45% de femmes reçues à l'Ena : "Il était temps qu’elles prennent conscience qu’elles sont compétentes !"

Danièle Licata Publié le
45% de femmes reçues à l'Ena : "Il était temps qu’elles prennent conscience qu’elles sont compétentes !"
Gioia Venturini, directrice et vice-présidente Europe, Russie, Asie centrale, Afrique Sud-Saharienne chez Safran // DR // © 
Pour la première fois depuis sa création en 1945, l'Ena (Ecole nationale d'administration) compte 45% de femmes dans sa promotion 2014-2015. Elle-même diplômée de la prestigieuse institution en 2002 (promotion Copernic), Gioia Venturini est aujourd’hui directrice et vice-présidente Europe, Russie, Asie centrale, Afrique sub-saharienne chez Safran. Si elle se réjouit du nombre croissant de femmes occupant des postes à forte responsabilité, elle pointe aussi les difficultés persistantes qui entravent leur carrière professionnelle.

C’est une première depuis 1945 : l’Ena compte 45 % de femmes dans sa nouvelle promotion. Vous êtes surprise ?

Absolument pas. Cette progression est dans l’ordre des choses. Les filles sont meilleures en primaire, en secondaire et au lycée. Il est logique de les retrouver plus nombreuses dans les universités, les grandes écoles et à l'Ena. D’autant que les concours sont anonymes. Il ne peut donc y avoir de distinction des genres. Qu’elles soient plus nombreuses prouve qu’enfin, les jeunes femmes osent se présenter aux concours. Il était temps qu’elles prennent conscience qu’elles sont compétentes.

Pourtant en 2012, les femmes ne représentaient que 25% des cadres dirigeants et supérieurs de la fonction publique, alors qu’elles sont 52% parmi les agents. Comment expliquez-vous cela ?

Le plafond de verre est une réalité, et seule l’instauration des quotas pouvait faire bouger les lignes. A ce rythme, dans moins d’une décennie, on comptera autant de femmes que d’hommes à de hauts postes. Mais à quel prix ! Pour être reconnues, les femmes doivent travailler deux fois plus. Elles n’ont pas le droit à l’erreur.

Dans les entreprises comme dans la fonction publique, le paysage a, certes, changé. Pour autant, le référentiel culturel du management reste masculin. Les schémas liés au commandement restent des schémas guerriers. Le manager doit mouiller le maillot pour rapporter des contrats.

Et puis, n’oublions pas que nous sommes en période de crise ; les postes de direction sont rares. Et parce que les hommes ont su depuis leur plus jeune âge se tisser des réseaux, qu’ils entretiennent au quotidien, les postes vacants se transmettent entre eux. Les femmes doivent, elles aussi, fonctionner en réseaux, pour s’entraider d’abord et surtout pour se faire repérer.

Le plafond de verre est une réalité, et seule l’instauration des quotas pouvait faire bouger les lignes

Vous semblez dire, finalement, que la crise pénalise les femmes ?

La France est un pays qui ne tolère pas l’erreur, à l’inverse des Etats-Unis. La sanction est immédiate. Du coup, dans les entreprises, les décisions sont différées. Mais ce qui est incroyable, c’est qu’en dépit de ce contexte économique instable, les femmes se montrent beaucoup plus courageuses que les hommes. Elles sont entières et donc prêtes à défendre leurs idées, leur positions quitte à se mettre en danger.

Vous êtes aujourd’hui l'une des dirigeantes de Safran. Est-ce difficile d’être une femme manager dans cet univers d’hommes ?

D’être une femme oui, et qui plus est, de ne pas être ingénieure. C’était au départ la double sentence. J’ai réussi à convaincre que je me mérite mon poste. Je suis directement rattachée au comité exécutif du groupe, la direction générale internationale étant le bras diplomatique de Safran. Je suis en quelque sorte un chef d’orchestre, puisque je coordonne les actions des différentes filiales dans un pays donné ; j’établis des relations privilégiées avec les décideurs des différents pays de ma zone géographique.

Mais c’est vrai que moi aussi, j’ai dû travailler deux fois plus pour en arriver là, parce que je n’ai misé que sur mes compétences. Là où les hommes prennent le risque de solliciter un poste supérieur, même s’ils n’ont que 50% des compétences nécessaires, une femme attendra d’avoir toutes les capacités et l’expérience requises. Mais les efforts finissent par payer.

Quels conseils donneriez-vous à ces hauts potentiels en herbe qui sortiront en 2015 de l’Ena ?

Il y a quelques années je leur aurais dit : "osez !". Aujourd’hui, le message est passé. Et tant mieux pour la fonction publique comme pour les entreprises. Le privé et le public vont hériter de très hauts potentiels. Et toutes les enquêtes le démontrent : lorsque le management est féminin, la performance économique est meilleure. Aujourd’hui je leur conseillerais d’affûter leur sens politique.

La nouvelle promotion de l’ENA compte 45 % de femmes. Une première
Pour la première fois depuis sa création en 1945, l'Ena (Ecole nationale d'administration) compte 45% de femmes dans sa promotion 2014-2015 sur 80 élèves français issus de trois concours : 40 du concours externe (étudiants), 31 du concours interne (fonctionnaires ou agents publics) et 9 du troisième concours (candidats issus du secteur privé du secteur associatif ou disposant d’un mandat électoral).
Un sacré bond en avant puisque l’an dernier, elles ne représentaient que 28,75% des admis et 37,5% en 2011. Et un sacré exploit puisque cette année, 36% des candidats présents à l'examen étaient des femmes. Mieux encore, pour le seul concours interne, la part de femmes atteint même 61,3%, souligne l'Ena, actuellement dirigée par une femme, Nathalie Loiseau, pour la deuxième fois de son histoire.

Le fameux plafond de verre serait-il en passe d’être brisé ? Pas encore, ont admis les ministres des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem et de la Fonction publique Marylise Lebranchu, lors d’un colloque organisé mi-octobre 2013 à l’occasion de la semaine de l’égalité professionnelle.

En 2012, les femmes représentaient seulement 25% des cadres dirigeants et supérieurs de la fonction publique d'Etat, alors qu'elles étaient 52% parmi les agents, reconnaissent les ministres.

Mais la loi votée en mars dernier devrait faire avancer les choses, puisqu’elle prévoit l'instauration progressive, sous peine de pénalités financières, d'un quota de femmes parmi les hauts fonctionnaires nommés chaque année. De 20% depuis le 1er janvier, il sera porté à 30% à partir de 2015, puis à 40% en 2017.
Danièle Licata | Publié le