Labos et entreprises en quête de profils mixtes business-recherche

Jean Chabod-Serieis Publié le
Labos et entreprises en quête de profils mixtes business-recherche
Toulouse Tech Transfer, société d'acceleration de transfert de technologies en Midi Pyrénées // ©  Lydie Lecarpentier / R.E.A
Dans l’amélioration du lien entre la recherche et sa commercialisation, les profils mixtes qui allient à la fois recherche et business sont les plus recherchés tant par les labos que par les entreprises, tous à la recherche d’un langage commun. Le point à l’occasion de la conférence EducPros du vendredi 19 juin "La Recherche, valorisation, financement : quelles stratégies adopter ?".

Pas vraiment chercheurs, pas vraiment entrepreneurs, mais un peu des deux. Ces profils rares sont à la fois tampons (ils évitent le choc des cultures) et passerelles (ils favorisent les échanges). Les labos les traquent pour commercialiser leurs travaux ; les entreprises les pistent pour faciliter le dialogue avec les chercheurs et évoquer le potentiel business sans risquer l'impair. "Trouver des profils orientés autant vers la recherche que vers le business est une tâche ardue du fait que peu de gens passent de l'une à l'autre de ces cultures", constate Alain Duprey, directeur général de l'association des instituts Carnot.

La mission des 34 Carnot : favoriser le partenariat – et la signature de contrats – entre laboratoires publics et entreprises. Sur les 165.000 chercheurs publics que compte la France, ces instituts en représentent 15% à eux seuls. Ils signent près de 800 millions d'euros de contrats. Pourtant, il faut encore muscler cette relation en misant sur le recrutement.

Des viviers naturels de recrutement

"Le vivier naturel des profils mixtes, juge-t-il, est composé de doctorants qui ne trouvent pas tous un emploi dans les labos publics et dont la voie logique – comme les Cifre [Conventions industrielles de formation par la recherche], par exemple – est souvent l'entreprise qui les a accueillis en thèse." Il y a aussi ceux qui viennent du monde de l'entreprise et qui sont embauchés dans des laboratoires publics.

Dans les Carnot, le recrutement hors chercheurs porte sur des profils de type technico-commerciaux, autrement appelés business developers, immergés dans les labos. "Leur culture scientifique n'est pas hors-pair mais elle leur permet de comprendre ce que font les chercheurs et de parler en même temps le langage de l'entreprise."

Former dès le cursus d'ingénieur

Ce constat d'opposition culturelle est partagé par Mathieu Bécue, responsable opérationnel du centre d'innovation sociétale Via Inno de l'université de Bordeaux. Il va plus loin, déplorant dans les entreprises "le cloisonnement entre la recherche fondamentale et les services qui commercialisent", et regrettant plus généralement que "personne ne maîtrise les compétences transversales : on a soit des ingénieurs, soit des gestionnaires-marketeurs. La rencontre de ces deux métiers est rare, voire hasardeuse. On doit encore créer ce métier".

L'objet de Via Inno est justement de construire des passerelles entre les chercheurs, les entreprises et les pouvoirs publics. "Nous donnons à l'université des indicateurs d'insertion dans son environnement économique ; nous développons des méthodes pour les pôles de compétitivité et les clusters ; et nous renseignons les pouvoirs publics qui décident ensuite des politiques de soutien à l'innovation." Le centre répond aussi à des demandes d'écoles d'ingénieurs pour des modules de formation à la veille technologique. "Pour l'instant, les ingénieurs apprennent sur le tas, pas en formation, souligne Mathieu Bécue. Il faudrait dispenser des cours bien plus tôt dans les cursus. C'est un manque fondamental – même pour nos start-up – de capacité d'analyses méthodologiques de leur environnement."

Trouver des profils orientés autant vers la recherche que vers le business est une tâche ardue du fait que peu de gens passent de l'une à l'autre de ces cultures.
(A. Duprey)

Jouer sur les statuts

La formation, c'est aussi le crédo des quatorze SATT, les sociétés d'accélération du transfert de technologie. Vincent Lamande est le président de la SATT Ouest Valorisation, à Rennes, qui accompagne les labos publics pour les mener jusqu'à la contractualisation avec une entreprise. "Notre outil principal, c'est la formation et la sensibilisation via des ateliers, des rencontres sur l'innovation, la propriété intellectuelle, la création de startup, etc."

Pour les chercheurs, la valeur ajoutée de la SATT se tient également dans l'accompagnement et le conseil. Vincent Lamande explique : "Nous organisons la mobilité professionnelle des chercheurs, c'est-à-dire la possibilité de travailler sur un projet commercial tout en restant titulaire dans leur labo. En 2014, nous avons accompagné 14 créations d'entreprise dont une sur le stockage propre d'énergie. Nous avons conseillé aux chercheurs qui ont imaginé cette technologie de devenir consultants pour la start-up sous le statut de 'concours scientifique', ce qui les engageait à ne pas passer plus de 20% de leur temps en entreprise. Toujours sous ce statut, ils pourront ensuite prendre des parts et devenir administrateurs."

Sensibiliser les PME

Favoriser le contact, pour rendre peu à peu les parois poreuses... Alain Duprey aime cet exemple : "Il y a six mois, une PME fabricant des pièces métalliques a mélangé deux lots de 5.000 pièces. Nous avons formé deux personnes de chez eux à l'utilisation de méthodes de contrôle non destructif. Ce n'était pas de la recherche en soi mais, grâce à cette prestation, la PME a rencontré dans les labos des interlocuteurs qui savaient prendre en compte ses problèmes quotidiens. Ils ont vu que la recherche savait traiter des problèmes concrets. Aujourd'hui, nous les initions à des projets de recherche et, à terme, ils recruteront des doctorants." Pour les instituts Carnot, c'est désormais sur ces PME que les efforts doivent porter pour développer la mixité recherche/business.

Conférence EducPros vendredi 19 juin
"La Recherche, valorisation, financement : quelles stratégies adopter ?"
Le programme

Jean Chabod-Serieis | Publié le