Alain Cadix : "On ne peut pas continuer à demander autant à toutes nos universités"

Céline Authemayou Publié le
Alain Cadix : "On ne peut pas continuer à demander autant à toutes nos universités"
Selon Alain Cadix, administrateur délégué du Centre Michel Serres, la superposition des missions demandées à l'université les rend impossibles à assurer. // ©  Denis Allard / R.E.A
Rédacteur en chef invité d’EducPros, Alain Cadix, administrateur délégué du Centre Michel Serres, commente l’actualité du mois de mars 2016. Sélection, augmentation des droits de scolarité, délivrance du master… L’organisation de l’enseignement français doit être repensée à la base. Il en va de la "renaissance" du système, selon ce membre de l’Académie des technologies.

Sélection en master : "On se trompe de combat"

"La sélection en master est largement débattue depuis quelques semaines. Sélectionner au milieu d'un cycle universitaire reste pour moi, depuis 2002, une aberration. Mais la question de la sélection doit être posée de façon plus large.

Aujourd'hui, seuls 40% des étudiants entrés en L1 obtiennent, au bout de trois ou quatre ans leur diplôme. Ce qui veut dire que 60% d'entre eux tombent en cours de route. Quelle est la sélection la plus juste ? Celle qui est pensée, concertée, ou celle qui se construit sur l'échec des jeunes ? Je suis pour une sélection au mérite, qui ne ferait pas de l'argent et de la catégorie socio-professionnelle des parents des conditions de réussite. Or on le voit dans les chiffres : le décrochage est corrélé à l'origine sociale des étudiants.

Les propos de Najat Vallaud-Belkacem m'interpellent : pour la ministre, la sélection est "profondément rétrograde". Or, ce n'est pas la sélection, par principe, qui pose problème mais l'accompagnement inadéquat des jeunes depuis leur plus jeune âge. Il faut véritablement faire renaître le système éducatif, en repenser les bases et pour cela déployer les moyens et les innovations pédagogiques sur le primaire et le collège. À l'heure actuelle, chaque étage essaye de pallier les défaillances des étages inférieurs. Ce n'est pas tenable quand on arrive aux paliers universitaires..."

Droits de scolarité : " l'obligation pour les établissements de trouver de nouvelles ressources"

"Il serait bon de revisiter les propositions de Talleyrand à la Constituante en 1791 : 'Il est une instruction absolument nécessaire à tous. La société la doit à tous. Il est une instruction qui, sans être nécessaire à tous, est pourtant nécessaire dans la société en même temps qu'elle est utile à ceux qui la possèdent. La société doit en assurer les moyens ; mais c'est aussi aux individus qui en profitent à prendre sur eux une partie des frais de l'application.'

Une fois ce principe adapté à notre temps, reste à savoir où se place le curseur entre les deux types d'instruction évoqués ? Faut-il considérer que le "nécessaire à tous", ou presque tous, est au niveau baccalauréat ? Ou au niveau licence ? Deux options qui sont défendables. Se pose alors la question du montant des droits. L'échelle proposée par l'Institut Mines-Télécom, de 0 à 2.150 euros pour ses droits d'inscription ne me choque pas. De 0 à 3.000 ou 4.000 euros, en fonction des ressources, ne me choquerait pas plus. Mais il faut bien dire de 0 à X euros !

Ceux qui s'élèvent contre l'augmentation des droits oublient que ce sont bien ici les plus aisés qui paient le plus. Prenez Dauphine, des conditions ont été mises en place qui sont plus généreuses et justes que le seul système des bourses d'État. D'autres proposent des aides supplémentaires... Je ne vois alors pas où est le problème.

Il faut bien avoir en tête que les établissements, notamment publics, doivent se contenter du maintien à niveau de leurs dotations, au mieux... Pour vivre, pour progresser, ils doivent trouver des ressources nouvelles. Parmi elles, les frais de scolarité, des nationaux et des autres."

Écoles et masters : "le statut administratif n'a rien à voir avec la qualité académique"

"En privant certains établissements du droit de délivrer des diplômes nationaux de master, l'État tient, de longue date, une position injuste, fondée sur un principe de monopole archaïque : comment expliquer qu'un statut administratif ouvre ou ferme des portes ? On parle des écoles consulaires et privées, mais il ne faut pas oublier les établissements publics (Epic, EPCC) qui ne sont ni EPA, ni EPSCP – à ce jour, les deux seuls à pouvoir délivrer des DNM.

Cette situation pousse les écoles à faire des montages avec des universités qui débouchent sur des compromis en demi-teinte, où les marques perdent en visibilité.

À partir du moment où une structure d'évaluation, en l'occurrence l'HCERES, reconnaît la qualité académique de formations et d'établissements qui les délivrent, je ne vois pas pourquoi les statuts entrent en jeu. J'ajoute, en passant, que la dualité diplôme/grade est une spécificité nationale incompréhensible hors de nos frontières."

Carte blanche - Rôle de l'université : "Une superposition de missions périlleuse"

"Pendant soixante ans, les gouvernements ont créé des universités sur l'ensemble du territoire. L'heure, depuis peu, est aux regroupements, pour être vu de Shanghai. C'est un changement complet de philosophie. Il s'agit de passer, en cinq à dix ans, d'une logique constante d'aménagement du territoire à une logique nouvelle de visibilité internationale, sur un marché où la compétition est mondiale.

Quelles sont donc les missions de l'université ? Couvrir le territoire, gérer à la fois la masse et la pointe, rattraper des défaillances du secondaire, être visible de l'étranger ? Tout cela à la fois ? On lui en demande trop !

On est en droit de s'interroger en particulier sur la capacité d'établissements de petite taille à couvrir un large champ de disciplines sur le triptyque LMD. Ne faut-il pas aller vers des établissements universitaires de proximité sur tout le territoire, proposant surtout des formations de niveau licence, et avoir quelques grands établissements régionaux permettant de poursuivre jusqu'au doctorat sur un large spectre disciplinaire ?

J'ai conscience que cela pose des questions, notamment celle de la mobilité des enseignants et des étudiants. Mais on ne peut pas continuer à demander autant à toutes nos universités. La superposition de ces missions les rend impossibles."

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