Axel Kahn (président de Paris Descartes) : « Pourquoi je ne serai pas candidat à ma succession »

Propos recueillis par Franck Dorge Publié le
L’emblématique président de l’université Paris Descartes a décidé de ne pas briguer un second mandat. Pour autant, il compte bien rester impliqué dans le pilotage de son université jusqu’au 31 décembre 2011. Axel Kahn en explique les raisons à EducPros et évoque les dossiers qui conditionneront l’avenir de son université : PRES, Idex, chantiers immobiliers…

Quelles sont les raisons qui vous poussent à ne pas vous représenter ?
Sur le plan personnel, je viens d’avoir 67 ans. Je dirige des structures de recherche et d’enseignement supérieur depuis près de trente ans maintenant. J’aspire aujourd’hui à une plus grande liberté pour approfondir mes réflexions sur la signification de la science, du progrès, sur les évolutions géopolitiques ou encore sur les questions morales. Le travail intellectuel nécessite une grande disponibilité qui n’est pas permise aux présidents d’université. C’est pourquoi je souhaite me libérer de toute tâche de direction pour me concentrer sur mon activité d’essayiste et d’homme public.


« Je souhaite me libérer de toute tâche de direction pour me concentrer sur mon activité d’essayiste et d’homme public »


Sur le plan institutionnel, compte tenu de raisons légales, de mon âge notamment, si je m’étais représenté, mon mandat se serait terminé le 31 août 2013. Or, un nouveau contrat quinquennal va débuter en janvier 2014. Cela signifie que, si j’étais réélu, je piloterais toute la réflexion de ce projet, je le défendrais devant les différentes commissions de l’AERES [Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur], que j’en négocierais les termes, mais que je laisserais à un autre le soin de le mettre en œuvre. Je ne pense pas que cela soit souhaitable. Un nouveau président d’université aura ainsi la possibilité de se lancer à corps perdu dans la préparation de ce contrat quinquennal et, en assumant un ou deux mandats, de le mener à bien.

Quelle est la place de l’université Paris Descartes au sein du PRES Sorbonne Paris Cité ?
Paris-Descartes a une vision claire de sa politique depuis de nombreuses années. Mais l’université a dû la confronter aux contraintes politiques, aux appels d’offres et aux nécessités du moment. L’idée de départ était que notre université, la plus reconnue dans le domaine médical tant par le classement de Shanghai (1) que par les résultats à l’examen classant national de ses étudiants, se rapproche d’une université de sciences reconnue pour former une grande université pluridisciplinaire. Depuis 2004-2006, nous avions le désir de nous rapprocher de l’université Paris-Diderot. Celle-ci possède un secteur biomédical de qualité ainsi qu’une vraie faculté des sciences.

Et puis il y a eu le Plan campus, ses différentes phases et la création du PRES Sorbonne Paris Cité, dont j’ai été le premier président par intérim. À ce moment-là, nous nous sommes rapprochés d’autres établissements, dont Sciences po Paris. Ce dernier est devenu, au fil du temps, un élément fondamental de notre projet. D’abord, ce sont nos voisins géographiques. Ensuite, nous avons de très fortes collaborations avec eux, notamment dans le cadre de leur chaire santé mais aussi de notre Institut droit et santé (2).

Enfin, Sciences po et Paris Descartes bénéficient d’une assez grande stabilité de gouvernance. Le PRES Sorbonne Paris Cité s’est structuré autour de la relation qui s’est construite entre Paris-Descartes, Paris-Diderot, Sciences po Paris, mais également d’autres établissements qui ont apporté leur complémentarité.




« Sciences po Paris est devenu, au fil du temps, un élément fondamental de notre projet Sorbonne Paris Cité »


Votre premier projet d’initiative d’excellence (Idex) a été refusé. Quelles en ont été les raisons et comment comptez-vous rebondir ?
Nous avions déposé un très beau projet d’Idex lors du premier appel à projets. Ce projet reposait sur le principe de subsidiarité. C'est-à-dire que nous faisions ensemble ce que nous n’arrivions pas à faire seuls tout en continuant à faire séparément ce que chacun de nos établissements souhaitait faire seul. Cette conception du projet ne permettait pas d’être éligible à l’Idex, celle-ci étant fondée sur des initiatives d’excellence dont le principe moteur était la transformation de l’ensemble des structures associées en un établissement unique. Cela nous a donc amenés à repenser notre dossier.

Le projet d’Idex, que nous déposerons le 20 septembre 2011, consistera dans la création d’une université unifiée dans laquelle se fondra le PRES. Un projet qui devrait permettre, au terme de quatre ans, l’existence de l’Université Sorbonne Paris Cité. D’après l’Observatoire des sciences et techniques, si l’on applique à un tel établissement les critères du classement de Shanghai, nous arriverions à la 43e place. Notre souhait est que l’Université Sorbonne Paris Cité figure dans les 30 premières universités mondiales.

La réussite du projet d’Idex 2, qui va être déposé par le PRES Sorbonne Paris Cité, semble au cœur de la stratégie de Paris Descartes. À qui ce dossier a-t-il été confié et pourquoi ?
L’avenir de Paris Descartes, comme celui de nos collègues des établissements membres de Sorbonne Paris Cité, dépend considérablement du succès de notre projet d’Idex 2. Le dossier a été confié à Richard Descoings. Il ne faut pas y voir la volonté de nos établissements de devenir un grand établissement comme Sciences po. Mais incontestablement Richard Descoings est un homme qui a fait preuve d’imagination et de clairvoyance dans le pilotage de son école et plus particulièrement dans le domaine de la formation et de l’organisation pédagogique.

La seconde raison repose sur la situation dans laquelle se trouvent les différents présidents et directeurs d’établissements qui composent Sorbonne Paris Cité. Nos instances de gouvernance vont toutes être renouvelées, sauf Sciences po. Richard Descoings vient d’être réélu pour cinq ans. Aussi, la confiance que nous avons dans l’homme pour mener à bien le projet, la pérennité de sa situation ont fait de lui le candidat idéal. C’est ainsi que le conseil d’administration du PRES l’a nommé directeur du projet d’Idex. Richard Descoings supervise donc le projet et, en cas de réussite, il en sera le premier directeur.

Paris Descartes est confrontée, depuis le début des années 2000, à une croissance de ses effectifs. Quelle est la situation immobilière de votre université ?
Nous sommes actuellement dans une situation épouvantable, alors même que notre attractivité et nos effectifs ne cessent de croître. Depuis plusieurs années, nous avons engagé une politique de grands travaux pour rénover et sécuriser nos sites. Nos budgets restent cependant très insuffisants. À ce jour, il faudrait près de 230 millions d’euros pour que la situation des différents sites de Paris-Descartes soit acceptable. Cela n’est pas grand-chose comparé aux trois milliards d’euros qui ont été investis dans l’UPMC et Paris-Diderot, à la suite du désamiantage de Jussieu.

Parmi les chantiers en cours, il y a le désamiantage de la faculté de médecine de Necker, dont la fermeture est prévue en janvier 2012. Nous avons obtenu 50 millions d’euros dans le cadre du contrat de projet État-région 2007-2013 pour effectuer ces travaux. Mais il nous manque 20 millions pour en financer l’intégralité. Il y a également la rénovation de la faculté de pharmacie qui sera financée dans le cadre du Plan Campus.

D’après le diagnostic patrimonial que nous avons réalisé en 2010-2011, d’autres chantiers sont nécessaires et ne bénéficient, à ce jour, d’aucun financement : la rénovation de la faculté de droit (27 millions), la reconstruction de deux bâtiments sur le site de Cochin (47 millions), la rénovation de la faculté de chirurgie dentaire (50 millions d’euros) et celle de médecine du site des Cordeliers (80 millions). Notre situation est très préoccupante et pour autant demeure relativement peu coûteuse par rapport aux autres projets immobiliers universitaires engagés dans Paris intra-muros.



« Cela me heurte lorsqu'on demande aux femmes et aux hommes de faire des efforts pour soutenir un système qui cesse de servir à leur épanouissement »


Vous avez soutenu la loi LRU. Pourtant, dans le livre que vous avez cosigné avec Valérie Pécresse, vous formulez le souhait que la gauche gagne l’élection présidentielle de 2012. Comptez-vous jouer un rôle lors de la campagne ?
Il y a pour moi deux grands courants politiques dans le monde. L’un estime qu’il ne faut pas se fixer comme objectif principal l’amélioration du sort de l’humanité, mais celle des conditions matérielles et économiques. Car ce sont d’elles que dépend le salut de l’humanité. C’est la conception du libéralisme à l’anglo-saxonne. Je ne la partage pas.

L’autre est de considérer que la seule finalité acceptable de l’action humaine est d’imaginer une société dans laquelle nos semblables pourront s’épanouir. Ce courant caractérise ce que doit être la gauche et c’est dans celui-ci que je me reconnais. Pour moi, la finalité humaniste de l’action doit être explicite. Je suis profondément heurté lorsque, aujourd’hui, on demande aux femmes et aux hommes de faire des efforts pour soutenir un système qui cesse de servir à leur épanouissement. C’est pourquoi je me considère comme un homme de gauche et j’espère contribuer, par mes réflexions, au débat d’idées.

À gauche, soutenez-vous plus particulièrement un candidat ?
Parmi les candidats de gauche, la candidature de Martine Aubry m’intéresse pour trois raisons. D’abord parce que c’est une femme et je crois que la démocratie française aura franchi une étape le jour où elle sera capable d’élire une femme présidente de la République.

Ensuite, parce qu’elle a un côté profondément naturel, y compris avec les défauts qu’on peut lui trouver. C’est une femme entière qui n’a pas cherché à modifier son image. Elle est telle qu’elle a toujours été. Il y a une authenticité chez elle qui me la rend profondément sympathique.

Enfin, la troisième raison est beaucoup plus déterminante. C’est une femme d’État qui a exercé des responsabilités politiques importantes en tant que ministre et maire d’une grande ville. Elle est capable de rassembler autour d’elle pour refonder l’idée de progrès et la mettre au service de l’humanité, pour construire une société dans laquelle nous aimerions vivre. Cette refondation de l’idée de progrès, c’est une proposition que je lui ai faite et elle l’a prise en compte. C’est pourquoi, lorsqu’elle m’a demandé de contribuer à sa réflexion, j’ai accepté de le faire.

(1) Paris-Descartes est 151e au classement de l’Academic Ranking of World Universities (ARWU), 152e selon les calculs de l’Observatoire des sciences et techniques. Elle est la première université française dans le classement thématique « médecine et pharmacie » de l’ARWU (51e rang mondial).
(2) Ainsi, par exemple, Didier Tabuteau est directeur de la chaire santé de Sciences po , mais également codirecteur avec Anne Laude de l’Institut droit et santé de Paris Descartes.

Propos recueillis par Franck Dorge | Publié le