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E. Ethis (recteur de Rennes) : "On va construire Bretagne 2030, un projet académique en cinq ans"

Thibaut Cojean Publié le
E. Ethis (recteur de Rennes) : "On va construire Bretagne 2030, un projet académique en cinq ans"
Emmanuel Ethis, recteur de la région académique de Bretagne, répond aux questions d'EducPros. // ©  Photo fournie par le témoin
Nouveau gouvernement, politiques publiques, rentrée scolaire, spécificités académiques... Cette année, EducPros donne la parole à différents recteurs de France. Voici l'épisode 2 de cette nouvelle série avec Emmanuel Ethis, recteur de la région académique de Bretagne.

Emmanuel Ethis est recteur de l'académie de Rennes depuis avril 2019. Il a précédemment exercé cette fonction à Nice (2015-2019), après avoir été président de l'université d'Avignon (2007-2015).

Il revient pour EducPros sur les enjeux de la rentrée, la nomination du nouveau gouvernement et les enjeux propres à l'académie de la région académique Bretagne.

Anne Genetet est la nouvelle ministre de l'Education nationale. Elle a annoncé se lancer dans la continuité des politiques éducatives de ses prédécesseurs. Quel devrait être, à votre avis, son chantier prioritaire ?

C’est difficile à dire, car ce n’est pas forcément le même chantier d’une académie à l’autre et je ne me permettrais pas d’avoir une vision générale.

Les priorités pour la région académique de Bretagne seraient d’avoir un travail attentif sur les 65% des territoires ruraux qui composent la Bretagne, avec notamment le devenir de nos écoles rurales. Une question qu’on corrèle, comme dans d’autres territoires français, à une baisse démographique.

Comment se matérialise le caractère rural de l’académie ?

J’ai des élèves qui font jusqu’à 2h30 de transport par jour ! Si on corrèle le temps de transport à la réussite scolaire, on se rend compte que la plupart du temps, ceux qui sont très éloignés sont ceux qui réussissent le moins.

C’est un axe sur lequel on va travailler cette année, avec les compagnies, pour proposer des services numériques à l’intérieur des bus, les redesigner pour qu’il y ait de la lumière en hiver et permettre ainsi jeunes de réviser pendant le trajet. Ce sont des choses simples et fondamentales qui partent de l’écoute des enfants.

L’académie de Rennes est toujours l’une de celles qui obtient les meilleurs taux de réussite au bac. Savez-vous pourquoi ?

En tant sociologue de l’éducation et de la culture, cela m’a interrogé lorsque je suis arrivé en Bretagne : pourquoi cette terre est citée dans de nombreux rapports comme étant la terre de l’excellence scolaire ? Si secret il y a, il se lit dans l’histoire de la région.

Dans l’après-guerre, la Bretagne n’avait pas de richesse particulière et tous les politiques bretons ont voulu faire de l’éducation leur horizon. Aujourd’hui, le sujet traverse tout le territoire : c’est une préoccupation partagée par les élus, par les parents d’élèves et par nous évidemment. Mais pourquoi ? Parce qu’on en parle ! On va te demander si tu réussis à l’école, où tu en es, ce que tu veux faire plus tard…

L’encouragement à la culture, à la musique, joue un rôle essentiel

La Bretagne a aussi un meilleur taux de lecture qu’ailleurs car dans le moindre village breton, il y a une médiathèque. L’encouragement à la culture, à la musique, joue un rôle essentiel. Les bagadoù [orchestres bretons] jouent un rôle incroyable aussi dans la réussite !

Cette terre d’éducation populaire, d’éducation artistique et culturelle, offre de vraies clés sur un modèle qui fonctionne. Et qui est simple à reproduire, si on a conscience que c’est tout cela qu’il faut agencer. On retrouve ce type de modèle ailleurs, en Irlande ou en Finlande par exemple.

Concernant la rentrée 2024, la mise en place des groupes de besoins en 6e et 5e a été assez hétérogène en France. Comment cela s’est passé dans votre académie ?

Il faudrait attendre plus de remontées pour répondre à cette question. Nous avons déployé des actions de formation concernant les groupes de besoins, avec une focale : l’objectif n’est pas le groupe, mais de faire réussir ceux qui ne réussissent pas.

Avec la très bonne réussite bretonne, on oblitère parfois les enfants qui sont dans des situations les plus fragiles. Cette analyse des besoins, basée sur les évaluations, se concentre vraiment sur les plus fragiles.

Une particularité de la Bretagne est la très forte présence de l’enseignement privé. Selon une enquête de Médiapart*, l’académie de Rennes est celle qui accorde le plus de subventions publiques aux lycées privés sous contrat. Comment l’expliquez-vous ?

Je ne peux pas parler au nom du président de la Région, qui s’est d’ailleurs exprimé sur le sujet [lors d'un déplacement au collège-lycée Saint-Pierre, à Saint-Brieuc, le 5 septembre]. Je n’ai pas d’explication particulière par rapport à cela.

L’enquête montre que ce sont les lycées privés les plus favorisés qui touchent les plus subventions importantes. Les conseils académiques sont-ils mis en place et ont-ils le pouvoir de rééquilibrer ces dépenses ?

En tant que recteur, mon sujet c’est de faire réussir tous les jeunes. Nous, recteurs, sommes évalués au regard de notre réussite dans le suivi des politiques publiques et prioritaires du gouvernement.

Ma mission est d’inviter les uns et les autres à réussir ces politiques au plus haut niveau et j’entretiens le même type de dialogue avec les établissements publics et privés.

Du côté des enseignants, la Bretagne est l’une des académies les plus demandées au niveau des mutations. Est-ce que la région échappe aux difficultés de recrutement : y a-t-il un enseignant devant chaque classe ?

A cette rentrée, nous avons un enseignant devant chaque classe et nous n’avons pas de difficultés de recrutement. Nos concours font le plein.

Les syndicats enseignants remontent de nombreuses difficultés et des doutes au niveau national. Quels sont les enjeux dans votre académie ?

Cette année, j’ai invité tous les syndicats à venir dans mon bureau échanger sur leurs difficultés et sur leur vision du projet académique qu’on va faire pour 2030. Ma volonté, c’est celle d’un accompagnement au plus près du terrain, au plus près des collègues.

Je suis conscient qu’il peut y avoir des difficultés et loin de moi l’idée de dire que tout fonctionne bien. Mais cette conscience des difficultés m’amène à redéfinir les modalités du dialogue social pour pouvoir être au plus près des problématiques qui touchent les enseignants, les chefs d’établissements et tous les opérateurs de terrain.

Je tiens beaucoup à cette logique, qui a, je pense, été bien reçue. Tout le monde apprécie le dialogue social et il n’y a qu’un syndicat qui n’a pas voulu participer au projet académique.

Quel est ce projet académique ?

Nous allons tenter d’écrire un projet sur la déclinaison des différents axes de France 2030 : Bretagne 2030. Avec les axes qui caractérisent la Bretagne : l’océan, les fonds marins, le bâtiment durable, l’agriculture durable, l’agro-alimentaire, la cybersécurité et le numérique, les contenus culturels.

Ajuster Bretagne 2030 aux enjeux de France 2030 permet une meilleure lisibilité

Nous faisons un projet académique pour cinq ans et en termes de communication, ajuster Bretagne 2030 aux enjeux de France 2030 permet une meilleure lisibilité. Il faut qu’on permette aux jeunes bretonnes et aux jeunes bretons de se projeter dans un avenir serein, ce qui veut dire travailler le plus tôt possible les problématiques d’orientation.

Une chose étonnante parfois : les jeunes qui réussissent très bien au lycée cherchent en priorité une formation pas très loin de chez eux. Il faut éviter cet effet d’autocensure. C’est une vraie problématique d’orientation.

Comment y remédier ?

Cela se corrige par l’orientation, faire connaître les métiers, accompagner les voies professionnelles de tous, y compris au plus haut niveau. Quand on a un centre de recherche national aussi important qu’Ifremer à Brest, il faut que les petites Bretonnes et les petits Bretons se disent "ça, c’est pour moi" !

Il faut construire cette stimulation avec les universités. C’est très important qu’on puisse mobiliser, dès le collège, les collègues de l’enseignement supérieur qui sont tout à fait prêts à le faire. On a une chance inouïe dans l’enseignement supérieur breton, c’est qu’on y trouve 96% des offres nationales.

Les dernières réformes de la voie professionnelle donnent aux régions de l’autonomie dans le choix des cursus. Comment est dessinée la carte de formations en Bretagne ?

On ajuste la carte en fonction de l’évolution des secteurs. Socio-économiquement, la Bretagne fonctionne bien donc nous sommes dans une logique d’accompagnement des territoires. Il n’y a pas de spécificités : on favorise tous les métiers qui sont en recrutement, voire en tension.

Et nous le faisons de manière pluriannuelle. Nous ne fixons pas la carte pour les cinq ans : nous la revoyons tous les ans, de façon systématique.

Notre série : les enjeux des académies, vus par les recteurs

Pour comprendre les enjeux de chaque territoire, EducPros vous propose une série d'interviews des recteurs. Rentrée scolaire, spécificités et projets académiques, formation des enseignants et réformes : c'est l'occasion de faire le point sur les grandes questions nationales et locales.

L'entretien d'Emmanuel Ethis est le deuxième de notre dossier. Vous pouvez également consulter l'interview de :

Thibaut Cojean | Publié le