Comment est né ce projet de l'EdTech World Tour ?
Nous sommes toutes deux passionnées d'éducation, nous voulions devenir professeures. Mais il n'était pas question pour nous de délivrer le même enseignement que celui que nous avons reçu, et qui n'a pas beaucoup changé depuis nos parents et même nos grands-parents… Le modèle est aujourd'hui complètement sclérosé ! Avant de nous lancer, nous avons voulu comprendre comment transmettre des savoirs adaptés au monde dans lequel nous vivons, et dans lequel les enfants apprendront demain.
Pendant un an, nous avons pris des contacts et mené une campagne de fundraising. Certains de nos sponsors, notamment L'Etudiant, nous financent parce qu'ils soutiennent le projet. À d'autres, nous avons vendu du contenu relatant les expériences que nous avons rencontrées. Nous avons ainsi pu partir pendant cinq mois, dans le cadre de notre association à but non lucratif.
Quel était l'objectif de ce voyage ?
Nous avons conçu ce voyage comme un projet de recherche visant à rapporter de bonnes pratiques en matière d'éducation, en élargissant l'horizon habituel. On parle en effet beaucoup des États-Unis et de la Silicon Valley, mais peu de l'Inde, du Chili ou de l'Afrique du Sud qui sont pourtant des nations très innovantes !
Nous nous sommes rendues dans dix pays. Nous y avons rencontré des responsables des ministères, des investisseurs, des entrepreneurs de l'éducation, mais aussi bien sûr des enseignants et des élèves… À travers ces échanges, l'idée était de repenser la manière dont on enseigne et dont on apprend, notamment avec les nouvelles technologies mais pas seulement, car le numérique est un outil, pas une fin en soi.
En quoi les EdTech changent-elles notre manière d'appréhender l'éducation ?
Le numérique offre la possibilité de recommencer quand on se trompe et les EdTech sont au service d'un "growth mindset" [un "état d'esprit de développement"] au sens où l'on apprend de ses erreurs.
Cependant, l'éducation reste un sujet souverain, qui résiste à la mondialisation. Les enjeux sont locaux et le contexte joue un rôle majeur. Il n'y a pas de solution globale aux problématiques éducatives et les facteurs culturels influent sur l'adoption ou non des EdTech : c'est l'un des aspects fondamentaux qui sous-tend notre projet. À l'issue de notre voyage, nous avons la conviction que les nouvelles technologies vont révolutionner l'éducation, mais pas l'"ubériser" comme on l'entend parfois. On peut s'inspirer d'actions mises en œuvre dans d'autres pays, mais pas les copier-coller.
Aucune application ne pourra remplacer l'enseignant.
Quelle est l'idée phare que vous retenez de votre périple ?
La formation des enseignants est un enjeu fondamental. Il faut leur faire comprendre que leur pédagogie n'est parfois plus adaptée. De notre point de vue, le cours magistral ne devrait plus exister ! Il existe d'autres méthodes plus collaboratives permises notamment par les EdTech. Il ne faut pas avoir peur des outils numériques, mais au contraire s'en nourrir pour innover : si la question des données reste délicate, les algorithmes ont un pouvoir très puissant et peuvent énormément apporter à une classe en personnalisant l'apprentissage. De même, les Mooc ne risquent pas de remplacer les établissements d'enseignement supérieur : ils sont davantage un moyen de s'ouvrir et de toucher le plus grand nombre.
Pour reprendre la formule de John Martin, "the teacher is the killer app". Autrement dit, aucune application ne pourra remplacer l'enseignant. Celui-ci reste au centre du dispositif éducatif, à condition qu'il sache utiliser les nouveaux outils. Dès lors, la distinction entre formation initiale et formation continue est obsolète, il faut désormais se placer dans une perspective de "lifelong learning" [formation tout au long de la vie]. Et ne pas attendre la nouvelle génération, plus technophile, pour agir car nous perdrions beaucoup de temps…
La Nouvelle-Zélande a bien compris cet enjeu. Implanté dans six villes, le Mind Lab forme les enseignants à toutes sortes d'outils et de disciplines, comme l'impression 3D, la robotique ou l'intelligence artificielle. Aujourd'hui privé, le centre travaille en partenariat avec d'importantes fondations. Intéressés par le projet, les pouvoirs publics n'ont par ailleurs pas lésiné sur les moyens pour mettre en place les infrastructures nécessaires à l'intégration des nouvelles technologies dans l'éducation. 200 millions de dollars ont été investis pour installer le wifi dans toutes les écoles. Certes, la faible population (moins de 5 millions d'habitants) facilite un tel déploiement, mais il règne dans le pays une culture de l'innovation vraiment particulière.
Comment les établissements peuvent-ils eux-mêmes impulser le changement ?
Les écoles et universités devraient être des incubateurs d'innovation. Une école australienne de la banlieue de Sydney (Northern Beaches Christian School) abrite par exemple le SCIL (Sydney Center of Innovation and Learning), une sorte de hub où les enseignants réfléchissent ensemble à ce que leur école pourrait devenir. Le changement n'est pas imposé en "top down". Cela illustre l'importance de mettre à disposition un cadre pour permettre aux professeurs d'innover : en leur laissant du temps et un peu de moyens, ce n'est pas impossible à faire !
D'une manière générale, les exemples les plus marquants que nous avons rencontrés se situent dans le primaire ou le secondaire. Dans l'enseignement supérieur, les innovations observées ne sont pas incrémentales au sens où elles ne changent pas fondamentalement la façon d'enseigner.
C'est aussi le rôle des start-up de s'attaquer à la rigidité du système en innovant à l’extérieur.
L'entrepreneuriat est-il le moyen le plus efficace de transformer l'éducation ?
Il est plus difficile d'entreprendre dans la EdTech que dans d'autres secteurs comme la FinTech. En effet, l'éducation est un domaine presque sacré et vouloir y faire de l'argent est souvent mal perçu. Cependant, les mentalités évoluent.
Reste que, pour se développer, les start-up doivent se trouver dans un écosystème qui les pousse, avec notamment des incubateurs et accélérateurs spécialisés comme il en existe aux États-Unis. C'est là que le marché est le plus mature. On y trouve aussi des médias et des fonds spécialisés dans les EdTech.
La France, elle, se heurte au problème de la centralisation d'un marché où ce sont souvent les grands éditeurs qui remportent les appels d'offres publics. Les start-up n'ont pas la place de s'installer au sein du système. Mais c'est aussi leur rôle de s'attaquer à la rigidité de celui-ci en innovant à l’extérieur, ce qui fera indubitablement changer mentalités et pratiques.
Diplômée de l’Institut d’études politiques de l'université libre de Berlin et de HEC, Svenia Busson effectue aujourd'hui des missions de formation et de conseil pour des entreprises, en s'appuyant sur son expertise dans le domaine des EdTech. Audrey Jarre, quant à elle, achève sa dernière année à HEC.
Retrouvez le EdTech World Tour sur le blog EducPros et sur le site Internet dédié au projet.