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Selon les syndicats, "une remise en cause de l’identité professionnelle se diffuse à bas bruit dans le monde enseignant"

Marine Ilario Publié le
Selon les syndicats, "une remise en cause de l’identité professionnelle se diffuse à bas bruit dans le monde enseignant"
Si 72% des enseignants affirment être heureux d’exercer leur métier, ils ne sont que 15% à le conseiller à leur entourage. // ©  Adobe Stock/gonzagon
Réformes successives, sentiment de non-reconnaissance, perte de sens. Le douzième baromètre de l’Unsa Éducation révèle un certain mal-être chez les enseignants. Une situation plutôt récente, mais qui commence à s’installer. Décryptage.

Doute ponctuel ou réelle remise en question du métier enseignant ? Le douzième baromètre de l’Unsa Éducation, une fédération des métiers de l’éducation, publié à l’occasion de la rentrée scolaire 2024, met en lumière un phénomène qui semble s’installer chez les enseignants : s’ils aiment encore leur métier, ils ne se reconnaissent plus dans la façon de le pratiquer.

Une perte de sens qui les pousse à envisager une reconversion. Des enseignants et syndicats reviennent pour EducPros sur un phénomène qui touche de plus en plus de professionnels.

Le sens toujours présent mais des missions de plus en plus difficiles à exercer

Selon le baromètre, les enseignants sont près de 92% à affirmer aimer leur métier. "Un collègue sur deux a rêvé de ce métier. Ils ne sont pas là par hasard. C’est l’exercice des missions qui les mettent en difficulté et qui font qu’ils veulent partir", affirme Morgane Verviers, secrétaire générale de l’Unsa Education.

Car si 72% des enseignants interrogés affirment être heureux d’exercer leur métier, ils ne sont que 15% à le conseiller à leur entourage.

Comment expliquer cette dualité de sentiments ? Selon Médéric Bayard, enseignant à Besançon (25) et représentant du Snes FSU dans le Doubs (syndicat national des enseignements de second degré), les enseignants font ce métier "pour les élèves, pour transmettre à la génération suivante des connaissances. C’est cet objectif qui les fait tenir". Même constat pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du même syndicat. "Une majorité de nos collègues sont encore dans l’idée qu’on a choisi ce métier pour faire grandir nos élèves."

Pour autant, elle reconnaît que cet objectif est de plus en plus difficile à tenir du fait de "l’empilement des réformes et des injonctions". Conséquence ? "Le métier ne fait plus rêver et on remarque que de nombreuses reconversions surviennent auprès de jeunes enseignants qui se sentent déroutés face à la réalité du terrain."

Selon l’enquête de l’Unsa Éducation, 36% des répondants (enseignants mais aussi autres corps de métiers) disent souhaiter changer de métier. Si ce chiffre reste stable par rapport aux précédentes enquêtes, "par rapport au corps, cela représente tout de même 350.000 personnes qui pourraient souhaiter changer de métier", précise Morgane Verviers.

Un phénomène récent mais qui s’installe

Une réalité qui a commencé à être observée depuis la réforme du lycée menée par Jean-Michel Blanquer alors ministre de l’Éducation nationale. "Une remise en cause de l’identité professionnelle se diffuse à bas bruit dans le monde enseignant depuis trois ou quatre ans", affirme Sophie Vénétitay.

Une enquête menée par le Snes FSU en 2023 montrait que 77% des enseignants interrogés avaient le sentiment de perdre la main sur leur métier du fait des injonctions politiques. De son côté, le baromètre de l'Unsa Éducation révèle que 88% des personnels de l’Éducation nationale ne sont pas en accord avec les choix politiques. Un chiffre qui monte à plus de 93% chez les enseignants du second degré.

"La réforme du lycée a désorganisé le groupe classe et la formule du bac a changé chaque année", illustre Médéric Bayard. Sans compter la mise en place du contrôle continu "qui instaure une pression permanente pour les élèves. N’importe quel devoir devient une épreuve de bac et en tant qu’enseignant, on a l’impression de devenir des usines à notes".

Les collègues ont le sentiment de trier les élèves. Or, ce n’est pas pour ça qu’on choisit le service public (M.Bayard, enseignant à Besançon et représentant du Snes FSU dans le Doubs)

Une situation aggravée par la crise sanitaire. "La période Covid a fait beaucoup de mal parce qu’on recevait ordre et contrordre, appuie Sophie Vénétitay. De nombreux collègues se sont sentis seuls avec un protocole très changeant."

Et plus récemment, le choc des savoirs et la mise en place des groupes de besoin est venue installer dans la durée ce mal-être. "Les collègues ont le sentiment de trier les élèves. Or, ce n’est pas pour ça qu’on choisit le service public. Si bien qu’on se sent en porte-à-faux vis-à-vis de ce pourquoi ont fait notre métier", explique Médéric Bayard.

Pour Morgane Verviers, "les politiques éducatives imposent des réformes, contre-réforme, sans évaluations préalables qui heurtent le sens profond de ce pourquoi on s’est engagé. Ce qui provoque une vraie lassitude chez les enseignants".

Les jeunes enseignants davantage touchés ?

Sans compter l’instabilité politique. "On a un ministre tous les six mois. Eux changent et veulent mettre en place leurs réformes, mais nous, nous restons. Ça joue sur le moral et on voit un nombre grandissant d’enseignants qui craquent en salle des profs : 'Ce n’est pas pour ça que j’ai choisi mon métier', 'Je ne crois plus ce que je fais'", raconte amèrement Sophie Vénétitay.

Des difficultés éprouvées par les jeunes enseignants notamment. "Il y a un décalage entre l’idée que l’on se fait du métier et la réalité", indique Médéric Bayard. "Sans compter la surcharge de travail les deux premières années : ils doivent fournir des rapports et préparer un mémoire en même temps qu’assurer leur cours à temps quasiment plein."

Mais ils ne sont pas les seuls à vivre cette difficulté. Le manque de reconnaissance arrive en tête des préoccupations les plus citées par les enseignants dans le baromètre. Sur l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale, ils sont près de 60% à évoquer un manque de reconnaissance. Et c’est 10 points de plus pour les personnels qui ont plus de cinq ans d’ancienneté.

En mettant en avant cet état de mal-être dans leur baromètre, l’Unsa Éducation souhaite "mettre le premier employeur de France face à ses responsabilités parce que le baromètre confirme une réalité qui ne peut plus être ignorée : les personnels aiment leur métier, mais se sentent empêchés de l’exercer comme ils le souhaitent", conclut Morgane Verviers.

Marine Ilario | Publié le