Après quatre ans d'activité, le collectif "Scientifiques en rébellion" (SER), qui rassemble environ 500 chercheurs, enseignants-chercheurs, doctorants et post-doctorants engagés contre l'inaction climatique, sort un ouvrage collectif intitulé "Sortir des labos pour sauver le vivant". Il invite les scientifiques à "sortir de la neutralité".
Rencontre avec deux des co-auteurs, Andrée De Backer, chercheuse en sciences des matériaux à l'université de Lille et Jack Berat, doctorant en astrophysique à l'École normale supérieure.
Comment est structuré le collectif "Scientifiques en rébellion" ?
Jack Berat : Le collectif est composé de groupes locaux, dans certaines grandes villes de France. C'est un fonctionnement très horizontal. Si l'un des membres a une idée d'action, quelle qu'elle soit, il peut la mettre en œuvre avec le collectif au niveau national ou au niveau local. Chacun apporte ses propres compétences et envies. Des groupes de travail peuvent également se former, sur une question particulière, comme ce fut le cas pour l'écriture du livre.
Andrée De Backer : "Scientifiques en rébellion" est aussi la branche française du mouvement mondial "Scientists Rebellion", qui porte des causes écologistes sur le plan planétaire, avec une prise en compte des aspects liés à la décolonisation et aux injustices climatiques.
À l'échelle de la France, nous sommes plutôt plongés dans des luttes locales, telles que, récemment, la mobilisation contre l'A69. Mais nous menons également des luttes convergentes, comme en mai, avec la campagne "Liquidation totale", qui visait à dénoncer les investissements de Total Energies dans les énergies fossiles. "Scientifiques en rébellion" est également en lien avec d'autres collectifs.
Pourquoi avoir souhaité faire paraître un ouvrage ?
J.B. : Le collectif a atteint une certaine maturité. Il nous semblait important d'exprimer nos engagements et de diffuser nos idées, en visant plus particulièrement nos collègues, pour leur montrer qu'il est possible de s'engager. Outre des scientifiques, nous sommes aussi des citoyens, dont l'engagement peut peut-être renforcer la parole portée, notamment auprès des médias.
A.D.B. : Ce livre est également un moyen de dresser un premier retour d'expérience sur nos actions.
Des actions qui sont principalement portées par la désobéissance civile…
J.B. : Ce mode d'action est complémentaire à d'autres moyens de lutte, plus classiques.
L'histoire montre l'intérêt de la désobéissance civile non violente. On peut écrire des tribunes, participer à des réunions intergouvernementales, mais je ne suis pas sûr que ces actions montrent suffisamment l'urgence de la situation. La désobéissance civile permet d'adopter une autre posture, pour aller plus loin.
Votre ouvrage est ainsi un appel aux scientifiques de "sortir de la neutralité".
J.B. : La neutralité est impossible à atteindre et elle n'est pas souhaitable. L'objectif de ce livre est de montrer que l'on peut assumer cette part d'engagement, face à une urgence que nous ne voulons pas nous contenter de décrire.
Nous voulons prendre part à la transformation de la société, pour qu'elle soit plus équitable et plus pérenne à vivre. Ceci implique de conserver notre rigueur scientifique, ce qui n'est pas antagoniste avec l'engagement.
Le comité d'éthique du CNRS reconnaît la "liberté des scientifiques de s'engager publiquement", quand l'université de Lausanne dit "promouvoir une culture de l'engagement". Vous sentez-vous soutenus par vos institutions lors de vos actions ?
A.D.B. : Nous recevons un certain soutien. Mais nos institutions restent aux prises d'un système d'influences, et nous dictent des injonctions contradictoires.
J.B. : Exactement. On nous dit qu'il faut s'engager pour sauver la planète, mais on nous demande en même temps de publier sur des recherches souvent néfastes pour la planète...
A.D.B. : Nous n'attendons pas uniquement un soutien de leur part lorsque nous portons des actions : nous souhaitons qu'elles s'engagent à leur niveau pour opérer des changements structurels.
Les craintes des répercussions professionnelles sont-elles un frein à l'engagement ? Dans l'ouvrage, vous racontez avoir mené des "crash tests", afin d'identifier si les membres du collectif avaient été pénalisés, pour l'accès à des postes ou des avancements de carrière. Des tests qui ont été "généralement franchis positivement"…
A.D.B. : En effet, mais ce crash test n'a pas été positif pour au moins deux personnes de notre collectif, qui se sont senties isolées de leurs collègues.
J.B. : Personnellement, j'ai beaucoup réfléchi avant de m'engager. S'engager dans une démarche de rébellion, entraîne des conséquences ne serait-ce que personnelles. Ça fait peur ! Mais la peur de l'urgence en jeu est plus grande…
À la fin de votre livre, vous vous interrogez sur la stratégie à adopter : poursuivre les actions de désobéissance civile ou "revenir à des mobilisations moins engageantes mais plus massives".
J.B. : Je comprends qu'on veuille oublier la notion d'efficacité pour multiplier le nombre d'actions, mais à quel point souhaitons-nous réduire nos actions à cela ? C'est une question que l'on se pose souvent, sous le prisme de l'efficacité.
A.D.B. : Nous assumons l'aspect radical de notre collectif. Mais dans le désir d'élargir nos rangs, il pourrait être nécessaire d'accepter des formes plus douces et plus diluées de cette posture… Au risque toutefois de perdre notre identité, de devenir moins lisibles, et finalement de perdre certains membres.