Florence Robine (rectrice de Créteil) : "Nous allons concentrer les efforts sur la réussite dans l’enseignement supérieur"

Cécile Peltier Publié le
Florence Robine (rectrice de Créteil) : "Nous allons concentrer les efforts sur la réussite dans l’enseignement supérieur"
Florence Robine - Rectrice de l'académie de Créteil - © Rectorat de Créteil // ©  Rectorat de Créteil
Florence Robine a été nommée, début janvier 2013, rectrice et chancelière des universités de l’académie de Créteil, la deuxième de France. Une académie très différente de celle de la Guyane et de Rouen, où elle a officié précédemment. Accueil des élèves allophones, égalité garçons-filles, réussite dans l’enseignement supérieur… Elle fait le point pour EducPros sur ses dossiers prioritaires.

Qu'est-ce qui vous a le plus surpris en arrivant à Créteil ?

C'est ma troisième académie en tant que rectrice, et une expérience, sur bien des plans, très différente de celles vécues en Guyane ou à Rouen. Le principal changement concerne la gouvernance : en région, on est en prise avec un seul conseil régional. Ici, la décision est plus intriquée. Nous travaillons en lien étroit avec la région Île-de-France, mais aussi avec les académies de Versailles et de Paris, sur lesquelles chacun de nos choix a une répercussion.

Quel impact sur votre travail au quotidien ?

C'est plus complexe, cela demande encore plus d'interaction, de réflexion commune. C'est particulièrement frappant dans l'enseignement supérieur : beaucoup de nos étudiants poursuivent leurs études dans les académies de Paris et de Versailles. L'offre de formation doit être pensée de manière vraiment concertée !

Mais j'ai pris mes fonctions en même temps que François Weil, à Paris, et Pierre-Yves Duwoye, à Versailles. Nous avons noué des contacts et nous passons beaucoup de temps à échanger.

Quelles sont les spécificités de l'académie de Créteil, notamment en matière d'enseignement supérieur ?

Avec 866.300 élèves (public et privé confondus, dont 15.000 en postbac), 80.000 étudiants et 20.000 apprentis, c'est derrière Versailles, la deuxième académie de France. Sa sociologie populaire signifie également une concentration de défis – terme que je préfère à celui de difficultés – aussi bien dans l'enseignement scolaire que dans le supérieur : le défi de la scolarisation, mais aussi des infrastructures. Dans certaines zones de Seine-et-Marne, les jeunes ont du mal à poursuivre leurs études supérieures pour des raisons de transports et de logement.

C'est une académie que je trouve également extrêmement imaginative. Elle n'est pas figée dans des visions anciennes, des habitudes, peut-être à cause de la jeunesse de ses enseignants et de son encadrement. C'est aussi une académie extrêmement solidaire, ce qui n'est pas le cas partout.

Ce dynamisme se retrouve également dans les mouvements sociaux... Quel est le climat actuellement dans l'académie ?

Les enseignants de l'académie savent se mobiliser dans tous les sens du terme, et cela fait également partie des spécificités de Créteil. Sans parler de cogestion, bien entendu ; j'ai l'ambition d'être très ouverte au dialogue social. J'ai déjà reçu l'ensemble des organisations syndicales, des associations de parents d'élèves et j'ai trouvé ça très intéressant.

Le turn-over important des personnels, qui complique la poursuite des projets dans la durée, est notre principal souci

Quels sont vos dossiers prioritaires pour les mois à venir ?

Il y a une série de dossiers sur lesquels je souhaite davantage de visibilité et sur lesquels je vais prendre mon bâton de pèlerin. L'accueil des enfants allophones, déjà inscrit dans le projet académique, me tient particulièrement à cœur. Il ne faut pas oublier qu'une part importante des entrants en situation irrégulière sur le territoire national passent d'abord par la Seine-Saint-Denis.

Un autre dossier important est celui de la promotion de l'égalité filles-garçons. J'ai été nommée en février dernier coprésidente du Comité national de pilotage interministériel de la convention sur l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif. 2013 est une année de mobilisation. Créteil fait partie des dix académies qui expérimenteront à la rentrée l'«ABCD de l'égalité», un programme de formation ambitieux des enseignants de maternelle et élémentaire sur cette question. Nous visons une trentaine d'écoles pilotes.

Dans mes priorités figure aussi le numérique. Une anecdote : après François Weil, j'ai été le deuxième recteur à ouvrir un compte Twitter personnel via lequel je dialogue avec qui le souhaite. À la rentrée 2012, le collège Jean-Lurçat en Seine-Saint-Denis a été labellisé collège pilote numérique. Nous travaillerons éventuellement avec la région sur un projet de lycée du même type.

Le numérique est un vrai outil de motivation, d'appropriation du savoir pour les élèves. Je crois beaucoup au mobile learning, à l'utilisation intelligente des réseaux sociaux, et suis très intéressée par ce qui se passe sur les classes Twitter. Nous allons profiter du programme Ordival, qui permettra d'ici à 2016 d'équiper chaque collégien du Val-de-Marne d'un ordinateur, pour former les enseignants à ces outils. Il faut libérer les usages !

Et concernant l'enseignement supérieur ?

Nous allons concentrer nos efforts sur l'amélioration de l'accès à l'enseignement supérieur et de la réussite de nos élèves. Cette lutte contre le décrochage passe par une réflexion sur l'introduction de passerelles entre les STS, les IUT et le cycle licence universitaire. C'est un chantier que nous allons ouvrir.

Je souhaite que l'on soit proactif avec des procédures les plus légères possibles. Il faut également que l'on puisse anticiper les besoins au maximum afin qu'un étudiant qui ne se sent pas bien dans la licence qu'il a choisie puisse dès le premier semestre basculer vers un BTS ou un IUT où il reste des places. Sur cette question, les universités de l'académie font déjà preuve de beaucoup d'imagination.

Je souhaite aussi qu'on travaille sur une meilleure réussite des bacs pro. Dans l'académie, les deux tiers demandent à continuer leurs études après le bac. Ils visent en priorité des STS ; mais aussi des licences générales, où une part non négligeable se retrouve avec des taux de réussite catastrophiques. Les Cordées bacs pro-BTS, mises en place dans l'académie, visent à mieux les préparer à l'entrée dans le supérieur. Dès février, on repère les élèves de terminale de bac pro qui souhaitent poursuivre en BTS et on leur apporte un accompagnement spécifique à travers des modules de méthodologie, des enseignements dans des matières générales, etc., le tout en lien étroit avec la tête de cordée, un lycée à BTS. Le dispositif sera étendu en 2013 : 60 lycées sont pressentis comme tête de cordée.

Nous prévoyons en parallèle une procédure APB un peu spéciale avec un accompagnement et une orientation spécifiques de ces jeunes.

Depuis votre arrivée, à quelle(s) difficulté(s) avez-vous été confrontée ?

Le taux de rotation important des personnels, qui complique la poursuite des projets dans la durée, est notre principal souci. Nous voudrions convaincre les personnels que le métier trouve tout son sens dans une académie comme la nôtre. Pour faciliter leur accueil, nous avons proposé aux préfets et aux conseils généraux – la Seine-Saint-Denis travaille déjà sur le sujet – de constituer une banque de logements spécifique. Nous allons former des groupes de travail sur cette question. J'ai espoir que cela débouche rapidement.

Je suis également assez confiante dans la capacité des emplois d'avenir professeur à convaincre certains jeunes de l'académie de se lancer dans l'aventure du professorat.

L'ESPÉ sera portée par l'UPEC, où était intégré l'actuel IUFM. Son nom a fait consensus auprès des trois autres universités, qui gèrent le projet collectivement

La question des ESPÉ est un dossier important. Comment se passent les négociations dans votre académie ?

Je ne parlerai pas de négociations, mais de travail en commun. Au début, il existait des inquiétudes relativement légitimes sur les équilibres relatifs aux aspects disciplinaires, didactiques, mais je crois que les craintes ont été apaisées. Personne ne décide tout seul. L'ESPÉ sera portée par l'UPEC, où était intégré l'actuel IUFM. Son nom a fait consensus auprès des trois autres universités, qui gèrent le projet collectivement.

Nous n'avons pas encore tout réglé. Plusieurs groupes de travail ont été installés. Ils sont eux-mêmes coordonnés par un groupe de pilotage mené par le directeur de l'IUFM, Didier Geiger, dans lequel je siège aux côtés des quatre présidents d'université, du directeur de la pédagogie et du chargé de mission premier degré.

Nous réfléchissons à une répartition concertée de l'offre de formation, avec des formations transversales mutualisées et des formations thématiques dans les universités où les compétences sont les plus présentes. Nous continuons aussi à travailler sur la question des inscriptions des étudiants et la dimension budgétaire des ESPÉ, mais la qualité du dialogue me rend optimiste.

Qui est pressenti pour être administrateur provisoire de l'ESPÉ ?

Je n'en sais rien du tout, et nous n'en sommes pas là ! J'ai voulu que nous entrions dans les discussions par une logique de projet, et non de moyens ou de personnes, afin de ne pas bloquer les débats.

Pensez-vous tenir le calendrier de la réforme ?

Nous sommes de bons élèves : nous avons envoyé le 1er mars au ministère un préprojet, signé par le recteur et les quatre présidents d'université, qui a déjà belle allure. Nous attendons maintenant les commentaires du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

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