Denis Rolland : "Notre modèle n'est pas transposable à d'autres académies"

Laura Taillandier Publié le
Denis Rolland : "Notre modèle n'est pas transposable à d'autres académies"
Pour Denis Rolland, le rôle attribué au recteur dans le cadre de la réforme de l'entrée à l'université sera essentiel dans l'articulation entre enseignement scolaire et enseignement supérieur. // ©  Université de Caen Normandie
Premier recteur à administrer deux académies, celles de Caen et de Rouen, Denis Rolland détaille pour EducPros les contours de cette expérimentation initiée par le ministère de l'Éducation nationale. Expérimentation qui pourrait passer à la vitesse supérieure, une fois les arbitrages rendus au printemps 2018.

Vous êtes désormais recteur de l'académie de Caen, chargé d'administrer l'académie de Rouen. En quoi cette expérimentation modifie-t-elle votre rôle de recteur ?

Il faut bien voir que le décret du 6 novembre 2017 est un texte juridique qui, dans l'écriture, devait avant tout contourner l'impossibilité pour un recteur d'occuper deux emplois publics. Mais, dans les faits, je suis bien recteur de Caen, recteur de Rouen et recteur de la région académique Normandie. 

À ma nomination, mon premier acte a été de présider un conseil technique académique pour donner un signe en ce sens aux personnels. En revanche, mon rôle n'est pas de devancer les arbitrages sur la gouvernance des académies qui seront rendus par les deux ministres au printemps 2018.

Les rectorats de Caen et de Rouen doivent-ils s'attendre à des évolutions avant le printemps ?

Pour les académies, cela sera surtout l'occasion d'échanger sur leurs méthodes et d'appuyer leurs forces l'une sur l'autre. C'est un travail pédagogique avant tout. Caen et Rouen sont de taille modeste et, ensemble, elles deviennent deux académies avec des corps d'inspection qui pourront se spécialiser.

Quand on est plus nombreux, on peut gagner en expertise en se concentrant sur certains sujets. C'est pourquoi nous allons poursuivre le travail de mutualisation mené depuis la mise en place de la région académique. Nous avons déjà deux services mutualisés.

Notre service interacadémique de l’enseignement supérieur et de la recherche, basé à Rouen, est le premier sur un site unique en France. Cette mutualisation a permis aux personnels de se spécialiser, par exemple sur les écoles d'ingénieurs ou sur le suivi des actes juridiques. Nous sommes aussi les seuls à avoir un unique Dafpic (Délégué académique à la formation professionnelle initiale et continue). Ce dernier est accompagné de deux adjoints thématiques, chacun travaillant sur les deux académies. C'est un moyen d'avoir un interlocuteur unique avec la région sur les domaines de l'apprentissage et de la formation professionnelle.

Nous allons poursuivre cette démarche dans les domaines du handicap, de l'égalité garçons-filles ou encore de l'orientation. Ainsi, nous sommes en train de recruter un CSAIO (chef du service académique de l'information et de l'orientation) commun, avec toujours cette même idée : monter en expertise, malgré des forces modestes. Cela permet ainsi d'avoir des personnes pilotes sur la question numérique ou sur la mesure "devoirs faits" au collège.

Comptez-vous aller jusqu'à des fusions de service, voire, à terme, jusqu'à celle des deux académies ?

Avoir des interlocuteurs communs ne veut pas dire que l'on fusionne les deux académies. Je ne vais rien faire évoluer en matière de service avant que les ministères ne donnent un signal en ce sens. La commission nationale – qui rassemble le recteur Olivier Dugrip, l'inspectrice générale Marie-Pierre Luigi et l'ancien recteur François Weil, aujourd'hui conseiller d'État – ne rendra pas son rapport sur la gouvernance des académies d'ici à fin mars 2018.

Lorsque deux formations sont exactement identiques il faudra, dans le dialogue et la concertation, donner le choix aux élèves : en garder une et en proposer une nouvelle.

Pour l'instant, je vais donc m'appuyer sur les forces locales. Nous allons avoir un seul comité de direction régional interacadémique en lieu et place des trois existants [un comité régional et deux comités académiques] afin de ne pas alourdir le fonctionnement actuel. C'est possible dans la mesure où nous sommes deux petites académies regroupant cinq départements [Calvados, Eure, Manche, Orne et Seine-Maritime]. Cela permettra d'avoir des instructions fonctionnelles pour les deux académies, en tenant compte des spécificités locales, comme à Rouen, qui compte davantage de besoins en éducation prioritaire.

Nous pouvons nous appuyer sur une identité normande commune pour faire évoluer les choses, petit à petit : les conventions que nous signons valent désormais pour les deux académies. De même, lorsque deux formations sont exactement identiques il faudra, dans le dialogue et la concertation, donner le choix aux élèves : en garder une et en proposer une nouvelle. Cela ne signifie donc pas réduire l'offre de formation, mais, au contraire, apporter du choix.

Votre expérimentation sera examinée à la loupe dans les autres académies...

J'ai bien conscience que notre travail sera regardé de près par les autres recteurs. Cela nous impose deux objectifs : réussir et être exemplaires. En revanche, cette expérimentation ne se veut pas modélisante. L'Occitanie, par exemple, ne peut pas être gérée comme la Normandie. On peut imaginer des schémas différents d'une académie à l'autre. Notre modèle peut être regardé mais il n'est pas transposable.

J'ai bien conscience que notre travail va être regardé de près par les autres recteurs. Cela nous impose deux objectifs : réussir et être exemplaires.

Dans le Plan étudiants, le recteur est présenté comme le garant du bon fonctionnement des nouvelles modalités d’accès à l'université. Peut-il réellement tenir son rôle ? Dans le cadre du droit à la poursuite d'études en master, la communication a parfois été difficile entre rectorat et universités...

Ce rôle attribué au recteur dans le cadre de la réforme de l'entrée à l'université sera essentiel au niveau de l'articulation entre enseignement scolaire et enseignement supérieur. Le droit à la poursuite d'études en master – surtout en Staps et en psychologie – a très bien fonctionné dans nos deux académies, notamment parce que tout s'est fait en bonne intelligence avec les universités, qui ont ouvert les vannes. Il ne reste plus que neuf cas encore irrésolus, dont cinq étudiants qui attendent toujours une place. Tous les étudiants ont eu une proposition, voire deux dans la plupart des cas. Nous avons même intégré 97 élèves extérieurs aux académies dans les masters. Les équipes des universités ont joué le jeu.

Bien sûr, dans le cadre de la réforme de l'entrée à l'université, nous serons tous attentifs à ces dix vœux non hiérarchisés, aux élèves en attente d'une réponse et à ceux qui devront se décider rapidement. Mais si nous avons pu réussir en master, nous pourrons faire de même pour l'entrée en licence. L'expérimentation menée sur notre gouvernance devrait renforcer davantage la coordination entre rectorats et universités.

Laura Taillandier | Publié le