Par quels détours êtes-vous venu à la formation ouverte et à distance (FOAD) ?
J’avais beaucoup participé à l’installation du Minitel en France, puis travaillé avec Bell Canada pour l’installation d’Alex, son équivalent québécois. Quand je suis revenu, j’étais sidéré qu’Internet ne fasse pas partie, en 1989, des cours d’informatique du CNAM. J’ai intégré des cours de réseau et d’Internet dans le cycle A d’informatique (équivalent bac + 2). En 2000, le Conservatoire a lancé l’UTLS (université de tous les savoirs) avec une conférence par soir, ouverte à tous, pendant un an. Samedis et dimanches compris. Cela me semblait très bien, mais très parisien. On a donc tenté de capter et de diffuser dans les 28 CNAM régionaux ce qui se passait dans l’amphi parisien. Cela a marché très moyennement, pour des raisons techniques. On se faisait engueuler par les centres qui faisaient venir du public…
Puis l’évolution du CNAM vers la formation à distance est arrivée à point…
Au début des années 2000, le plan quadriennal du CNAM a en effet mis la priorité sur la FOAD. Une évidence, puisque tout inscrit au Conservatoire est en situation de travail et ne peut avoir de temps libre que le soir et le week-end. J’ai été nommé directeur du Ceante (Centre d’études et d’applications des nouvelles technologies éducatives) , installé à Nantes, jusqu’en 2007. Cet institut transversal (veille pédagogique, technolopgique, évaluation financière…), non exclusivement réservé aux informaticiens, avait déjà une grosse expertise dans la FOAD avec une plateforme régionale maison, Plei@d . À l’époque, Moodle n’existait pas et le ministère se faisait assiéger par les plateformes commerciales. J’ai voulu que cette plateforme interne soit déployée nationalement dans les autres centres du CNAM et que tout enseignant, administratif ou élève y ait un compte. On a eu la chance énorme que le réseau régional du CNAM soit fondé sur des « PME » au statut assez réactif. De plus, si le Ceante n’avait pas été installé en région, on ne l’aurait pas fait. Ce déploiement a aussi pu être un succès parce que je suis un prof qui parle à des profs. Cela passait car j’étais du sérail, même si j’étais à la tête du Ceante. Un autre de nos atouts était de ne pas s’être inscrit dans les normes (le Scorm, par exemple…) imposées par le ministère. Le ministère distribue des millions aux universités, alors qu’un studio de cours coûte 3.000 € et un amphi tout équipé 45.000 €.
Comment avez-vous réussi à diffuser ce mode d’apprentissage dans une institution éclatée géographiquement ?
Nous avons réparti les 30 centres régionaux (deux dans les DOM-TOM) dans cinq grandes régions, dotée chacune d’une plateforme Plei@d avec trois personnes ressources. Et nous avons introduit des studios de cours (caméra, TBI…) qui permettent de retransmettre des cours d’abord en direct (mais les profs paniquaient) puis aujourd’hui en différé sur la plateforme pour les inscrits en FOD. Une centaine de studios fixes ou mobiles sont installés dans toute la France. Des règles du jeu ont été imposées aux différents centres. Des conventions ont été passées avec des formateurs en région pour assurer du tutorat. Ils doivent répondre aux questions postées sur le forum en moins de 48 heures, par exemple. À l’université, il faut que les profs pensent d’abord, les outils viennent après. Au CNAM, on a fait l’inverse : on a d’abord pensé aux outils, les enseignants sont venus ensuite. À Bordeaux, l’université utilise les salles de cours équipées du CNAM… On utilise une technologie de compromis : on n’a pas de caméraman ni de preneur de son. Après avoir été formé, le prof appuie simplement sur un bouton dans le studio de cours pour lancer la captation. Je suis contre les services d’aide, qui font retomber dans l’assistanat. Les ingénieurs pédagogiques aident les profs à construire leur cours, mais pas à utiliser les outils. Si ça tombe en panne, il ne faut pas dramatiser, ce n’est pas Ariane ! Avec les studios de cours, on a pu former 25.000 personnels de santé sur la grippe aviaire, alors que les universités ont été incapables de s’en charger ! Pléi@d est la première plateforme de formation en France, mais on est très mauvais en com’.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Dans un premier temps, les enseignants parisiens, universitaires, se sont crispés vis-à-vis de la FOD par crainte de ne plus voir venir les élèves à leur cours. À mesure que ceux-ci se tournaient vers la FOD, ils se sont sentis dépossédés de leur savoir par les centres régionaux. Les vacataires en région ne peuvent délivrer leur cours, en FOD ou en présentiel, sans l’agrément des professeurs parisiens. Au départ, ils étaient réticents à agréer des vacataires faisant de la FOD en région. Aujourd’hui, c’est tellement important que c’est passé dans les mœurs.
Qu’est ce que la formation à distance a changé dans la pédagogie ?
400 unités d’enseignement sur 1.200 sont disponibles sur la plateforme en droit, ressources humaines, informatique, électronique… De nouvelles formes pédagogiques en « semi-présentiel » se sont mises en place depuis trois ans et sont en train de monter en puissance. On constate que de plus en plus d’élèves ne s’inscrivent plus à la FOD en raison de leur éloignement. C’est un choix pédagogique et plus par défaut. On constate que dans la FOD, ce n’est pas la distance qui est gênante, mais le fait que les cours ne soient pas consultés en même temps. Les studios de cours permettent de pallier cela en faisant du « présentiel distant ». Certains élèves viennent en cours et les cours en ligne sont un outil supplémentaire. Le plus gros gain pédagogique est le couplage entre une diffusion sur la plateforme en direct et en différé. Je ne fais plus mon cours de la même façon. Des documents sont consultables en ligne et trois semaines plus tard je fais un cours où je réponds aux questions. Les pré-requis sont vus avant et on approfondit en cours.
Alain Cazes est une espèce hybride. Universitaire de son état, professeur d’informatique nomade ayant enseigné à Paris 9, Paris 6, Montpellier, au Brésil et à Montréal, il entre au CNAM après son séjour canadien, à la fin des années 1980. Depuis, son champ d’extension est celui de la FOAD (formation ouverte et à distance) dans ce temple de la formation professionnelle. Aujourd’hui chargé de mission sur les studios de cours et consultant pour le Conservatoire, il peut se targuer d’un succès de poids : 18 % des auditeurs du CNAM (soit 18.000) sont inscrits en FOD, contre 2 % dans les universités. Rencontre avec celui qui a fait entrer l’institution bicentenaire dans l’ère de l’enseignement à distance.
Un nouveau volet de notre série « Les entrepreneurs pédagogiques ».