulation de l'enseignement supérieur privé français, le modèle EESPIG des établissements à but non lucratif se positionne comme un premier point de repère. Cependant, d'autres solutions doivent être trouvées pour mieux réguler les établissements du supérieur privé à but lucratif.

Dans les couloirs du ministère ou ceux des grandes écoles et universités, l'ensemble des acteurs s'accordent à dire qu'il est devenu difficile pour les familles de se repérer dans une offre de formations privées post-bac devenue dense et complexe. Afin de répondre à cette problématique, le ministère de l'Enseignement supérieur a lancé un groupe de travail sur la visibilité de l'enseignement supérieur privé français et ses pratiques.

"On est dans une période de confusion. Les outils tels que la qualification EESPIG (Établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général), les grades, les titres RNCP, sont peu clairs. Cela crée une demande de régulation extrêmement forte", estime Thierry Coulhon, président du Hcéres, lors du congrès de l'UGEI (Union des grandes écoles indépendantes), organisé le jeudi 30 mars. Cette qualification EESPIG, créée en 2013 par le ministère de l'Enseignement supérieur, apporte des éléments de clarification. Mais il faut aller plus loin.

EESPIG : une reconnaissance de l'enseignement supérieur privé non lucratif

En 2023, 64 établissements de l'enseignement supérieur privé français sont qualifiés EESPIG. Ce label d'Etat permet d'identifier les établissements d'enseignement supérieur privé à but non lucratif.

Écoles d'ingénieurs ou de commerce, écoles d'art ou de journalisme, - notamment celles au statut d'association - peuvent bénéficier de la qualification et sont ainsi reconnues comme des opérateurs de la recherche publique. Ces établissements doivent remplir certaines conditions au préalable comme assurer une mission de service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. "Cela concourt à un enseignement supérieur qui avance positivement", affirme Philippe Choquet, président de la FESIC.

Autre condition sine qua non pour bénéficier de la reconnaissance EESPIG : le caractère non lucratif de l'établissement. Une clé d'entrée qui a notamment permis à l'Iéseg, école de commerce pos-bac située à Paris et Lille, de disposer de la qualification lors de la première vague en 2015. "C'est un processus exigeant. On est évalué par le Hcéres au même titre que les établissements publics", explique Caroline Roussel, directrice générale de l'école.

Le label EESPIG, un point de repère dans l'enseignement supérieur privé

Cette qualification EESPIG est utilisée comme un outil de communication auprès des familles pour les établissements. "Elle leur permet d’avoir une assurance sur la qualité des institutions dans lesquelles elles vont confier leur enfant. Cela donne un gage de visibilité et de transparence sur nos écoles", témoigne Caroline Roussel.

La qualification EESPIG est un processus exigeant. On est évalué par le Hcéres au même titre que les établissements publics. (C. Roussel, Iéseg)

Le tampon vient également apporter un point de repère face à la profusion des formations privées post-bac. "Il existe parfois, pour le grand public, une confusion entre le privé à but lucratif et le privé à but non lucratif. La qualification EESPIG permet de rendre un peu plus visible le caractère non lucratif mais elle est encore peu connue du grand public", poursuit Carole Marsella, directrice générale déléguée du groupe Icam.

"On peut faire du lucratif privé qui permet de l’enseignement de qualité"

L'Union des grandes écoles indépendantes, dont deux-tiers des écoles membres sont qualifiées d'EESPIG, par la voix de son président, Etienne Craye, tient néanmoins à préciser que la reconnaissance de la qualité de la formation dans l'enseignement supérieur privé ne s'arrête pas à cette seule qualification EESPIG.

"On a longtemps cru que la non-lucrativité était le seul facteur clé garantissant la qualité, intervient Etienne Craye. Il y a une association malencontreuse. Ce n’est pas parce qu’on a un statut différent ou un modèle économique différent qu’on ne fait pas de la qualité, qu’on ne répond pas aux besoins de la nation et des familles en termes de formation."

Ce n’est pas parce qu’on a un statut différent ou un modèle économique différent qu’on ne fait pas de la qualité. (E. Craye, UGEI)

Le président de la fédération prend l'exemple de l'emlyon, la grande école de management lyonnaise, dont Galileo Global Education est devenu actionnaire. "C’est un établissement dont on peut difficilement suspecter le niveau de qualité même si elle a un autre modèle statutaire et économique", continue-t-il.

Laurent Champaney, président de la CGE (Conférence des grandes écoles), a confirmé que l'EESPIG n'était pas un label de qualité, lors du colloque de l'association qui s'est tenu au mois de mars. "On peut faire du lucratif privé qui permet de l’enseignement de qualité. La contribution au service public de certaines écoles n’est pas assez vue et elles échappent à certaines aides des collectivités."

Par ailleurs, d'autres statuts d'établissements, comme les EESC (Ecoles d'enseignement supérieur consulaires), ne permettent pas d'accéder à la qualification d'EESPIG. Ce statut créé pour les écoles consulaires leur accorde notamment une autonomie juridique mais aussi financière tout en étant à but non lucratif, avec une mission d'intérêt général.

Une demande de régulation de l'enseignement supérieur privé

L'UGEI, comme un grand nombre d'acteurs de l'enseignement supérieur, appelle dorénavant à mettre de l'ordre dans le privé. "La légitimité du secteur privé en complément du secteur public ne peut pas être contestée. Mais certains établissements se permettent des pratiques douteuses et ne répondent pas aux attentes des familles. Ils ne sont pas suffisamment évalués par l’État", s'exprime Etienne Craye.

La légitimité du secteur privé en complément du secteur public ne peut pas être contestée. Mais certains établissements se permettent des pratiques douteuses et ne répondent pas aux attentes des familles. (E. Craye, UGEI)

"Il est important que le paysage de l'enseignement supérieur avec ses diplômes et ses labellisations soit bien identifié. Des établissements vendent des formations à prix élevé, qui ne sont pas évaluées par des instances indépendantes, au détriment des jeunes", enchaîne Philippe Choquet, pour qui la possibilité d'élargir le périmètre des EESPIG n'est pas une solution. "Les établissements privés à but lucratif n'ont pas vocation à devenir EESPIG", assure-t-il.

"Le périmètre du label EESPIG est bien exclusivement centré sur la non-lucrativité et l’indépendance de gestion, reprend Etienne Craye. Cela va générer une confusion terrible si on l’ouvre. Je ne prônerais pas tant le déplacement du périmètre des EESPIG que les responsabilités soient assumées à travers une évaluation, un contrôle qualité qui aboutirait peut-être à un nouveau label."

Le groupe de travail devrait partager ses conclusions avant l'été. "Cette diversité de l’enseignement supérieur privé doit être encouragée, conclut Anne-Sophie Barthez, directrice générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle. Mais cela fait longtemps que la réglementation applicable à l’enseignement supérieur privé n'est pas d’une cohérence absolue, il faut simplifier tout ça. C’est la clé si l’on veut que l’étudiant puisse choisir sa formation et qu’il sache dans quoi il s'engage."

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