Les entreprises à la recherche d’un interlocuteur unique sur les campus
Désireuses de diversifier les profils de leurs recrues, les entreprises voient désormais au-delà des écoles d’ingénieurs et de commerce. La dizaine de recruteurs que nous avons interrogés prévoient d’intégrer de gros contingents d’universitaires parmi les jeunes diplômés qu’ils embaucheront en 2007. De 20 à 50 %. Du coup, différents types de partenariats universités-entreprises ont vu le jour : les journées Universyntec, la charte Phénix du MEDEF, la bourse PME…, les petits entrepreneurs restant sceptiques sur des formations qui ne leur semblent guère adaptées à leurs besoins. «Je n’ai jamais eu le sentiment que les responsables en université à qui j’ai eu affaire connaissaient réellement notre monde », assène Jean-Michel du Crest, directeur des ressources humaines (DRH) d’Imaje, PME de 600 salariés spécialisée dans la traçabilité et l’identification, près de Valence. Certes, les universités, préoccupées de l’insertion professionnelle de leurs diplômés, se rapprochent des milieux économiques. Manque pourtant un maillon essentiel à cette compréhension mutuelle : un interlocuteur dédié dans les facs. « Contrairement aux grandes écoles, qui ont toutes un responsable des relations entreprises, un bureau des élèves, un annuaire d’anciens, nous avons du mal à identifier un interlocuteur dans les filières universitaires qui nous intéressent, explique Véronique Leenhardt, responsable du recrutement à la DRH Groupe de la banque HSBC. Cette question interpelle les universités : «Je reconnais qu’il y a un problème de point d’accès, admet Salah Maouche, vice-président chargé des formations à l’Observatoire des formations et de l’insertion professionnelle (OFIP) de Lille. Mais il s’agit avant tout d’une question d’échelle :une grande école ne compte jamais plus de 1 000 ou 2 000 étudiants. À Lille, nous en avons près de 20 000! Nous sommes donc en train de réfléchir à la formule la plus adaptée : il s’agira probablement d’un point d’entrée commun à l’ensemble des filières, qui guidera étudiants et recruteurs dans une logique “métiers” construite à partir du Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). » Un dispositif qui devrait être opérationnel à la rentrée 2007. En attendant, chaque entreprise développe sa propre stratégie pour y voir clair !
La filature, la méthode d’UNILOG pour jauger les masters informatiques
Société de services en ingénierie informatique (SSII) prévoyant de recruter 1 800 collaborateurs, dont 70 % de jeunes diplômés, en 2007, Unilog affiche une ambition : recenser au moins 20 % de profils universitaires dans ce volume d’embauches. Pour y parvenir, la direction du recrutement a identifié 18 masters professionnels en informatique de gestion, avec lesquels elle a noué un partenariat. Mais il a fallu mener une enquête serrée pour les identifier : «Nous avons consulté les sites spécialisés et les classements connus dans la presse ou dans la profession. Puis nous avons croisé ces informations avec notre base de données de CV et notre expérience avec des stagiaires et des consultants issus de ces cursus, rapporte Dominique Dervieux, directrice du recrutement. Une enquête de longue haleine, engagée dès la réforme LMD, et que nous poursuivons en permanence. Car le terme même de master est ambigu : il faut vraiment se pencher sur le niveau de sélection à l’entrée, le programme, le corps enseignant, les intervenants, le nombre de stages obligatoires, l’association des anciens, etc., pour évaluer un cursus. Ce que tous les recruteurs n’ont pas forcément le temps de faire. » Ni les équipes. Aujourd’hui, des ingénieurs d’Unilog interviennent devant les étudiants pour présenter leur métier, participent aux forums de recrutement, proposent des offres d’emploi ou de stage. Une façon aussi de « filer » la qualité des diplômes et des diplômés.
Guide du LMD et palmarès maison chez Bouygues Construction
Ses managers opérationnels régulièrement amenés à recruter n’ont pas eu le temps de se pencher sur la réforme licence, master, doctorat (LMD) ? Qu’à cela ne tienne. La direction des RH de Bouygues Construction a pris les devants. L’an passé, elle a réalisé un livret explicitant les nouveaux diplômes universitaires. Elle le diffuse aujourd’hui à ses cadres. Une démarche volontariste que Martin Laurent, responsable des relations écoles, estime nécessaire dans un groupe qui prévoit de recruter 10 000 collaborateurs en 2007, dont 4 500 en France. « Généralement ingénieurs de formation, nos managers ont tendance à choisir des candidats qui leur ressemblent. Nous voulons les amener à penser aussi aux jeunes diplômés de l’université qui ont su faire preuve d’autonomie et de curiosité au cours de leurs études. » Pour aider à cette prise de conscience, le géant du BTP engage deux actions parallèles.
Primo, il noue des accords-cadres de partenariat avec des universités, comme Le Havre, Marne-la-Vallée, Paris 1 et Paris 2… Secundo, il a confié à un prestataire spécialisé (Hobsons Campus) le référencement et le classement de toutes les formations universitaires qui répondent à ses besoins. Un travail de fourmi, qui passe par le décryptage des centaines de masters professionnels formant des conducteurs de travaux, des spécialistes des études techniques, des études de prix, des finances, de la gestion… Une synthèse sera diffusée l’an prochain auprès de tous les managers : une façon de leur « mâcher le travail », selon les termes de Martin Laurent. «Nous pouvons ainsi les accompagner en phase de recrutement.
En leur présentant des stagiaires ou des candidats issus d’universités partenaires. Ou en leur exposant ce que valent les diplômes. »
Oublier le diplôme et juger sur pièce, le credo de HSBC
Banque internationale présente dans 76 pays, HSBC souhaite diffuser la culture anglo-saxonne du recrutement, « où l’on s’attache davantage à la personne et à son potentiel qu’à son diplôme », relève Véronique Leenhardt, à la DRH Groupe. Les Britanniques considèrent qu’un diplôme de niveau bac+5, quelle que soit sa spécialité (économie, mais aussi littérature, arts ou histoire), valide la capacité à apprendre d’un candidat. «Bien entendu, nous recrutons prioritairement des candidats issus de masters en mathématiques, statistiques, probabilités… poursuit Véronique Leenhardt. Mais nous ne nous interdisons pas d’élargir nos horizons : une jeune docteure en philosophie vient ainsi d’intégrer le service des appels d’offres de produits financiers. Nous lui avons naturellement donné une formation technique, et tout s’est très bien passé.» Pour jauger les personnalités et leurs capacités d’intégration, le groupe mise beaucoup sur les stages et l’alternance : plus d’un millier d’étudiants peuvent ainsi, s’ils font leurs preuves, intégrer l’entreprise.
Reste qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Sur les 100 cadres que l’entreprise de transport Keolis recrutera cette année, une quarantaine sera issue de la licence pro « transports de voyageurs urbains et interurbains » à l’IUT de Lille-Tourcoing, diplôme qu’elle a contibué à créer. «Mais il ne faut pas se leurrer : les filières universitaires qui nous plaisent fonctionnent sur la même logique que les grandes écoles, notamment en matière de sélection à l’entrée », pointe Isabelle Lerin-Basset, responsable du recrutement. À l’université, alors, de mieux faire connaître le contenu et la qualité de sa production.