Recrutement des professeurs : pourquoi les concours ne font pas le plein ?

Camille Jourdan Publié le
Recrutement des professeurs : pourquoi les concours ne font pas le plein ?
Les Inspé affichent un taux de réussite moyen au concours d'environ 30%. // ©  Nicolas TAVERNIER/REA
Comme en 2022, des postes de professeurs du premier et second degrés seront vacants à la rentrée prochaine, notamment dans certaines académies (Créteil, Versailles et la Guyane) pour le premier degré, et dans certaines matières (mathématiques, lettres classiques ou modernes, physique-chimie) pour le second degré. Au-delà d'une désaffection du métier, les concours sont-ils adaptés aux candidats ? Ceux-ci sont-ils suffisamment préparés ?

Pointé du doigt depuis plusieurs années, le manque d'attractivité du métier d'enseignant a des causes multiples : salaire trop faible, manque de reconnaissance, concurrence de carrières plus attrayantes… La mastérisation du parcours ainsi que le déplacement du concours à la fin de la deuxième année de master, accentuent encore cette désaffection.

Les effectifs de certains masters "Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation" (MEEF), dédiés à ces métiers, fondent. "En mathématiques ou encore en lettres classiques, les viviers d'étudiants en MEEF sont très restreints", signale Thierry Philippot, vice-président du réseau des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), dans lesquels les futurs enseignants suivent des cours.

Alain Bernard, responsable du MEEF mathématiques à Créteil, confirme. "Chez nous, l'effectif en M1 a chuté de moitié cette année, par rapport à ce qu'il était l'année précédente. Nous nous apprêtons à fermer des groupes." Pourtant, le nombre d'inscrits aux concours reste très majoritairement supérieur au nombre de postes offerts. Pourquoi, in fine, les admis ne sont-ils pas assez nombreux ?

Des candidats renoncent à passer les concours d'enseignants

Un premier écrémage s'opère le jour des concours. En 2022, pour plus de 41.000 inscrits au Concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE), seuls 14.000 se sont présentés. Ils étaient 9.900 pour 18.800 inscrits au Certificat d'aptitude au professorat du second degré (Capes). Pour rappel, tous les candidats ne sont pas issus d'un master MEEF ; mais même parmi ceux qui le sont, certains renoncent à passer le concours. Certains privilégient finalement d'autres concours, d'autres changent d'avis sur leur carrière.

De plus en plus renoncent à passer le concours car ils ne veulent pas subir le système des affectations nationales. (T. Philippot, Inspé)

"Ils se rendent compte que le métier de prof n'est pas fait pour eux, ou qu'ils n'ont pas le niveau requis", avance une intervenante en MEEF physique-chimie. "De plus en plus renoncent à passer le concours car ils ne veulent pas subir le système des affectations nationales, observe Thierry Philippot, ils préfèrent être recrutés en tant que contractuels, puisqu'ils sont moins sujets à la mobilité".

Le vice-président du réseau des Inspé constate aussi que certains étudiants s'épuisent. "Mais le taux d'abandon n'est pas alarmant", tempère-t-il.

Une surcharge de travail en deuxième année de master MEEF

Beaucoup d'étudiants en MEEF dénoncent toutefois une deuxième année extrêmement "chargée". En plus de la préparation du concours, ils doivent suivre des cours, passer des examens, préparer un mémoire et prendre en charge une classe en tant qu'enseignants, pour ceux qui suivent un "stage en responsabilité".

"Certains sacrifient leur année à l'Inspé pour préparer le concours, ou préparer leur classe", relève Juliette, étudiante à l'Inspé de Paris.

Ce que confirme un avis de l'Assemblée nationale, publié en amont de la loi de finances 2023 : "Cette charge de travail […] contraint souvent les étudiants à donner la priorité au 'terrain' et à négliger une partie de leur scolarité. En tout état de cause, il est possible qu'elle décourage des étudiants de s'engager dans cette voie, d'autant plus que la réussite au concours – particulièrement dans ces conditions – peut apparaître aléatoire."

La charge de travail […] contraint souvent les étudiants à donner la priorité au 'terrain' et à négliger une partie de leur scolarité. (Rapport de l'Assemblée nationale)

Malgré ces conditions, nombre d'étudiants et d'enseignants jugent que la formation délivrée en MEEF prépare bien au concours. "À l'université, on nous a préparés aux écrits, en revoyant toutes les bases de tous les niveaux, et à l'Inspé, on s'est plutôt exercés à l'oral de motivation", détaille Ingrid, admissible au Capes de physique-chimie.

La formation et l'accompagnement des étudiants varient toutefois selon les universités et les Inspé. Quoi qu'il en soit, les "MEEF" constituent la majorité des admis au CRPE et au Capes externes, et leur taux de réussite global avoisinait les 30% en 2022, au-dessus des autres candidats. Ces taux varient cependant d'une académie à une autre pour le premier degré et d'une discipline à une autre pour le second degré.

"On ne transige pas avec le niveau des admis"

Après deux ans en master MEEF, certains étudiants échouent toutefois à décrocher le sésame.

Pourtant, les seuils d'admissibilité ont plutôt eu tendance à baisser dans certaines académies et disciplines, comme l'atteste Xavier Sorbe, président du jury du Capes de mathématiques. "Depuis plusieurs années, compte tenu du faible nombre de candidats présents aux épreuves écrites, le jury prononce l'admissibilité d'au moins 80% d'entre eux." Cependant, "on ne transige pas sur le niveau des admis, ajoute-t-il, c'est la raison pour laquelle il peut arriver que tous les postes ne soient pas pourvus."

"C'est rassurant, d'un côté, car ils ne prennent pas n'importe qui, commente Elisa, admissible au Capes de mathématiques, mais je trouverais ça paradoxal de m'avoir confié une classe pendant un an et de me dire ensuite que je ne suis pas capable d'enseigner."

Ceux qui échouent aux concours peuvent néanmoins demander à enseigner en tant que contractuels, tout comme des personnes n'ayant suivi presque aucune formation... "Les étudiants en MEEF sont des personnes qui ont envie de faire ce métier, et ils sont peu nombreux, et les recruteurs font la fine bouche, regrette Ingrid, alors que des personnes se font recruter alors qu'elles ne savent même pas ce qu'est un élève..."

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