A. Guilhon (CDEFM) : un référentiel DDRS "déployé dans tous les établissements d'ici trois ans"

Thibaut Cojean Publié le
A. Guilhon (CDEFM) : un référentiel DDRS "déployé dans tous les établissements d'ici trois ans"
Alice Guilhon, directrice de Skema Business School et présidente de la CDEFM, répond aux questions d'EducPros. // ©  CGE
A l'occasion du colloque "Transition écologique et sociale : comment nous (trans)former face à l'urgence ?" dont EducPros est partenaire, la CDEFM lance ce vendredi 9 juin son référentiel de compétences et de connaissances DD&RS. Ce référentiel liste six objectifs pour les niveaux bachelor et master. Chacun d'entre eux détaille plusieurs compétences que les étudiants devront acquérir à l'issue de leur cycle d'études. Alice Guilhon, présidente de la CDEFM présente ce travail à EducPros.

Comment a été élaboré le référentiel de compétences (à consulter ci-dessous NDLR) sur les enjeux de transitions environnementales et sociales ?

Les grandes écoles de commerce sont concernées par la formation aux enjeux de développement durable et de RSE. On a été beaucoup interpellé par les étudiants, les entreprises, toutes les parties prenantes. Et on s'est tous questionnés.

Quand le ministère, sous l'égide de Frédérique Vidal, a dit qu'il devait y avoir un socle de formation pour tous, la Conférence des directeurs des écoles françaises de management (CDEFM) a voulu faire ce travail propre aux enseignements dans les écoles de commerce, avant de le connecter avec le ministère.

L'idée du référentiel est de systématiser les éléments de développement durable et de responsabilité sociétale (DDRS), là où ils étaient plus ou moins développés selon les établissements.

La commission RSE a été mandatée pour travailler avec deux personnalités de la Commission d'évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG) : Claire Bordenave et Jérôme Chabanne-Rive. Ils ont écouté beaucoup de personnes, étudiants et enseignants notamment, et ont créé ce référentiel de compétences et de connaissances, à la fois pour le cycle licence (bachelor), et pour le cycle master.

Quel calendrier et quelles contraintes sont donnés aux écoles de commerce ?

Le référentiel a vocation à être totalement déployé dans tous les établissements de la CDEFM d'ici trois ans. Après l'annonce vendredi (aujourd'hui, NLDR), on demandera aux écoles et à leur gouvernance une sorte de déclaration d'intention. On ne demandera pas à tout le monde de faire la même chose : chacune respectera sa stratégie. Certaines écoles ont d'ailleurs déjà des politiques.

L'idée du référentiel est de systématiser les éléments de développement durable et de responsabilité sociétale (DDRS)

Pour la deuxième année, l'idée est de mettre en place des plans d'action. Est-ce que tous les cours sont concernés ? On ne veut rien imposer, chaque école verra son niveau de granularité, même s'il y aura des incitations.

Enfin la troisième année, on verra les mesures concrètes : est-ce que le référentiel DD RSE a été suffisamment déployé ?

Quelles seront ces incitations ?

L'idée est d'accompagner et d'évaluer les écoles de management. La CEFDG sera dans l'évaluation et la CDEFM dans l'accompagnement. On va travailler sur un ensemble de critères d'évaluation auxquels les écoles devront répondre pour avoir le grade. Par exemple : le nombre de cours, de programmes, de travaux de recherches, etc.

Un tel référentiel demande un travail très profond de recherche, de révision des maquettes et d'engagement des professeurs. Pouvoir développer une approche totale va prendre entre un et deux ans. On laisse donc trois ans avant d'entrer dans un dispositif de mesures. Mais on va quand même mesurer dès la première année l'engagement des écoles, au bout de deux ans les plans d'actions, et après trois ans les résultats.

Comment va se concrétiser l'accompagnement des écoles ?

Au sein de la commission DD RSE présidée par Bruno Neil, on va mettre au point des séminaires pour accompagner cette transition, et on va mettre en place une cellule, avec la CEFDG, pour expliquer ce que signifient différents points du référentiel. Cela prendra une ou deux années. Pour la forme précise, c'est encore tout chaud, on est en train d'y travailler.

Les enjeux du développement durable semblent concerner, de prime abord, les domaines plus scientifiques : comment adapter les enseignements de management ?

Les écoles de commerce se sont depuis longtemps appropriées les 17 objectifs de développement durable (ODD) pour créer des programmes autour du management du DD et de la RSE. Cela nous affecte beaucoup. Par exemple, insérer un cours de finance durable ou enseigner la croissance et la décroissance font partie de nos attributions.

Les écoles de commerce se sont depuis longtemps appropriées les 17 objectifs de développement durable (ODD) pour créer des programmes autour du management du DD et de la RSE

Maintenant, comment les étudiants vont apprendre en ayant en tête ces ODD ? Si vous mettez un cours sur l'application des droits de l'homme à l'échelle d'une organisation, c'est pleinement notre rôle. On est très à l'aise avec ces notions de climat, de durable, de croissance raisonnée ou mesurable.

Est-ce que c'est ça le "management environnemental" mentionné dans le référentiel master ?

C'est l'un des points. Le management environnemental, c'est par exemple apprendre le déconditionnement des centrales nucléaires. C'est du management de l'environnement : faire des usines propres, bas carbone, du retraitement des déchets, etc.

La responsabilité sociale de l'entreprise, c'est aussi un management social, pérenne, empathique, soutenable, qui prône la réduction des inégalités et l'égalité des sexes. Le volet humain est important et tous les publics doivent trouver une place.

Le référentiel bachelor souhaite que les étudiants puissent "imaginer de nouveaux modèles économiques". Pour des étudiants de premier cycle, c'est un vrai défi...

Plus que les étudiants de master, je pense que ce sont eux qui peuvent le faire ! Les plus jeunes sont plus facilement des vecteurs de changement que leurs aînés, car ils arrivent assez frais et avec des convictions plus fortes que leurs camarades plus âgés.

Les bac+3 ont en tête les nouveaux modèles et sont enclins à créer des boites pour changer de business : ils se tournent vers la création d'entreprises communautaires, dans l'entrepreneuriat local.

Ils apportent ces idées de circuit court et de retour au terroir. Et cela obligera aussi les recruteurs à appliquer des modèles pour attirer ces jeunes.

Un objectif du référentiel master est de savoir "analyser le bilan carbone d'une organisation". Est-ce que tous les cadres de demain devront savoir calculer un bilan carbone ?

Pas nécessairement. Mais ils devront savoir comment ça marche, même si ce n'est pas eux qui vont le faire. En ayant vu et compris comment le faire, un jeune diplômé saura mettre en œuvre un bilan carbone en arrivant dans une entreprise.

Est-ce que le référentiel de la CDEFM permettra aussi d'obtenir le label DDRS ?

Ce travail va aider. Si vous développez le référentiel de compétences, vous aurez fait une bonne partie du chemin.

Au-delà d'un référentiel pédagogique, comment les établissements peuvent eux aussi adapter leurs stratégies ? Est-ce qu'elles doivent revoir leurs partenariats avec des entreprises comme Total ?

D'abord, même si nous sommes des associations, on doit se l'appliquer à nous-mêmes. Nous avons un devoir d'exemplarité. Vis-à-vis des entreprises, la position à adopter dépend de chaque école. Mon point de vue personnel, c'est de ne surtout pas boycotter une entreprise qui n'aurait pas encore entamé ces démarches. Si elles veulent recruter des talents qui les transformeront, il faut qu'elles soient ouvertes à nous.

Je pense qu'aujourd'hui il n'y a pas une entreprise qui ne fait pas sa transition. L'objectif, c'est que, grâce aux jeunes générations, on arrive à engager des transformations profondes. J'assume qu'il faut dire à ces entreprises : "Est-ce que vous êtes prêts à écouter les jeunes ? On vous accompagne et vous devez montrer à nos diplômés que vous êtes dans cette transition." Aussi, je n'arrêterais pas les partenariats mais je les requestionnerais à l'aune de ces changements.

L'objectif, c'est que, grâce aux jeunes générations, on arrive à engager des transformations profondes.

Cela ne veut pas dire qu'il faut attendre que les jeunes soient formés, mais qu'il faut le faire ensemble. Tout doit se faire ensemble : c'est systémique. Si on attend chacun que l'autre ait fait un pas, ce sera très long. Après, transformer une entreprise de 300.000 personnes ne se fait pas en dix jours.

Consulter le référentiel DD&RS de la CDEFM

Thibaut Cojean | Publié le