Alberto Lopez (Cereq): "les docteurs en sciences connaissent des difficultés d'insertion croissante"

Propos recueillis par Céline Manceau Publié le
Alberto Lopez (Cereq): "les docteurs en sciences connaissent des difficultés d'insertion croissante"
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L’enquête de la génération 2004 du Cereq est rendue publique le 21 février 2008. 65 000 jeunes de tous les niveaux de formation ont été interrogés parmi les 737 000 sortis du système éducatif en 2004. Dans un entretien accordé à Educpros, Alberto Lopez, chef du département « entrés dans la vie active » du Cereq dresse un bilan de ces différents niveaux. Globalement peu de changements sont enregistrés par rapport à 2001, même si la conjoncture a pesé sur l’insertion professionnelle des jeunes. Ainsi les titulaires de BEP-CAP et les docteurs en sciences connaissent des difficultés croissantes d’insertion.

Quels sont les principaux enseignements de cette nouvelle enquête ?  

Cette enquête menée au printemps 2007 permet de dresser le bilan d'insertion des jeunes sortis du système éducatif en 2004 de tous les niveaux de formation. Elle ne révèle pas de bouleversements par rapport aux précédentes enquêtes mais le positionnement des divers niveaux de diplôme connaît quelques évolutions.

Globalement, au bout de trois ans de vie active, les diplômés de l'enseignement supérieur continuent à bénéficier d'un risque de chômage plus faible, d'emplois plus stables et mieux rémunérés que les jeunes qui sont moins diplômés ou qui n'ont aucun diplôme. Les jeunes sortis au niveau bac + 5 (master) ont un taux de chômage relativement faible qu'ils soient issus d'écoles de commerce ou d'ingénieur (4%) ou d'une formation universitaire (6%). Pour eux, la situation s'est nettement améliorée entre la Génération 2001 et la Génération 2004. A l'opposé, certains titulaires de thèse, même si leurs salaires restent élevés, continuent à connaître des difficultés d'insertion. Les docteurs en sciences fondamentales et appliquées ont encore un taux de chômage de 10 % après trois ans de vie active.

Pour ce qui est des jeunes qui quittent l'enseignement supérieur sans y décrocher de diplôme, le taux de chômage est moindre que celui observé lors de l'enquête précédente mais plus d'un quart sont en fait retournés en formation.

Vous communiquez sur le thème : Génération 2004 : des jeunes pénalisés par la conjoncture. Pourtant certaines entreprises évoquent aujourd'hui des difficultés de recrutement. Tous les publics sont-ils pénalisés, et si oui, de la même manière ?

La conjoncture était particulièrement dégradée en 2004 lorsque cette génération est sortie du système éducatif. Dans les premiers mois, ces jeunes ont donc été souvent confrontés au chômage. La plupart des niveaux de diplôme ont été concernés. Par la suite, la situation a évolué plus favorablement pour certains et moins bien pour d'autres. Mais globalement, la part des jeunes hors de l'emploi après trois ans de vie active est encore de 23 % de la Génération 2004, c'est à dire un niveau un peu plus élevé que celui de Génération 2001. Un peu moins en emploi, les jeunes de la Génération 2004 sont moins souvent en CDI et plus souvent à temps partiel.  

Evidemment, il serait abusif d'expliquer toutes les difficultés d'insertion de Génération 2004 par "la conjoncture" car beaucoup de ces difficultés renvoient à des problèmes plus structurels, dont ceux de l'articulation entre l'école et les entreprises. Pour certaines populations, il est probable aussi que la mauvaise conjoncture renforce l'effet des discriminations. Mais là encore, il faut entrer dans le détail. L'enquête révèle un contraste au sein des jeunes issus de l'immigration : si les jeunes dont les deux parents sont nés au Maghreb, en Turquie ou en Afrique noire apparaissent plus pénalisés depuis 2001, les jeunes d'autres pays européens ont de leur côté un risque de chômage plus limité que les jeunes de parents nés en France.

Quelles sont les différences dans les conclusions par rapport à l'enquête précédente ?

Les principales conclusions restent les mêmes. Les problèmes d'insertion des jeunes bacheliers échouant dans l'enseignement supérieur sont loin d'avoir disparu. Leur situation tranche avec l'accès à l'emploi relativement rapide des diplômés de l'enseignement supérieur court (BTS, DUT, diplômes de la santé ou du social). On peut d'ailleurs noter qu'en dépit de la concurrence potentielle des titulaires de licence professionnelle, les "bac + 2" continuent à bien se positionner sur le marché du travail.  

Deux phénomènes un peu plus nouveaux méritent d'être signalés. L'un concerne les diplômes de premier niveau dans l'enseignement secondaire (Cap-Bep) qui connaissent des difficultés d'insertion croissante. L'autre, les docteurs en sciences. Même si les salaires et le niveau de chômage des uns est sans commune mesure avec celles des autres...

Avez-vous collecté des données nouvelles sur l'insertion ou sur un type de public ?

Dans cette dernière enquête, nous nous sommes attachés à mieux cerner deux champs conditionnant les processus d'insertion. D'une part, nous nous sommes efforcés de collecter plus d'information sur les parcours scolaires ou plus exactement sur les divers diplômes qu'ont pu obtenir les jeunes au cours de leurs cursus, parfois longs et complexes. D'autre part, nous avons introduit plusieurs questions sur les conditions d'accès à l'emploi et aux employeurs. Le rôle des expériences de travail en cours de formation initiale est important mais il ne faut pas négliger non plus celui des réseaux sociaux que les jeunes peuvent mobiliser.

Quels vont être au CEREQ vos prochains axes d'études (faisant suite ou non aux résultats de cette enquête) ?

A ce stade, nous n'en sommes qu'aux premiers résultats par grands niveaux de formation. D'autres analyses sont d'ores et déjà lancées pour examiner l'insertion selon les spécialités et les filières de formations aussi bien dans l'enseignement secondaire que dans l'enseignement supérieur.

Le dispositif des enquêtes Génération arrive maintenant à un âge de maturité et cette nouvelle enquête sur gros échantillon permet de comparer les cheminements d'aujourd'hui avec ceux des générations précédentes sorties en 2001, 1998 et, pourquoi pas, 1992.

L'exploitation ne fait donc que commencer...

Propos recueillis par Céline Manceau | Publié le