A. Aubertin (Isep) : "Le monde numérique ne peut pas se construire sans les femmes"

Clément Rocher Publié le
A. Aubertin (Isep) : "Le monde numérique ne peut pas se construire sans les femmes"
L'Isep école d'ingénieurs du numérique, prévoit un nouvel établissement à Issy-les-Moulineaux // ©  ISEP
Ancienne cadre de l'industrie, Aline Aubertin a franchi le pas du monde de l'enseignement supérieur en tant que nouvelle directrice de l'Isep, école d'ingénieurs du numérique depuis juin 2022. Elle reste à la tête de l'association Femmes Ingénieures, et souhaite continuer à promouvoir la mixité femmes-hommes et poursuivre le dialogue avec les entreprises.

Vous êtes présidente de l'association Femmes Ingénieures depuis neuf ans. Quelles sont vos principales missions ?

Cette association existe depuis 40 ans parce que nous avons la conviction que l'égalité femmes-hommes est source de richesse pour notre société. Nous menons de nombreuses actions pour attirer les filles dans les filières d’ingénieur. Nous faisons la promotion des métiers et des études d'ingénieur dans les collèges et lycées. Nous mettons en avant les ingénieures dans le monde du travail et les conseils d'administration. Cela doit passer par le plus haut niveau de gouvernance pour faire bouger les choses.

Aline Aubertin, directrice générale de l'ISEP
Aline Aubertin, directrice générale de l'ISEP © Fournie par l'établissement

Il y a un autre axe que j'ai souhaité développer en tant que présidente : renforcer l'attractivité auprès des personnes morales comme les écoles et les entreprises pour agir au cœur de l'écosystème. Ce n'est qu'ensemble qu'on peut faire bouger les choses. Il faut pouvoir agir à tous les maillons de la chaîne pour faire connaître les métiers d'ingénieur. Nous avons une industrie qui a besoin de talents et c'est d'autant plus vrai dans le secteur du numérique.

Avez-vous l'impression que la situation a évolué depuis le début de votre mandat de présidente ?

Les chiffres dans les écoles d'ingénieurs ne décollent pas. On stagne avec 30% de femmes inscrites dans les formations d'ingénieur. Ce qui a vraiment changé en neuf ans – et ce qui me donne de l'espoir – c'est que le sujet de la diversité est maintenant pris à bras-le-corps par les pouvoirs publics. On sait désormais que la mixité femmes-hommes est source de performance. On a énormément d'études qui le démontrent.

On sait désormais que la mixité femmes-hommes est source de performance.

Je pense que les entreprises ont aussi compris que 50% des clients sont des femmes. Il faut les impliquer dans les process. On peut passer à côté de signaux faibles et être à côté de la demande du marché en se privant de cette diversité de regard. On ne peut pas se passer des talents féminins.

Vous êtes directrice de l'Isep depuis juin 2022. Pourquoi ce nouveau tournant dans votre carrière ?

Il y a un lien à faire entre mes deux vies : celle de cadre de l'industrie et l'autre dans mon engagement associatif. Si le monde de l'industrie et le monde de l'enseignement se parlaient davantage, si davantage de personnes passaient d'un monde à l'autre, il y aurait plus de facilité à se comprendre et à créer de la valeur. Si les industriels allaient chercher plus de talents parmi les enseignants-chercheurs du monde universitaire ou des écoles, ils comprendraient mieux comment fonctionne l'enseignement.

C'est la dernière ligne droite de carrière. Je me suis demandé où mes expériences, mon réseau et mes compétences, pourraient être le plus utiles et impactantes. J’ai constaté que mon expérience associative a nourri le développement de mes compétences professionnelles et réciproquement. L’idée de faire converger les deux à la tête d’une école d’ingénieurs, s’est imposée à moi.

En tant que première femme directrice de l'Isep, faites-vous de la mixité votre premier défi ?

Oui, je souhaite faire de l'Isep l’école du numérique où il y aurait le plus gros pourcentage de filles, actuellement nous en sommes à 22% d'étudiantes. Or, le monde numérique ne peut pas se construire sans les femmes. Les entreprises nous disent aussi qu'elles veulent recruter plus de femmes.

Mais ma démarche ne se limite pas qu'à cet objectif, je recherche la diversité au sens le plus large du terme. Le champ des possibles doit s'ouvrir pour les filles, mais aussi quelle que soit la classe sociale à laquelle on appartient. Seulement 15% des élèves du supérieur sont issus de classes défavorisées.

Vous souhaitez aussi rapprocher l'école et les entreprises. Comment allez-vous procéder ?

Il faut réfléchir à la manière de former les ingénieurs qui répondront aux défis de ce monde. Nous devons mettre l’entreprise au cœur de l’école afin qu'elle vienne donner des conférences, des cours et qu'elle apporte une contribution en matière de recherche.

Il faut aussi voir comment l’entreprise s’engage par le biais de l'apprentissage pour aider les jeunes qui n'ont pas les moyens pour financer leurs études. Nous devons aussi être en phase avec le monde de l'entreprise pour comprendre les enjeux de demain et orienter les formations de l'école.

Quels sont les autres chantiers qui vous attendent à l'Isep ?

Nous avons pour ambition d'augmenter la taille de l'établissement dans le but de répondre aux besoins du secteur du numérique. Nous avons pour projet de nous installer sur un nouveau site à Issy-les-Moulineaux. L'école y est déjà bien implantée et la ville offre un écosystème favorable au numérique. Nous venons de déposer le permis de construire. Le nouveau bâtiment sera livré d'ici 2025-2026.

Nous avons besoin de plus d'espace pour accueillir plus d'étudiants et mettre en place de nouvelles formations comme les bachelors. On voit que le secteur du numérique arrive à une certaine maturité : il a besoin de professionnels pour qui le niveau bachelor conviendrait très bien. Nous avons aussi pour ambition de nous développer en allant dans d’autres régions de France. On regarde du côté de Bordeaux.

Clément Rocher | Publié le