Trier les diplômes de la fac, un travail de limier pour les recruteurs

Sabine Germain Publié le
Mieux vaut s’armer de courage pour se frayer son chemin dans le maquis des formations universitaires.  Une difficulté d’orientation qui, si elle déboussole maints étudiants, désarçonne aussi les entreprises, attirées avant tout par les diplômes professionnalisés. Pour s’y retrouver, chacune a sa stratégie…   Face au master professionnel « statistique, informatique et techniques numériques » de l’université Claude-Bernard-Lyon 1, que vaut le  même diplôme, intitulé « ingénierie statistique  et informatique de la finance, de l’assurance et du  risque », à Paris 10 ? Y a-t-il des différences ? Et sur quoi ?  S’ils veulent le savoir, les recruteurs ont intérêt à avoir le  goût de l’enquête. Et à cumuler les indices : liste  des enseignants et des intervenants dans les cursus, taux d’insertion et salaire moyen des diplômés, classements publiés par la presse. Ils peuvent aussi interroger des informateurs (stagiaires,  associations d’anciens élèves). Mais ils ne pourront guère compter sur l’aide des universités,  enfermées souvent dans leur propre jargon pour  s’y retrouver. «Je me souviens avoir voulu vérifier  le CV d’un candidat en appelant le responsable du  master dont il était diplômé, raconte Isabelle Lerin- Basset, responsable du recrutement et de la mobilité des  cadres chez Keolis (opérateur privé de transport public de voyageurs présent dans sept pays européens). Il n’a jamais voulu me répondre ! »  

Les entreprises à la recherche d’un interlocuteur unique sur les campus 

Désireuses de diversifier les profils de leurs recrues, les  entreprises voient désormais au-delà des écoles d’ingénieurs et de commerce. La dizaine de recruteurs que    nous avons interrogés prévoient d’intégrer de gros  contingents d’universitaires parmi les jeunes diplômés  qu’ils embaucheront en 2007. De 20 à 50 %. Du coup, différents types de partenariats universités-entreprises ont  vu le jour : les journées Universyntec, la charte Phénix du  MEDEF, la bourse PME…, les petits entrepreneurs  restant sceptiques sur des formations qui ne leur semblent guère adaptées à leurs besoins. «Je n’ai jamais  eu le sentiment que les responsables en université à  qui j’ai eu affaire connaissaient réellement notre  monde », assène Jean-Michel du Crest, directeur des ressources humaines (DRH) d’Imaje, PME de  600 salariés spécialisée dans la traçabilité et l’identification, près de Valence.   Certes, les universités, préoccupées de l’insertion   professionnelle de leurs diplômés, se rapprochent des milieux économiques. Manque pourtant un maillon essentiel à cette compréhension  mutuelle : un interlocuteur dédié dans les facs.  « Contrairement aux grandes écoles, qui ont toutes un  responsable des relations entreprises, un bureau des élèves,  un annuaire d’anciens, nous avons du mal à identifier un  interlocuteur dans les filières universitaires qui nous intéressent, explique Véronique Leenhardt, responsable du  recrutement à la DRH Groupe de la banque HSBC. Cette  question interpelle les universités : «Je reconnais qu’il y a  un problème de point d’accès, admet Salah Maouche,  vice-président chargé des formations à l’Observatoire  des formations et de l’insertion professionnelle (OFIP) de  Lille. Mais il s’agit avant tout d’une question d’échelle :une  grande école ne compte jamais plus de 1 000 ou 2 000 étudiants. À Lille, nous en avons près de 20 000! Nous sommes  donc en train de réfléchir à la formule la plus adaptée : il  s’agira probablement d’un point d’entrée commun à l’ensemble des filières, qui guidera étudiants et recruteurs dans  une logique “métiers” construite à partir du Répertoire  national des certifications professionnelles (RNCP). » Un  dispositif qui devrait être opérationnel à la rentrée 2007.  En attendant, chaque entreprise développe sa propre  stratégie pour y voir clair !  

La filature, la méthode d’UNILOG pour jauger les masters informatiques

Société de services en ingénierie informatique (SSII) prévoyant de recruter 1 800 collaborateurs, dont 70 % de  jeunes diplômés, en 2007, Unilog affiche une ambition :    recenser au moins 20 % de profils universitaires dans ce  volume d’embauches. Pour y parvenir, la direction du  recrutement a identifié 18 masters professionnels en  informatique de gestion, avec lesquels elle a noué un  partenariat. Mais il a fallu mener une enquête serrée  pour les identifier : «Nous avons consulté les sites spécialisés et les classements connus dans la presse ou dans la  profession. Puis nous avons croisé ces informations avec  notre base de données de CV et notre expérience avec des  stagiaires et des consultants issus de ces cursus, rapporte  Dominique Dervieux, directrice du recrutement. Une  enquête de longue haleine, engagée dès la réforme LMD,  et que nous poursuivons en permanence. Car le terme  même de master est ambigu : il faut vraiment se pencher  sur le niveau de sélection à l’entrée, le programme, le corps  enseignant, les intervenants, le nombre de stages obligatoires, l’association des anciens, etc., pour évaluer  un cursus. Ce que tous les recruteurs n’ont pas forcément  le temps de faire. » Ni les équipes. Aujourd’hui, des  ingénieurs d’Unilog interviennent devant les étudiants  pour présenter leur métier, participent aux forums de  recrutement, proposent des offres d’emploi ou de  stage. Une façon aussi de « filer » la qualité des diplômes  et des diplômés.  

Guide du LMD et palmarès maison chez Bouygues Construction 

Ses managers opérationnels régulièrement amenés à  recruter n’ont pas eu le temps de se pencher sur la  réforme licence, master, doctorat (LMD) ? Qu’à cela ne  tienne. La direction des RH de Bouygues  Construction a pris les devants. L’an passé, elle a  réalisé un livret explicitant les nouveaux diplômes universitaires. Elle le diffuse aujourd’hui à ses cadres. Une démarche volontariste que Martin Laurent, responsable des relations écoles, estime nécessaire dans un groupe qui prévoit de recruter 10 000 collaborateurs en 2007, dont 4 500 en  France. « Généralement ingénieurs de formation,  nos managers ont tendance à choisir des candidats qui  leur ressemblent. Nous voulons les amener à penser aussi  aux jeunes diplômés de l’université qui ont su faire preuve  d’autonomie et de curiosité au cours de leurs études. »   Pour aider à cette prise de conscience, le géant du BTP  engage deux actions parallèles.
Primo, il noue des  accords-cadres de partenariat avec des universités,  comme Le Havre, Marne-la-Vallée, Paris 1 et Paris 2…  Secundo, il a confié à un prestataire spécialisé (Hobsons  Campus) le référencement et le classement de toutes les  formations universitaires qui répondent à ses besoins.  Un travail de fourmi, qui passe par le décryptage des  centaines de masters professionnels formant des  conducteurs de travaux, des spécialistes des études  techniques, des études de prix, des finances, de la  gestion… Une synthèse sera diffusée l’an prochain  auprès de tous les managers : une façon de leur « mâcher  le travail », selon les termes de Martin Laurent. «Nous  pouvons ainsi les accompagner en phase de recrutement. 
En leur présentant des stagiaires ou des candidats issus  d’universités partenaires. Ou en leur exposant ce que  valent les diplômes. »   

Oublier le diplôme et juger sur pièce, le credo de HSBC 

Banque internationale présente dans 76 pays, HSBC souhaite diffuser la culture anglo-saxonne du recrutement,   « où l’on s’attache davantage à la personne et à son potentiel qu’à son diplôme », relève Véronique Leenhardt, à la  DRH Groupe. Les Britanniques considèrent qu’un  diplôme de niveau bac+5, quelle que soit sa spécialité (économie, mais aussi littérature, arts ou  histoire), valide la capacité à apprendre d’un candidat. «Bien entendu, nous recrutons prioritairement des candidats issus de masters en mathématiques, statistiques, probabilités… poursuit   Véronique Leenhardt. Mais nous ne nous interdisons pas d’élargir nos horizons : une jeune docteure en philosophie vient ainsi d’intégrer le service des appels d’offres de produits financiers. Nous lui avons naturellement donné une formation technique, et tout s’est très  bien passé.» Pour jauger les personnalités et leurs capacités d’intégration, le groupe mise beaucoup sur les stages  et l’alternance : plus d’un millier d’étudiants peuvent  ainsi, s’ils font leurs preuves, intégrer l’entreprise.
Reste qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même.  Sur les 100 cadres que l’entreprise de transport Keolis  recrutera cette année, une quarantaine sera issue de la  licence pro « transports de voyageurs urbains et interurbains » à l’IUT de Lille-Tourcoing, diplôme qu’elle a  contibué à créer. «Mais il ne faut pas se leurrer : les filières  universitaires qui nous plaisent fonctionnent sur la même  logique que les grandes écoles, notamment en matière de  sélection à l’entrée », pointe Isabelle Lerin-Basset, responsable du recrutement. À l’université, alors, de mieux faire  connaître le contenu et la qualité de sa production.

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