
Elisabeth Borne, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, a répondu aux questions d’Educpros, ce vendredi 29 mai. Réforme des bourses et de la formation des professeurs, agrément pour réguler l'enseignement supérieur privé lucratif, impact de la situation américaine sur l’enseignement supérieur et la recherche française… La ministre nous a expliqué ses enjeux.
Près de 60 universités sur 75 ont présenté un budget initial 2025 en déficit. Quelles solutions pouvez-vous apporter pour soutenir davantage l'enseignement supérieur public ?
Tout d’abord, ce n’est pas exceptionnel que les universités présentent un budget initial en déficit, elles sont assez souvent pessimistes au moment où elles élaborent leur budget.
Dans les résultats de 2024, il n’y avait que dix établissements qui avaient des comptes avec une situation financière difficile. Lorsqu’elles sont dans ce genre de situation, l'État se tient aux côtés de ces établissements pour trouver des solutions.
Au-delà, le renouvellement des Contrats d'objectifs, de moyens et de performance (COMP) sera l’occasion en fonction du modèle économique de chaque université et de regarder la meilleure façon pour répondre aux difficultés financières que rencontrent certaines universités.
Evidemment, la défense des budgets de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est pour moi une priorité. Nous avons été nommés avec Philippe Baptiste, ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, au moment où nous débattions de ce budget, et cela a été pour nous une priorité dès notre arrivée.
Je voudrais aussi préciser, car cela apparaît moins dans le débat, qu’il y a une loi de programmation de la recherche (LPR), qui a apporté près de six milliards d’euros supplémentaires en cumulé depuis 2020 au monde de l’enseignement supérieur et de la recherche et les établissements en ont largement bénéficié. Dans le budget pour 2025, il y a 300 millions de plus par rapport à 2024, affectés à l’enseignement supérieur et la recherche.
Dans le contexte budgétaire tendu, le reste du montant prévu dans la LPR sera-t-il effectivement versé ? Une hausse des frais d’inscription à l’université peut-elle être envisagée ? Pourriez-vous par ailleurs préciser comment les COMP pourraient être modifiés pour mieux répondre aux besoins ?
Ce montant sera versé, c’est la position que nous porterons dans les futures discussions budgétaires, avec le ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. C’est important que chacun soit conscient de l’état de nos finances publiques. En même temps, nous savons que les investissements dans l’enseignement supérieur et la recherche d’aujourd’hui, c’est la richesse de notre pays demain. Il est donc essentiel de continuer à investir.
Quant à la hausse des frais d’inscription, elle n’est pas envisagée à ce stade.
Concernant les COMP, une discussion est engagée pour avoir des contrats plus globaux, puisque les contrats actuels ne portent que sur 0,8% de la subvention. Mais aussi pour simplifier la vie des établissements qui peuvent avoir des contrats avec des régions, avec des collectivités… L’idée, c’est de mettre tous les financeurs autour de la table pour discuter d’une vision stratégique d’ensemble. C’est comme cela que nous voulons procéder, pour commencer, dans les régions PACA et Nouvelle Aquitaine en 2025-2026.
Dans un contexte de précarité étudiante, le deuxième volet de la réforme des bourses, entamée en 2023, est très attendu. Quelles sont les pistes envisagées et quand sera-t-elle mise en place ?
En tant que Première ministre, j’ai eu à cœur qu’une première étape importante soit franchie à la rentrée 2023 en matière de vie étudiante. De nombreux étudiants sont devenus éligibles à la bourse grâce à une actualisation des barèmes de revenus d’éligibilité, et les montants ont par ailleurs été revalorisés.
Aujourd’hui, le système a des effets de seuil très contre-productifs. Nous avons des situations où l’étudiant perd jusqu’à 900 euros de bourse quand le revenu de la famille augmente d’un euro. Il faut limiter ces effets de seuil. Nous savons aussi que la forte dégressivité du système de bourse fait qu’un tiers des étudiants boursiers perçoivent moins de 150 euros par mois.
Cependant, l’obtention d’une bourse s’accompagne de certains avantages, comme le repas du Crous à un euro, mais le système paraît trop restrictif pour les étudiants issus des classes moyennes et qui sont, en pratique, parfois les plus exposés à la précarité
Au-delà de la seule question des bourses sur critères sociaux, je crois qu'il est nécessaire de s'interroger plus globalement sur l'ensemble des aides aux étudiants de façon à trouver un modèle plus juste et progressif.
L’objectif du deuxième volet de la réforme est de corriger ces effets de seuil et d’avoir un système plus juste. Nous voulons aussi une vision d’ensemble des aides dont peut bénéficier un étudiant. Nous pourrions par exemple, mieux coordonner le versement de la bourse et des aides au logement.
C’est le sens du travail mené par Philippe Baptiste, dans la perspective d’une réforme que nous souhaitons présenter pour le prochain budget. Si nous arrivons à dégager les financements nécessaires, le but est de porter un projet qui serait mis en place à la rentrée 2026.
Quel est l’impact de la situation aux Etats-Unis sur la recherche française ? Avez-vous un bilan chiffré du nombre de chercheurs étrangers accueillis en France ?
La science n’a jamais été menacée comme elle l’est aujourd’hui dans de nombreux pays dans le monde, et y compris désormais aux États-Unis, qui étaient considérés comme le paradis des chercheurs et de la liberté académique. C’est un bouleversement qui perturbe l’ensemble de la recherche mondiale car les Etats-Unis sont parties prenantes de la plupart des grands programmes internationaux. Des financements sont coupés dans les laboratoires, des chercheurs sont licenciés, et des bases de données ne sont plus accessibles, voire ont été détruites.
Avec le Président de la République, nous souhaitions une réponse forte de la France et de l’Europe. C’est le sens du programme Choose Europe for science qui doit permettre d’accueillir des chercheurs menacés et de travailler à une capacité pour l’Europe d’héberger de grandes bases de données qui étaient traditionnellement aux Etats-Unis.
Concrètement, cela s’est traduit par la mise en place d’une plateforme sur laquelle les universités et les organismes de recherche peuvent déposer leurs projets d’accueil de chercheurs internationaux et bénéficier d’un cofinancement à hauteur de 50%.
Depuis le 18 avril, nous avons eu 30.000 consultations de la plateforme venant du monde entier et 1.300 comptes de chercheurs ont été créés.
Cela s’est traduit par combien de chercheurs accueillis ?
C’est encore trop tôt pour le dire. C’est en tout cas une démarche qui suscite beaucoup d’intérêt, car il y a de nombreux candidats.
Certaines universités, comme Aix-Marseille, ont reçu plus de 200 CV. Il faudra ensuite voir combien de candidats concrétiseront leur projet.
Par ailleurs, les Etats-Unis ont suspendu le traitement des demandes de visas étudiants. Quelles sont les solutions face aux incertitudes et à l'instabilité des conditions d'études aux Etats-Unis ?
La décision des États-Unis de suspendre le traitement des visas étudiants étrangers est profondément regrettable.
Elle envoie un signal d’instabilité préoccupant à des milliers d’étudiants internationaux, dont de nombreux Français, qui aspirent à se former aux Etats-Unis.
Certaines universités prestigieuses, comme Harvard, pourraient ne plus accueillir d’étudiants. Naturellement, nous pourrons chercher des solutions en France pour tous les étudiants européens dont le projet était d’étudier dans ces universités américaines.
Envisagez-vous des solutions pour les étudiants français qui auraient voulu faire un échange aux États-Unis, et qui ne pourront finalement pas y aller, ou bien risquent d’être expulsés lors de leur échange ?
Nous recensons 10.000 étudiants Français qui étudient aux Etats-Unis et peuvent donc être impactés.
Nous n’avons pas encore été alertés par des cas spécifiques mais si cela devait être le cas, nous mettrions en place des dispositifs pour faire revenir ces étudiants et leur trouver des solutions pour poursuivre leurs études.
Le label pour réguler le privé prend finalement la forme d’agréments, qui s'ajouteront aux labels existants. Cela va-t-il vraiment clarifier l’offre de formation ?
Nous avons d’abord fait le choix de nous appuyer sur le label existant, Qualiopi, qui est nécessaire pour bénéficier des financements. Jusqu’à présent, il reconnaissait plutôt la qualité administrative des démarches, mais il ne prenait pas en compte la qualité pédagogique.
Nous sommes en train de l’enrichir, en lien avec Astrid Panosyan-Bouvet, la ministre chargée du Travail et de l’Emploi. Ce n’est pas négligeable, puisque les formations qui n’auront pas ce label ne pourront plus bénéficier des financements de l’apprentissage et de la formation continue.
Par ailleurs, pour réguler l’enseignement supérieur, nous avons prévu un agrément qui permettra de justifier de la qualité de la formation. Ce sera une condition nécessaire pour être référencé sur Parcoursup.
L’objectif, c’est de garantir la qualité des formations aux jeunes et aux parents, plutôt que de les laisser aller dans une formation parfois coûteuse et dont la qualité pédagogique n’est pas assurée.
Philippe Baptiste a annoncé ce choix de régulation mi-mai, il a engagé des concertations qui vont se dérouler jusqu’à mi-juin, pour se traduire dans un projet de loi cet automne.
Une licence Professorat des écoles sera créée, dans le cadre de la réforme de la formation des enseignants. L’ouverture de ce parcours dès 2026 vous semble-t-elle possible ? Avec quels moyens humains et financiers ? Cette réforme suffira-t-elle à enrayer la pénurie de professeurs ?
Je suis certaine que cette réforme rendra la formation et le métier plus attractif. Nous constatons qu’il y a beaucoup de jeunes qui aimeraient s’engager dans le métier de professeur après le bac, or, aujourd’hui, il n’y a pas de formation qui permet de devenir professeur des écoles.
Par ailleurs, quand nous sommes passés d’un recrutement en master 1 à un recrutement en master 2, le nombre de candidats a baissé de 45% pour les professeurs des écoles et 20% pour ceux du second degré.
C'est évident que cela a réduit le vivier et rendu difficile le recrutement de nos professeurs. Avec la réforme, nous recruterons au niveau de la licence et la formation sera rémunérée 1.400 euros en première année de master et 1.800 euros en deuxième année.
Nous aurons à la fois un parcours plus lisible et une formation rémunérée. Ce n’est pas rien, car ce n’est pas simple pour un certain nombre de jeunes de poursuivre leurs études sans rémunération.
Par ailleurs, nous travaillons aussi pour mieux préparer les professeurs à ce métier, qui n’est pas simple. Aujourd’hui, quatre professeurs sur cinq nous disent qu’ils ne sont pas suffisamment préparés. C’est donc important de rassurer tous ceux qui veulent aller dans cette voie, avec une formation solide.
Les licences doivent en effet être prêtes pour la rentrée 2026. Les conditions de mise en place et les maquettes de ces licences pluridisciplinaires sont en cours de discussion avec les universités.
Des aides financières pourront-elles être attribuées lors de ces discussions ?
Nous regarderons lors de ces discussions avec les universités s’il y a des sujets particuliers pour les accompagner dans la mise en place de ces licences.