Fabrice Bardèche (Ionis) : "Si je devais imaginer une école aujourd'hui, elle serait internationale, du jardin d’enfants au bac"

Sophie de Tarlé Publié le
Fabrice Bardèche (Ionis) : "Si je devais imaginer une école aujourd'hui, elle serait internationale, du jardin d’enfants au bac"
Fabrice Bardèche, vice-président exécutif de Ionis Education group © Benjamin Taguemount // © 
Ancien journaliste, Fabrice Bardèche est vice-président exécutif de Ionis Education Group, devenu trente-trois ans après sa création, le premier groupe d’enseignement supérieur privé français. Retour sur le parcours d'un agrégé de lettres qui a contribué à bouleverser durablement le paysage de l’enseignement en France. Nouveau volet de notre série "Les entrepreneurs pédagogiques".

Comment êtes-vous passé de l’enseignement public au privé ?

Agrégé de lettres, j’ai commencé comme professeur dans un collège en banlieue. Ensuite, j’ai cumulé des activités de journaliste dans le domaine médical et d’enseignant à l’université Paris-Diderot. C’est autour d’un flipper que j’ai rencontré Marc Sellam (aujourd’hui PDG du groupe Ionis), alors que nous étions encore étudiants. Quelques années plus tard, je l’ai croisé par hasard dans la rue. Il créait l’ISEG, et m’a proposé de venir donner des cours en BTS en plus de mon activité de journaliste. Je me suis mis en disponibilité de l’université et, petit à petit, mon investissement dans l’école m’a fait lâcher le journalisme.

J’ai eu le vrai déclic quand j’ai compris tout l’intérêt de développer un enseignement supérieur privé de qualité en phase avec les besoins des entreprises. À l’époque, les écoles privées étaient essentiellement tenues par l’enseignement catholique. Et il y avait une grosse pénurie de diplômés, correctement formés. Tout le monde ne pouvait pas intégrer une grande école de commerce, les formations universitaires ne collaient pas avec les besoins économiques, et les BTS ne parvenaient pas à absorber tous les candidats.

Tout le monde pensait que nous étions fous d’investir dans l'informatique en pleine crise

Pourquoi vous êtes-vous ensuite tourné vers l’informatique ?

En 1994, nous avons racheté l’Epita à un moment où l’informatique était au creux de la vague. Tout le monde pensait que nous étions fous d’investir en pleine crise. Moi je voyais bien que l’informatique allait pénétrer au cœur de la société, mais que c’était une spécialité qui n’était enseignée qu’en marge des grandes écoles d’ingénieurs. Petit à petit, nous avons introduit des cours scientifiques à l’Epita dans le but de demander le titre d’ingénieur.

Mais, pour satisfaire les étudiants passionnés par l’informatique qui n’étaient pas intéressés à assimiler des modèles abstraits, nous avons créé l’Epitech. Nous avons dû adapter la pédagogie afin de ne pas reproduire un enseignement traditionnel qui ne leur convenait pas.

Justement, comment avez-vous réagi à l’annonce de la création de l’école 42  de Xavier Niel ?

L’école 42 est un hommage à l’Epitech, mais nous revendiquons le droit d’invention. C’est à l’Epitech qu’a été inventée la fameuse  "piscine", cette période de programmation intense où les étudiants doivent chaque jour résoudre des exercices, en se débrouillant pour trouver eux-mêmes la solution. C'est à l’Epitech encore que s’est forgée la pédagogie par projet et que nous avons décidé que les cours magistraux seraient consultables en vidéo sur l’intranet de l’école. Cette pédagogie fonctionne très bien en informatique, un domaine où tout bouge très vite et où les étudiants seront forcément confrontés à des problèmes qu’ils n’auront pas appris à l’école.

Pour preuve, Alexandre Malsch a fondé le média en ligne Melty à l’Epitech. Et début octobre, c’est un binôme Epitech/HEC qui a gagné le titre de meilleure start-up au monde, décerné par l’université californienne de Stanford, après avoir suivi le cours  "Start up Engineering"  mis en ligne sur la plate-forme de cours en ligne Coursera.

L’école 42 est un hommage à l’Epitech, mais nous revendiquons le droit d’invention

Quelles difficultés avez-vous dû surmonter en développant ces écoles ?

Au tout début de l’ISEG, le problème est que nous avions des jeunes qui avaient opté pour cette école en deuxième choix. Notre challenge était le suivant : comment obtenir de bons résultats au BTS avec des étudiants au niveau plus faible que ceux admis dans les lycées publics ?

D’abord, ces élèves étaient beaucoup plus motivés. Leurs parents, qui n'étaient pas aisés contrairement à ce qu'on pense, avaient dû se sacrifier pour payer leurs études et leur mettaient une forte pression. Et puis, nous avions toute liberté de choisir une équipe d’enseignants dynamiques et motivés. D'autre part, si nous étions tenus par le programme imposé à l’examen, nous avions toute latitude concernant la méthode. Enfin, ces familles étaient nos clients, et nous obligeaient à nous impliquer. Nous étions tenus par la nécessité de les faire réussir. Nous sommes aujourd’hui dans des environnements de grandes écoles mais, fondamentalement, cette dynamique de la réussite reste très présente.

Est-il encore possible de créer une école aujourd’hui en partant de rien ?

Oui, mais si je devais imaginer une école aujourd’hui, je créerais un établissement international qui irait du jardin d’enfants au bac. La demande est importante, surtout dans les grandes villes. Les familles recherchent une marque forte, un label de qualité pour l’enseignement secondaire. Je n’aime pas critiquer l’Éducation nationale, c’est injuste et trop facile. Mais il faut reconnaître que, face à un système public défaillant, une école privée jouit d'une organisation plus souple qui lui permet de réagir. Elle n’a pas les mêmes contraintes ni les mêmes lourdeurs administratives.

Ionis Education Group en bref
• PDG : Marc Sellam.
• Année de création : 1980.
• 15 écoles dans les domaines du commerce (ISG, Groupe Iseg, ICS Bégué, ISEFAC, ISTH), des sciences et technonologies (Epitech, Epita, ESME Sudria, IPSA, Sup’Biotech, Sup’Internet, e-art sup, Etna, Web@cadémie) et du soutien scolaire (Ionis Tutoring, Math Secours).
• Localisation : 12 villes en France.
• Nombre d’étudiants : 19.000.
Sophie de Tarlé | Publié le