Georges Haddad, directeur de l’enseignement supérieur à l’Unesco : "Les universités de classe mondiale ne sont pas forcément le modèle à suivre par tous les établissements"

Propos recueillis par Maëlle Flot Publié le
Georges Haddad, directeur de l’enseignement supérieur à l’Unesco : "Les universités de classe mondiale ne sont pas forcément le modèle à suivre par tous les établissements"
Georges Haddad, président de l'université Paris 1-Panthéon-Sorbonne. // ©  Photo fournie par le témoin
L’Unesco, qui organise sa conférence générale du 6 au 23 octobre 2009, entend consolider son rôle dans le domaine de l'enseignement supérieur. Financements publics et privés, rankings, universités de classe mondiale, etc. Le directeur de la division de l’enseignement supérieur de l’Unesco, Georges Haddad, un Français, nous explique le positionnement de l'organisation sur ces thèmes qui font actuellement débat dans l'enseignement supérieur.

Quelle place occupe l’Unesco dans le secteur de l’enseignement supérieur ?
L’ampleur et le succès de notre seconde Conférence mondiale sur l’enseignement supérieur ont prouvé que seule notre organisation pouvait susciter un tel engagement participatif. De nombreux États membres nous ont d’ailleurs fait confiance : la France a été l’un des pays les plus généreux, aux côtés notamment de l’Allemagne, du Brésil, de la Corée du Sud, de la Suède et de la Suisse.

Cette année, nous lançons une initiative pilote avec quelques pays volontaires – en Amérique latine, en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est – sur l’état de leur enseignement supérieur afin d’élaborer des actions concrètes. Notre rôle consiste également à initier, à encourager et à renforcer les réseaux de coopération universitaire, à l’image de notre programme phare UNITWIN/Chaires Unesco.

Vous proposez, sur votre site Web, un portail des institutions reconnues de l’enseignement supérieur, des informations fournies par les États eux-mêmes. Dans le même temps, vous vous êtes inquiété, lors de la Conférence mondiale, de la tendance actuelle qui voudrait faire des universités de classe mondiale le modèle absolu à ­suivre par tous. N’y a-t-il pas là une contradiction ?
En mettant en ligne les données fournies par les pays, auxquelles une quarantaine d’entre eux contribuent aujourd’hui, nous ne faisons que répondre à un besoin d’information crédible sous la responsabilité des pays concernés. Il n’a jamais été question de dire qu’il fallait suivre le modèle des universités en tête dans ces divers classements mondiaux, parfois contradictoires entre eux. Le rôle de l’Unesco est de valoriser toutes les institutions d’enseignement supérieur qui accomplissent efficacement leurs missions, et pas seulement celles dites de classe mondiale.

Le modèle d’établissement qui assimile exclusivement l’excellence à la recherche s’avère parfois peu adapté, notamment aux réalités des besoins des pays émergents. Les vedettes, comme partout, ont leur importance à condition d’éviter qu’elles ne soient isolées du reste du système. Les universités de classe mondiale doivent à cet égard faire partie intégrante de l’ensemble du supérieur et de la recherche par les liens étroits qu’elles nouent avec d’autres établissements à tous les niveaux de leurs activités respectives (formation, recherche, innovation...). C’est ce que le matheux que je suis appellerait la « fractalisation » du supérieur ; toutes les institutions, quelle que soit leur échelle, méritent considération et soutien.

La question de la place du secteur privé dans l’éducation est récurrente. L’éducation est-elle toujours considérée par l’Unesco comme un bien public ?
Trois piliers de la société doivent à mon humble avis transcender le Politique ; il s’agit de la Justice, de la Santé et de l’Éducation. Il est clairement ressorti des débats des conférences mondiales récemment organisées par l’Unesco que l’éducation et le supérieur constituaient un bien public. Les savoirs appartiennent au patrimoine de l’humanité et doivent être accessibles à tous sans exclusion. Cela implique, entre autres, que les institutions d’enseignement supérieur, y compris les universités, continuent à jouer un rôle au niveau local et régional, en lien avec les besoins éducatifs, économiques, culturels, etc. Certains pays n’ont cependant pas les moyens de développer une éducation de caractère uniquement public, financée par l’État. Dans ce cas, les institutions privées jouent, aux côtés de leurs homologues publiques quand elles existent, un rôle essentiel dans le développement culturel et économique du pays. Notre rôle est ainsi d’accompagner et de faire reconnaître les institutions privées dont le but est de servir l’intérêt public.

Vous participez, en tant que personnalité extérieure, au conseil d’administration de l’université de Nice. Quels sont les grands enjeux aujourd’hui en France pour le secteur de l’enseignement supérieur ?
Une réforme en profondeur de l’enseignement supérieur en France doit en particulier passer par un lien nouveau entre le secondaire et le supérieur. La formation des enseignants est à cet égard capitale. Aujourd’hui, beaucoup de questions demeurent sur la réforme de la formation de ces derniers. Tous les recrutements devront se faire au niveau du master. Mais un instituteur a-t-il réellement besoin d’être titulaire d’un master pour devenir un bon enseignant ? Rien ne l’empêcherait par la suite de bénéficier d’une formation universitaire continue s’il veut s’orienter vers le collège. Quoi qu’il en soit, l’université représente l’institution figurant au cœur même de la formation des enseignants à tous les niveaux.

Une vraie réforme du supérieur passerait selon vous par une réflexion sur le secondaire. Faut-il toucher au baccalauréat ?
En éducation comme dans toute activité sociale, les dynamiques d’évolution sont à effets retardés. On gave les enfants de connaissances sans se soucier qu’ils les aient bien intégrées ou bien assimilées. C’est ainsi que l’enseignement supérieur se retrouve avec des jeunes qui ne savent pas suffisamment raisonner, voire rédiger à partir des savoirs qu’on leur suppose acquis. Le baccalauréat, en tant qu’examen, évalue à un instant T principalement les connaissances de l’année de terminale. Un subtil mélange de contrôle continu dès la seconde serait probablement plus adapté. Je considère aussi qu’à un tout autre niveau, le doctorat doit davantage mettre l’accent sur la capacité à savoir travailler en équipe. Plusieurs pays insistent déjà sur l’importance du collectif dans la formation à la recherche et par la recherche, dimension primordiale pour l’édification d’une société de la connaissance qui repose sur les talents individuels aussi bien que sur l’intelligence collective.

Propos recueillis par Maëlle Flot | Publié le