Les établissements en quête de singularité mais aussi de standardisation
L'enseignement supérieur connaît aujourd'hui une tension entre, d'un côté, des dynamiques de marque de la part d'établissements qui déploient des outils de communication pour mettre en avant leur singularité et valoriser leur diplôme, et, de l'autre, la mise en place de standards qui permettent de valider un certain niveau de qualité des formations sur un territoire. L'idée de définir un référentiel commun de compétences pour les ingénieurs européens illustre à mon sens cette tendance qui va s'accentuer dans les années à venir.
Sur le fond, que les différents pays s'accordent pour valoriser leurs formations d'ingénieur est une bonne chose dans la mesure où cela contribue à organiser un système homogène et compréhensible de l'intérieur et de l'extérieur, favorisant la mobilité intra-européenne et l'attractivité à l'international.
J'espère même que cette construction au niveau européen aidera le paysage universitaire français à montrer un front uni et à dépasser ce qui nous fragilise au niveau international, à savoir cette querelle stérile qui oppose les écoles et les universités. Ce référentiel pourrait notamment être l'occasion pour les masters des facultés de sciences de gagner en visibilité, en montrant qu'ils remplissent également les critères définis. Car ces formations de grande qualité, très professionnalisantes et tirées par la recherche donnent accès, de fait, à des métiers d'ingénieur.
Le fait que les écoles réclament le droit de délivrer le diplôme national de master signifie que celui-ci a de la valeur pour elles, et pour le grand public.
Le diplôme de master : une valeur sûre
La requête de la CGE (Conférence des grandes écoles) pour avoir le droit de délivrer le titre national de master a été une grande surprise pour moi.
Je sais que cette bataille ressurgit de temps en temps. Je peux même comprendre que les écoles veuillent avoir accès au grade fétiche des universités mais que cette demande ait lieu alors que, de leur côté, elles refusent aux universités le droit de délivrer le diplôme d'ingénieur ne manque pas de piquant…
Mais après tout, si les écoles veulent mettre en place des diplômes avec des équipes d'enseignants-chercheurs de qualité comparable à celles des universités et avec les mêmes droits nationaux de 250 € par an, cela fera progresser à la fois la science française, en relevant le niveau de recherche de ces écoles, et l'accès social aux études de bon niveau.
Cependant, mon étonnement ne vient pas de là : je me serais attendu à ce que les logiques de marque l'emportent sur les cahiers des charges nationaux ; à ce que des écoles comme l'EM Lyon, l'Edhec ou Centrale Nantes, par exemple, considèrent qu'étant donné le prestige de leur nom, le diplôme de master représente pour elles plus de contraintes que de visibilité.
De manière symétrique, Dauphine s'est posé cette question au moment où elle a souhaité augmenter ses droits d'inscription : quelle plus-value y a-t-il à rester dans une dynamique nationale alors que la marque Dauphine attire largement les étudiants ? C'est une question intéressante, et certainement en évolution.
Aujourd'hui, le fait que les écoles réclament le droit de délivrer le diplôme national de master signifie que celui-ci a de la valeur pour elles, et plus largement pour le grand public et les employeurs. C'est plutôt une bonne nouvelle ! De ce point de vue, j'en suis étonné... mais ravi !
Les universités vivaient jusqu'à présent dans l'ombre de la société.
L'université, une boussole pour notre société
Analysant les magazines de plusieurs universités, Ghislain Bourdilleau observe une évolution vers davantage de contenus, de savoirs, qui témoigne d'une plus grande ouverture vers la société. Il repère ainsi un indice de ce qui est à mon sens un mouvement de fond : petit à petit, la société commence à se réconcilier avec son université, alors que, pendant longtemps, celle-ci a été cantonnée à un rôle purement utilitaire de formation des jeunes, la recherche étant quant à elle disons tolérée.
Cette façon de présenter les choses est volontairement caricaturale, mais les universités vivaient jusqu'à présent dans l'ombre de la société. Aujourd'hui, on remarque une présence accrue dans les médias d'enseignants-chercheurs qui viennent expliquer la chute des cours de la Bourse ou le phénomène d'abstention après un scrutin.
Le rôle de boussole et d'orientation de l'université revient au premier plan. Si les attentats contre "Charlie Hebdo" ont contribué à interroger sa place dans la société, cette évolution a commencé avec la loi LRU (libertés et responsabilités des universités), l'autonomie, et la possibilité offerte aux établissements de gérer leur propre destin.
J'espère que ce mouvement, pour l'instant encore timide, sera certain et durable car la société en a besoin. L'université est le lieu où l'on interroge les savoirs, où on les remet en question pour construire de nouvelles représentions. C'est là où se forge la connaissance de demain.
#CarteBlanche – Revaloriser l'image de l'université
Sous l'impulsion d'Emmanuel Ethis, la CPU (Conférence des présidents d'université) a créé un comité culture et communication afin de traiter de la manière dont l'université communique vers la sphère publique, de son influence et de sa représentation dans la société, trop souvent caricaturale : on parle beaucoup de ses difficultés et moins de ses succès et de son rôle socio-économique. Et nous, présidents, y avons forcément une part de responsabilité. Une douzaine d'entre nous se réuniront sur ce thème lors de l'université d'été de la CPU fin août.
Cette initiative va dans le sens d'autres actions comme la web radio France Culture Plus ou la Journée des arts et de la culture dans l'enseignement supérieur, qui a organisé sa troisième édition cette année.
Il faut que l'université continue à s'ouvrir en affirmant son utilité et en faisant valoir son rayonnement intellectuel et culturel. Ce nouveau comité vise à faire évoluer les représentations dans les médias, les arts, mais aussi au sein des ministères… Bercy en particulier témoigne régulièrement d'une profonde mécompréhension de ce qu'est l'université, avec des répercussions financières non négligeables, alors qu'au final nous sommes tous dans le même bateau, au service du pays.
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Aller plus loin
L'entretien avec Pierre Mathiot, rédacteur en chef invité du mois de mars 2015