Si elle s'en sort mieux que d'autres établissements, l'université de Bordeaux va devoir puiser dans ses réserves pour maintenir son activité cette année. Dean Lewis, à la tête de l'université depuis 2022, explique comment son établissement fait face au déficit, et fait part de ses craintes pour l'avenir de l'enseignement supérieur et la recherche.
L'an dernier, vous alertiez sur la situation financière de l'université de Bordeaux. Qu'en est-il cette année ?
Notre situation financière est moins critique que ce que nous craignions il y a un an. Nous avions tablé sur un budget déficitaire de 12 millions d'euros pour 2024. Grâce notamment à une moindre consommation des crédits et à une baisse du coût de l'électricité et du gaz, nous devrions terminer l'année avec un budget déficitaire de 3 millions d'euros, voire à l'équilibre.
Mais même si le déficit réduit, il reste présent. Nous ne sommes pas un cas unique : ce déficit pourrait toucher près de 60 universités sur 73. En théorie, une université n'a pas le droit de voter un budget initial déficitaire. L'an dernier, 80% des universités ont dû le faire, car il y avait une tolérance de l'État pour assouplir ces règles. Mais cela montre que toutes les universités sont en grande difficulté financière.
Quelles sont les causes de ce déficit ?
Cela s'explique car nos dépenses augmentent plus rapidement que la dotation de l'État. L'augmentation du point d'indice des fonctionnaires a entraîné une dépense de 10 millions d'euros supplémentaires pour les universités, dont l'État ne finance que 4 millions. Chaque année, nous devons trouver 6 millions d'euros, au regard d'une dépense incompressible.
À cela s'ajoute le glissement vieillesse-technicité [ou GVT, c'est-à-dire les variations financières liées au vieillissement et à l'avancement de carrière des salariés, ndlr], qui correspond à 2 millions d'euros en plus par an. Ces deux évolutions font que la masse salariale pèse davantage dans notre budget.
Cette situation financière vous inquiète-t-elle ?
Pas encore. Nous avons élaboré une trajectoire budgétaire sur quatre ans, de 2024 à 2028, en y intégrant l'utilisation d'une partie de nos réserves et des ventes de biens immobiliers. Notre trajectoire est soutenable, même avec un léger déficit.
Mais il est évident que si le budget de l'enseignement supérieur venait à évoluer, cette trajectoire pourrait être remise en question.
De quelles réserves dispose l'université de Bordeaux ?
Nous avons la chance de disposer d'un fonds de roulement assez important, entre 80 et 90 millions d'euros, mais ce n'est pas le cas de toutes les universités. Sur quatre ans, on estime que l'on va consommer jusqu'à 60 millions pour soutenir le fonctionnement des emplois, notamment. Deux tiers de ce fonds peuvent être utilisés en gardant une réserve qui nous est imposée.
Nous avons donc quelques marges de manœuvre, mais ça reste un château de cartes : si la subvention pour charge de service public baisse de 3 millions d'euros, il faudra tout revoir.
Les universités de recherche intensive comme celle de Bordeaux ont un tout petit peu plus de réserves. Mais elles vont toutes se retrouver en grande difficulté, s'il n'y a pas un réamorçage en termes de dotation de l'État.
Ce déficit budgétaire aura-t-il un impact concret sur l'accueil des étudiants ?
Nous faisons en sorte de maintenir l'activité de l'université. Cette année, nous comptons même 2.000 étudiants en plus par rapport à l'an dernier, passant de 52.000 à 54.000. Mais comment faire pour accueillir plus d'étudiants si le budget diminue ? La question de la capacité d'accueil des étudiants peut se poser.
S'agissant de la maintenance des sites par exemple, on n'y est pas. Il y a un maintien, mais minimaliste. On ne voudrait pas se retrouver dans une situation où l'on doit fermer des sites.
Je crains aussi que le manque de moyens ne vienne casser une dynamique de compétitivité de l'enseignement supérieur qui s'était mise en place. À terme, cela pourrait avoir un impact sur l'emploi des personnels, le taux d'encadrement, et donc le taux de réussite des étudiants.
La nomination de Patrick Hetzel comme ministre l'enseignement supérieur et la recherche et les menaces de coupes budgétaires vous inquiètent-elles ?
Patrick Hetzel connaît bien l'université. Il a beaucoup accompagné la transformation d'une partie de l'enseignement supérieur et la recherche et a notamment défendu la formation professionnelle et l'apprentissage, qui sont dans le viseur de Bercy pour réaliser des économies.
Mais mon interrogation principale, ce sont les moyens qui vont lui être octroyés. En quittant le ministère, Sylvie Retailleau a recommandé que l'on conserve les dotations aux établissements. Reste à savoir si la dynamique sera la même.
Au-delà de la dimension financière, les étudiants sont très vigilants sur les questions d'inclusion et d'égalité : j'espère que le gouvernement actuel ne remettra pas en question certains sujets, comme l'accueil des étudiants internationaux.
Le nombre d'étudiants de l'université de Bordeaux augmente, cette année. À quoi est liée cette hausse ?
Nous remplissons mieux nos capacités d'accueil. Nous étions dans une situation où certains masters sélectifs n'étaient pas remplis. La phase complémentaire de Mon Master a réglé ce problème. Au niveau de Parcoursup, nous avons également augmenté le surbooking sur les filières en tension, ce qui nous a permis de remplir ces filières.
On a aussi remarqué un regain d'intérêt pour nos sites délocalisés, comme ceux d'Agen et de Périgueux, qui peut être lié au coût du logement dans la métropole bordelaise.
Bordeaux est en effet l'une des villes françaises les plus chères pour se loger en tant qu'étudiant. Que faites-vous pour les aider ?
Le Crous de Bordeaux compte 9.000 logements, mais l'université de Bordeaux, c'est 70.000 étudiants au total, dont plus de 30.000 boursiers. On n'est donc pas près de loger tout le monde.
Un millier de logements vont être construits par le Crous, et du côté de l'université, nous lançons la construction d'une résidence de 650 logements dont 150 pour les boursiers, livrée en novembre 2025. Nous proposons aussi des solutions à court terme, des logements d'urgence pour des étudiants en grande difficulté, qui dorment dans leur voiture par exemple.