
Président de la Conférence des doyens de médecine depuis mars 2023, Benoît Veber revient sur les priorités 2025. Si son mandat se termine en mars, le doyen de l'UFR santé de l'université de Rouen espère voir avancer des dossiers importants comme la relecture du PASS/LAS, la réforme du 2e cycle, la création de l'assistanat territorial et la visibilité sur les effectifs de médecins à former.
Le 23 décembre, Yannick Neuder a été nommé ministre chargé de la Santé et de l'Accès aux soins auprès de Catherine Vautrin : est-ce une bonne nouvelle ?
Oui, car, en deux ans de mandat, j'ai eu six ministres différents en face de moi : c'est trop ! Les changements politiques ont bloqué les discussions. Nous avons besoin de stabilité politique. Depuis le mois de juin [et la dissolution de l'Assemblée nationale], les dossiers n'avancent pas ou quasiment pas.
Quels sont les dossiers prioritaires de la Conférence des doyens de médecine ?
Nous en avons quatre. Il y a l'important sujet de la participation des facs de médecine au pilotage de la recherche et le soutien à la recherche clinique. Nous devons également travailler à l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires car il existe une crise de vocations très nette. Or, s'il n'y a plus d'enseignants, il n'y a plus d'études de médecine, ni de CHU.
Nous portons également le sujet de la lutte contre les déserts médicaux. Pour répondre rapidement aux besoins, il faut une stratégie multicibles, notamment en développant des antennes universitaires sur tout le territoire et en s'appuyant sur les IPA (infirmier en pratique avancé). Prévoir d'augmenter le nombre de médecins à former ne suffit pas.
Sur ce sujet, avec l'Anemf (l'Association nationale des étudiants en médecine de France), l'Isni (Intersyndicale nationale des internes) et l'Ordre des médecins, nous proposons de créer l'assistanat territorial, un dispositif incitatif d'un à deux ans, sur la base du volontariat. Le jeune médecin s'installerait en zone sous-dense, en étant accompagné. Si une loi venait à contraindre l'installation des médecins, ces praticiens devraient en être exemptés.
L'autre priorité est de réfléchir aux améliorations à apporter aux études de médecine, en particulier l'accès en 2e année et le 2e cycle, rénové récemment.
Nous devons également travailler à l'attractivité des carrières hospitalo-universitaires car il existe une crise de vocations très nette.
Pour l'accès aux études de santé, le système PASS/LAS, instauré en 2021, a été critiqué par la cour des Comptes, qui préconise notamment de revenir à une voie d'accès unique.
Les doyens ont toujours estimé qu'il fallait réévaluer le système à l'issue d'un cycle complet de licence. Nous pensons que le système présente des côtés positifs, dont le principe de marche en avant, qui permet à l'étudiant qui n'intègre pas les études médicales de poursuivre sa licence.
En revanche, la diversification des profils est moins réussie. La plupart des 2e année de médecine ont fait un PASS (parcours accès santé spécifique) ou une LAS 2 (licence avec option accès santé) après un PASS.
Autre constat : la diversité des LAS et la concomitance d'un PASS et de LAS dans une même université a brouillé les pistes et créé de l'anxiété chez les étudiants. Par ailleurs, les étudiants de LAS redoublent davantage.
Quelles sont vos propositions d'amélioration d'accès aux études de médecine ?
Il faut relire ce système, en maintenant la marche en avant. Par ailleurs, il faut que tous les étudiants qui entrent en 2e année aient eu le même corpus de sciences biomédicales.
Nous devons également éviter qu'une même université propose deux accès différents en 1re année aux études de santé, et que chacune se positionne pour être soit tout LAS, soit PASS (assorti de LAS 2).
Sur les LAS, il faut être raisonnable et proposer des LAS qui ont du sens. Faire médecine et droit, pour moi, ce n'est pas une LAS, c'est un double cursus. Il peut être intéressant de réduire le nombre de LAS et de travailler en parallèle à ces doubles licences.
Enfin, pour maintenir la diversité, nous pouvons développer les passerelles tardives pour les élèves de master, car ces parcours sont très souvent réussis.
J'espère que le ministre partagera ces visions-là. Il faut que cela avance, mais on ne pourra pas tout harmoniser d'un coup. Nous pourrions procéder par étapes, dont la première serait le positionnement de chaque université sur une 1re année PASS ou LAS
Après la réforme du 2e cycle de médecine (R2C), que reste-il à consolider?
Cette réforme est pédagogiquement solide mais n'a pas atteint sa phase de maturité. Les EDN (épreuves dématérialisées nationales, qui remplacent les ECN pour l'accès à l'internat depuis 2023), sont bien construites. Mais le corpus de connaissances à acquérir est encore trop important. Il ne faut conserver que les savoirs socle et quelques éléments de spécialité.
Sur l'évaluation des compétences, les ECOS (Examens cliniques objectifs structurés) ont eu un vrai impact, en modifiant parfois le classement de certains de 2.000 à 2.500 places [sur un total de 8.400 places en 2024] !
Mais l'organisation est d'une lourdeur redoutable. Nous avons réussi à les organiser en 2024 et nous le ferons en 2025. Cependant, en 2026, un problème se pose car les ECOS se tiendront aussi aux Antilles et à La Réunion, avec un décalage horaire.
Il faut introduire plus de souplesse, peut-être en proposant des scénarios différents pour évaluer la même compétence. Les doyens mènent une réflexion en ce sens. Mais nous attendons avec impatience de pouvoir analyser dans le détail les données des examens 2023-2024.
L'instauration d'une 4e année d'internat de médecine générale est un autre sujet délicat. La réforme a pris du retard et les internes appellent à la grève, le 29 janvier.
La réforme du 3e cycle a été très structurante : l'internat est plus cohérent, avec une progression d'année en année : phase socle, phase d'approfondissement puis phase de consolidation. Seule la médecine générale n'avait pas de phase de consolidation : c'était une anomalie que cette mesure rectifie.
Reste à construire le statut de ces internes de 4e année. Les doyens de médecine sont en désaccord avec les internes de médecine générale, qui veulent être payés à l'acte. Pour nous, soumettre un interne à une pression de production pose un problème éthique et pédagogique. De plus, cela crée une iniquité avec les internes hospitaliers. Une prime accordée à ces docteurs juniors ambulatoires pourrait être la solution.
Un point concentre plusieurs sujets : celui du nombre de médecins à former, après la suppression du numerus clausus, en 2021.
Les facultés ont déjà augmenté leurs effectifs. Depuis 2021, nous avons réaugmenté de 20%. Il y a une demande pour former davantage. Une cible à 12.000 étudiants parait intéressante, à ce stade. C'est déjà considérable, puisqu'ils étaient 8.000 en 2017.
Dire qu'il faut former 16.000 étudiants [comme le proposait Gabriel Attal, alors Premier ministre, en avril 2024], je ne sais pas sur quoi ça repose mais je sais que cela met en tension les facultés. Aucun doyen ne peut accepter ce chiffre, sans que soit prévu un accompagnement. Il nous faut des moyens humains et techniques, nos capacités d'accueil étant limitées.
Nous ne pouvons pas tout faire à moyens constants. Le ratio enseignants/enseignés, très hétérogène selon les universités, se détériore. Il est plus en plus difficile d'assurer des enseignements en petits groupes.
Et c'est la même chose pour l'enseignement clinique : un chirurgien enseigne mieux à deux internes qu'à six. On ne peut plus s'appuyer que sur les CHU : il faut tendre à l'universitarisation du territoire pour compter sur les autres lieux de soin afin d’assurer cette formation clinique par compagnonnage, qui est une force de la formation à la française.
Cette année déjà, il y a eu plus d'installations que de départs en retraite. Mais de combien de médecins aura-t-on besoin demain ?
Quand seront fixés les effectifs 2026 de 2e année de médecine ?
Le schéma pluriannuel, issu d'une concertation entre les ARS (agences régionales de santé) et les doyens, courait jusqu'à 2025. Nous devons la relancer pour 2026.
Mais il existe une grande différence entre le nombre d'étudiants en 2e année dans une région et le nombre de médecins qui s'y installent car le concours de l'internat rebat les cartes. C'est un problème : les universités des zones sous-denses seront mises sous pression pour ouvrir des places, sans garantie que le territoire soit mieux pourvu 10 ans plus tard. Il faut donc redistribuer les moyens et fidéliser les étudiants sur le territoire qui les a formés.
Et pour le plus long terme ?
Il faut travailler solidement au chiffre-cible des effectifs à former et ne pas faire une estimation au doigt mouillé. Car les décisions que nous prenons aujourd'hui n'auront un impact que dans 10 ans.
Cette année déjà, il y a eu plus d'installations que de départs en retraite. Mais de combien de médecins aura-t-on besoin demain ? Il nous faut des études pour connaitre les besoins, région par région, spécialité par spécialité. Nous ne disposons pas de ces chiffres.
Plus encore, il faut réfléchir aux besoins croissants d'une population vieillissante ainsi qu'à la façon dont les médecins pratiquent. L'exercice de la médecine en 2035 n'aura rien à voir avec celui d'aujourd'hui, notamment avec l'lA.
Il faut donc donner les moyens à l'ONDPS (Observatoire national de la démographie des professions de santé) ou au ministère de la Santé pour évaluer les besoins, construire des simulations et des scenarios. Il est indispensable de se doter des moyens de pilotage, si l'on veut faire des choix éclairés qui engagent l'avenir, avec cette inertie particulière liée à la durée des études de médecine.