À Lyon, le projet d’EPE Pluriel 2024 prend du retard… et pourrait se faire sans Lyon 2

Oriane Raffin Publié le
À Lyon, le projet d’EPE Pluriel 2024 prend du retard… et pourrait se faire sans Lyon 2
Les campus de l'université Lyon 1 Claude Bernard et Lumière Lyon 2. // ©  Laurent Cerino/REA, Stephane AUDRAS/REA
Alors qu'un établissement public expérimental, regroupant notamment les universités Lyon 1 et Lyon 2, devait être créé au 1er janvier 2024, les établissements ont du mal à se mettre d’accord sur la gouvernance du projet.

"Les gens sont assez dubitatifs - on ne comprend pas où la présidence veut aller", lâche un enseignant-chercheur de l’université Claude Bernard Lyon 1. Alors que le projet Pluriel 2024 prévoyait initialement la création d’un EPE, un établissement public expérimental, fusion entre Lyon 1 et Lyon 2, au 1er janvier 2024, le personnel doute - depuis plusieurs semaines déjà - de l’aboutissement du projet.

Le 27 avril, Lyon 1 a organisé une assemblée générale pour son personnel, afin de faire un point sur la situation, en présence de Frédéric Fleury, président de l’université, et de Hamda Ben Hadid, président du Conseil académique. "Ils ont principalement insisté sur les difficultés du projet, notamment son coût. Ils nous donnaient plutôt des arguments pour ne pas le faire. Ce n’était pas une présentation habituelle d’un porteur de projet", estime cet enseignant-chercheur, présent dans l’auditoire.

De nouvelles options à l’étude

Selon nos informations, trois scénarios ont été présentés pour la suite : d'une part, la fusion prévue initialement avec la création d’un EPE ; ensuite, la création d’une université commune, sans EPE, proposée par Lyon 2 mais pas retenue par Lyon 1 ou enfin ; un projet plus progressif, avec la création d’un EPE par Lyon 1 et l’école d’ingénieurs CPE Lyon, avec une association pour Lyon 2. En prévoyant une intégration plus tardive.

D’après les personnes présentes, la présidence pencherait désormais davantage pour cette troisième option. La création de l’EPE tel qu’imaginé initialement semble donc remise en question - ou a minima repoussée. Une situation qui trouve un écho particulier à Lyon, où, en 2020, l’échec d’un projet de fusion entre Lyon 1, Lyon 3, l’université de Saint-Etienne et plusieurs établissements avait entraîné la perte de l’Idex (Initiative d’excellence).

On a un peu l’impression que le président cherche désespérément toutes les combinaisons possibles. (Un enseignant-chercheur, membre du conseil d’administration de Lyon 1)

Même si les établissements sont différents aujourd’hui, les objectifs restent les mêmes : s’unir pour gagner en compétitivité sur la scène internationale. "Nous avons toujours été partants pour une fusion, partant du principe que la vraie compétition ne doit pas se faire entre nous, à Lyon, mais avec les autres universités, en France ou à l’international. Nous avons besoin d’émulation, d’un renforcement, ensemble", estime Gérard Pignault, directeur de CPE Lyon. L’école d’ingénieurs, privée, est actuellement associée par décret à Lyon 1. Dans le projet d’EPE, elle deviendrait établissement composante. La présidence de Lyon 1, contactée par EducPros, ne veut pour le moment pas communiquer auprès des médias. L’université de Lyon 2, pour sa part, souhaiterait une communication conjointe - et ne fait aucun commentaire en attendant.

Un manque de communication et de cohérence autour du projet

Peu avant cette AG, le personnel déplorait un manque de communication et de cohérence autour du projet. "On sait presque moins de choses que les médias, lance Pierre Beneteau, co-secrétaire de la CGT FERC Sup de Lyon 1. Nous avons les informations concernant la situation essentiellement par les collègues de Lyon 2."

"On a un peu l’impression que le président cherche désespérément toutes les combinaisons possibles", ajoute un enseignant-chercheur, membre du conseil d’administration de Lyon 1. Et en attendant que cela aboutisse, il déplore le statu quo au niveau de l’université. "Depuis 2017, il n’y a plus vraiment de projets. Les services centraux sont tournés à 100% vers la fusion. L’Idex au départ, l’EPE maintenant, avec des échéances repoussées puis annulées", poursuit cet enseignant-chercheur, qui dénonce un manque de concertation et d’information du CA - alors qu’il serait plutôt favorable à une fusion.

Il me semble que Lyon 1 et Lyon 2 croient au projet scientifique. Par contre, j’ai le sentiment que cela achoppe sur des questions de gouvernance. (G. Pignault, CPE Lyon)

"On a des collègues épuisés par ces réunions qui durent depuis dix ans et n’aboutissent à rien, tout en s’ajoutant à leur travail quotidien qui, lui, ne diminue pas", confirme Pierre Bénéteau.

Les questions de gouvernance au centre des tensions à Lyon

En l’état, la prochaine étape devrait être la rédaction du document d’orientation stratégique (DOS). Et c’est là que tout coince. "Il me semble que Lyon 1 et Lyon 2 croient au projet scientifique. Par contre, j’ai le sentiment que cela achoppe sur des questions de gouvernance, confie Gérard Pignault. C’est assez classique dans les projets de fusion ! On a tendance à sous-estimer l’écart culturel, bien que les établissements ont le même statut et se connaissent bien."

Lors de sa démission, en mars dernier, Yanick Ricard, administrateur provisoire de l’ENS de Lyon, avait pour sa part estimé, dans un communiqué qu’"aucune fusion ne sera réalisable sur le site avant que la plus grosse université du site, l’université Claude Bernard, ne cesse de confondre coopération et annexion. Les mêmes raisons qui ont fait fuir l’INSA, l’université Jean Monnet et abouti à l’échec de l’Idex me paraissent rendre improbable une fusion Lyon 1-Lyon 2."

Selon différentes sources, le désaccord porterait sur la place réservée aux représentants extérieurs à l’université au sein des instances de direction. L’université Lumière Lyon 2 étant davantage attachée à une représentation significative des acteurs universitaires dans les instances. "Le projet de gouvernance proposé par Lyon 2 a été majoritairement approuvé en CA interne, car il reste sur un modèle de démocratie universitaire - même s'il pourrait être perfectible en termes de représentativité des personnels BIATSS. En revanche, le modèle de Lyon 1, avec un conseil d’orientation stratégique composé à 50% d’extérieur qui donnerait les directives, nous fait craindre une réduction du rôle du CA à une simple chambre d’enregistrement", expose un représentant SNPTES de Lyon 2.

"Les universités ont des cultures de travail différentes, des partenaires différents, des organisations différentes, certains enjeux ne sont pas les mêmes… Ce n’est pas pour rien qu’il y a 50 ans, on avait distingué les trois universités lyonnaises, dans le sillage des clivages politiques post-mai 68", note-t-il. Si son syndicat n’est pas opposé par principe à une fusion, il reste cependant attentif aux modalités - craignant notamment un nivellement par le bas pour les personnels BIATSS. "Nous souhaiterions de toute façon avoir l’avis des collègues, à travers l’organisation d’AG, s’il y a des choses à négocier", estime le représentant.

Le projet ShapeMed sur la sellette ?

La CGT Ferc Sup craint quant à elle "un plan social déguisé pour les services communs" ainsi qu’à terme, une "hausse des frais d’inscription". Tout en restant vigilante sur les coûts occasionnés par une telle fusion. Si le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche encouragerait à détendre le calendrier, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : l’expérimentation des EPE se termine en 2028. Et par ailleurs, des élections aux présidences de Lyon 1 et de Lyon 2 sont prévues en 2024, ce qui risque - encore - de complexifier les échanges.

Enfin, dernière inconnue : quid du projet Shape-Med en cas d’échec de la fusion ? Créé dans le cadre de l’appel à projet PIA4 ExcellencES, il rassemble sept institutions lyonnaises autour d’un projet de recherche et de formations dans le domaine de la santé, avec 23 millions d’euros de financement sur dix ans. Si Frédéric Fleury s’est montré confiant sur sa pérennité, certains interlocuteurs sont plus prudents. "Pour nous, le ministère semble rêver de n’avoir qu’un seul interlocuteur, estime Pierre Beneteau de la CGT. Nous ne sommes pas certains que le projet puisse survivre à un échec de l’EPE."

Oriane Raffin | Publié le