Céline Braconnier : "Le rôle des universités est d’inciter les jeunes à voter"

Natacha Lefauconnier Publié le
Céline Braconnier : "Le rôle des universités est d’inciter les jeunes à voter"
Pour Céline Braconnier, "ceux qui ont 20 ans en 2017 culpabilisent moins de s’abstenir que les anciens". // ©  Jean Michel ANDRE/REA
Si l’abstention des 18-25 ans a été moins forte qu’annoncé, le 23 avril 2017, elle cache des inégalités de participation, selon le niveau d'études notamment. Pour Céline Braconnier, directrice de Sciences po Saint-Germain-en-Laye et coauteure de "La Démocratie de l'abstention", les dispositifs d’incitation au vote, notamment dans l'enseignement supérieur, restent à inventer.

Céline Braconnier - ©Sciences po Saint-Germain-en-Laye 2014Que peut-on dire de la participation des jeunes au scrutin du premier tour, notamment par rapport aux précédentes élections présidentielles ?

Contrairement à ce qu’annonçaient les sondages, ce premier tour a confirmé la capacité de la présidentielle à mobiliser massivement – environ 8 inscrits sur 10 – alors que tous les autres scrutins sont marqués par une forte démobilisation électorale. 

Or, cette participation élevée atténue les inégalités de participation entre catégories d’âge : alors que la différence, pour les élections intermédiaires, peut atteindre 40 points entre les 18-25 ans (qui votent le moins) et les 50-64 ans (qui votent le plus), elle n’était "que" de 16 points à la présidentielle de 2012, où l’abstention était de 20 %, et de 3 points en 2007, quand l’abstention était de 16 %. 

Les outils dont on dispose pour comprendre ce qui s’est passé le 23 avril 2017 sont encore fragiles, mais il y a tout lieu de penser que, d’une part, les jeunes ne s’étaient pas aussi massivement mobilisés depuis 2012, et que, d’autre part, les 2 points supplémentaires d’abstention enregistrés en cinq ans ont accentué les écarts de participation avec les autres catégories d’âge. 

Pour vérifier cette hypothèse, il faudra cependant attendre la note que l’Insee consacrera à cette séquence électorale, qui croisera les listes d’émargement et les données du recensement pour un échantillon représentatif national de grande ampleur, à l’automne prochain.

Quels critères peuvent expliquer le taux d’abstention chez les jeunes ?

La plus faible participation des jeunes n’est pas nouvelle : dès lors que l’intégration politique prolonge l’intégration sociale, elle augmente avec l’installation dans l’emploi et la fondation d’une famille, plus tardive aujourd’hui qu’hier. 

À cela s’ajoute un effet de génération : ceux qui ont 20 ans en 2017 culpabilisent moins de s’abstenir que les anciens

Enfin et surtout, le niveau de participation des jeunes varie largement en fonction du niveau de diplôme, de l’intégration et de l’environnement professionnels, de l’optimisme pour l’avenir. Les étudiants et les jeunes cadres votent plus que les jeunes au chômage, les ouvriers non qualifiés ou les employés de service. 

Leur participation est cependant gênée par un obstacle procédural : la "mal-inscription" sur les listes électorales, qui affecte 20 % des 18-24 ans et 31 % des 25-34 ans. Ces jeunes plutôt prédisposés à voter restent inscrits chez leurs parents bien après en être partis et doivent soit se déplacer plus ou moins loin de chez eux, soit établir une procuration, pour pouvoir faire entendre leur voix. Ils sont nombreux à ne pas le faire : en 2012, l’abstention constante a été trois fois plus forte chez les "mal-inscrits" que chez les citoyens inscrits là où ils résident.

Ces difficultés de divers ordres se cumulent pour expliquer que les jeunes soient plus difficiles à mobiliser que les autres catégories d’âge, quels que soient le contexte et l’offre politiques.

Les jeunes sont plus difficiles à mobiliser que les autres catégories d’âge, quels que soient le contexte et l’offre politiques.

Quelles sont les orientations électorales des jeunes à ce scrutin ?

Là encore, même si les données sont fragiles, elles confirment les orientations politiques habituellement enregistrées chez les jeunes pour le scrutin présidentiel, avec un vote plus marqué à gauche, qui a massivement profité, ce 23 avril, à Jean-Luc Mélenchon. Le candidat de la France insoumise aurait ainsi séduit 27 % des 18-24 ans, soit nettement plus que sa moyenne nationale, même si cette proportion est inférieure à celle annoncée dans les enquêtes préélectorales, où Jean-Luc Mélenchon était crédité de 40 % des voix des jeunes. 

Les enquêtes ont sans doute sous-estimé le risque d’abstention plus fort chez les jeunes, y compris chez ceux qui comptaient voter pour Jean-Luc Mélenchon. Un candidat dont le socle électoral est marqué par une surreprésentation des jeunes a dans tous les cas plus de difficultés à l’emporter, car l’incertitude est plus forte sur la transformation des intentions en pratique effective de participation.

Concernant Emmanuel Macron et Marine Le Pen, les jeunes auraient voté pour eux dans les mêmes proportions qu’au niveau national, soit entre 21 et 22 %, selon les instituts de sondage. Cela confirme qu’il n’y a pas, en 2017, de bouleversement dans les orientations, même si le positionnement d’Emmanuel Macron sur l’échiquier politique est difficile à faire rentrer dans les oppositions habituelles gauche-droite. 

Il y a tout lieu de penser en revanche que les jeunes qui ont porté leurs suffrages sur ces deux candidats ne sont pas les mêmes. Dans l’orientation du vote comme dans la participation, on observe des différences sociales de comportement politique : les jeunes les moins diplômés, les plus fragiles économiquement, les plus éloignés du marché du travail s’abstiennent plus fréquemment ou portent davantage leurs suffrages vers Marine Le Pen.

Quel rôle peuvent jouer les établissements d’enseignement supérieur d’ici au second tour ?

Le rôle des établissements d’enseignement supérieur est évidemment d’encourager les jeunes à faire entendre leur voix dans les urnes. Mais on peut regretter qu’il faille attendre d’être en situation de devoir faire barrage à un candidat qui heurte de grandes valeurs républicaines pour que cette mission civique élémentaire de l’éducation nationale soit activée. 

Les injonctions à participer, empruntées au modèle de la Troisième République, ne sont pas le meilleur moyen de produire de la mobilisation chez les jeunes d’aujourd’hui, on le sait. Quand elles sont le fait de candidats ou d’institutions dont la parole est démonétisée, elles peuvent même être contre-productives. Sur ce plan, les dispositifs informels de mobilisation sont bien plus efficaces : la famille, les amis, les collègues en qui on a confiance peuvent bien plus sûrement produire une stimulation efficace pour la participation à quelques jours du scrutin.

Les écoles et les universités ne constituent pas des lieux exemplaires de la démocratie représentative.

Le rôle des établissements d’enseignement supérieur devrait s'inscrire dans la longue durée et être pensé en lien avec celui que l’école et le lycée devraient assumer, car la socialisation civique se joue dès avant la majorité. Ces établissements auraient notamment un rôle à jouer en incitant les étudiants à s’inscrire sur les listes électorales de la ville où ils vivent et étudient, alors que la procédure d’inscription d’office qui bénéficie aux jeunes de 18 ans est faite à l’adresse des parents et alimente donc la mal-inscription et l'abstention. 

Au-delà, les dispositifs d’incitation au vote restent tout simplement à inventer dans l’enseignement supérieur français. Il suffit d’observer les taux de participation aux élections des représentants étudiants dans les différentes instances de gouvernance – extrêmement bas – pour comprendre que les écoles et les universités ne constituent pas des lieux exemplaires de la démocratie représentative. 

Tout cela s’articule : les établissements seront d’autant plus à même d’activer la participation de leurs élèves aux scrutins politiques locaux et nationaux qu’ils auront triomphé en interne des prédispositions au retrait électoral.

Faudrait-il selon vous rendre le vote obligatoire ?

Non, ou en tout cas pas déjà, avant même d’avoir cherché à lutter sérieusement contre l’abstention. Il faut plutôt mettre en place une véritable politique publique de lutte contre les inégalités électorales, car ce sont toujours les mêmes catégories de citoyens qui demeurent loin des urnes, dont les jeunes. 

C'est cela qui est problématique et c’est pour cela que cette politique publique devra s’appuyer notamment sur les établissements en charge de leur formation. À défaut, les inégalités risquent de continuer à se reproduire en s’accentuant.

Natacha Lefauconnier | Publié le