Annick Weiner (VP relations internationales Paris 11) « Pour certains pays, les étudiants étrangers sont des "denrées commerciales" »

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
Annick Weiner (VP relations internationales Paris 11) « Pour certains pays, les étudiants étrangers sont des "denrées commerciales" »
22789-weiner-annick2-original.jpg // © 
La ministre de l’enseignement supérieur ouvrira à Nancy, le 4 novembre 2008, la conférence intitulée « L’Europe de l’enseignement supérieur, un espace de mobilité à renforcer » dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne. Le sujet a donné lieu à un rapport du conseil d’analyse stratégique en septembre 2008. Et un groupe d’experts européens a aussi apporté sa contribution cette année. La vice-présidente aux relations internationales à Paris 11, Annick Weiner, a participé à cette réflexion. Une occasion donnée de comprendre les différences d’approche sur le sujet entre pays européens.

Tout le monde est d’accord pour augmenter la mobilité des étudiants. Est-ce que tous les pays européens attribuent les bourses Erasmus sur les mêmes critères ?  

Il y a une grande variété sur les moyens d’accompagner cette mobilité entre les différents pays d’Europe. Certains choisissent de donner à tous ceux qui veulent partir mais avec des bourses peu élevées (de l’ordre de 100 euros), d’autres restreignent les bénéficiaires en leur donnant davantage (environ 300 euros par mois). La France a choisi de répartir les bourses sur un assez grand nombre d’étudiants, en prenant en compte des critères sociaux. A Paris 11, grâce aux bourses du conseil régional essentiellement et du conseil général, nous pouvons nous permettre de limiter le nombre de bénéficiaires d’Erasmus et en contrepartie d’augmenter les montants octroyés. La mobilité de nos étudiants a augmenté de 10 % en cinq ans. Nous pensons que pour augmenter la mobilité, il faut lever le frein représenté par le coût de la mobilité. Pour les étudiants qui reçoivent une bourse sur critères sociaux, le ministère leur donne en plus 400 euros et ils ne paient pas les frais de scolarité. Le groupe d’experts de la commission européenne n’a pas arrêté de décision sur les critères d’attribution des bourses Erasmus, mais a indiqué qu’il fallait aider les familles défavorisées.  

Comment sont considérés les étudiants étrangers selon les pays européens ? 

Pour certains pays, les étudiants étrangers sont des « denrées commerciales » comme les autres. Aux USA, Canada, Grande-Bretagne, Irlande et depuis peu aux Pays-Bas, les étudiants étrangers paient des frais spécifiques. En Irlande par exemple, les étudiants étrangers paient dix fois plus que les étudiants nationaux. Cela amène à des situations dissymétriques. Dans le comité d’experts, l’Anglais et le Hollandais reconnaissaient qu’ils ne prenaient plus d’étudiants Erasmus car ils ne paient pas les frais d’inscription de l’université d’accueil. Les européens les intéressent peu également car ils paient des frais d’inscription identiques aux étudiants nationaux contrairement aux étudiants hors Union européenne qui payent 10000 euros ! En Grande-Bretagne, les universités veulent attirer des non-Européens qui financent l’enseignement supérieur britannique. Tous nos étudiants veulent aller avec Erasmus en Angleterre, mais leurs universités les refusent de plus en plus car ils ne leur rapportent pas d’argent. Nous les orientons vers l’Irlande, la Suède, la Norvège et les Pays-Bas, avant qu’eux aussi ne ferment leurs portes. Un mouvement se dessine néanmoins car les universités britanniques séduisent en Inde ou en Arabie grâce à la langue et au prestige des établissements, mais les parents considèrent que la qualité n’est parfois pas à la hauteur du prix exigé. En France, on essaie de sélectionner les meilleurs étudiants étrangers, pour le rayonnement uniquement de nos établissements, car ils ne nous rapportent rien.  

Ces différentes approches tendent-elles les relations entre les pays au sein même de l’Union européenne ?  

Oui. Lors du montage d’un de nos masters Erasmus Mundus par exemple avec les Anglais, ils ont exigé que les étudiants paient 10 500 euros de frais chez eux (contre 200 euros chez nous) en menaçant de quitter le consortium. Résultat : on demande à tous les étudiants – qu’ils partent ou non en Angleterre - de donner la moitié de leur bourse Erasmus Mundus (21 000 euros pour les non-Européens) mise dans un pot commun permettant de payer ces frais d’inscription. On fuit désormais les Anglais dans les partenariats Erasmus Mundus. Avec ces masters, il y a une tolérance sur les frais d’inscription si on propose des prestations aux non-Européens (cours de français, accueil à l’aéroport…). Je pense qu’on pourrait faire payer certains étudiants étrangers qui viendraient quand même sans bourse, sans pour autant sélectionner sur l’argent.            

Quels sont les termes des échanges avec les autres pays ?  

Pour l’instant, on détourne le système des frais d’inscription en signant des accords. Avec le Québec (et la CREPUQ ), les échanges d’étudiants permettent de dispenser des frais d’inscription réservés aux étudiants étrangers. Car depuis moins de 5 ans, les universités québécoises différencient leurs tarifs entre étudiants nationaux et étrangers et nous avons plus de mal à y envoyer nos étudiants. Nous essayons de substituer à la CREPUQ des accords bilatéraux en créant des masters double diplôme. Avec les USA, c’est plus dur. L’association d’universités parisiennes (Micefa ) a créé un réseau avec des universités américaines qui acceptent nos étudiants sans frais. Une cinquantaine d’Américains viennent chaque année, surtout des littéraires dans des facs du centre de Paris. Grâce à ces littéraires, nous pouvons envoyer certains de nos étudiants. Parmi la centaine de cotutelles de thèse que nous avons, une seule fonctionne avec les USA car ils exigent que les étudiants aient au moins payé deux ans « full price » chez eux. En revanche, les cotutelles marchent bien avec l’Italie, l’Allemagne, la Pologne, République Tchèque, le Maghreb et l’Afrique sub-saharienne.        

Pour aller plus loin :

Rapport du conseil d'analyse stratégique Encourager la mobilité des jeunes en Europe - Orientations stratégiques pour la France et l’Union européenne, septembre 2008.

Rapport "faire de la mobilité pour l'apprentissage une occasion pour tous" , groupe d'experts européens, juillet 2008.    

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le