Gérard Marquié (INJEP) : "Le poids du scolaire dans l’orientation est une question centrale"

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
Gérard Marquié (INJEP) : "Le poids du scolaire dans l’orientation est une question centrale"
Gérard Marquié (INJEP) // © 
«Jeunes et pratiques d’information : quels enjeux ?», tel est le thème de la conférence-débat (1) organisée le 25 septembre 2012 par l’Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP). Chargé d'études et de recherches à l’INJEP, Gérard Marquié, qui participera à une table ronde intitulée «Orientation : les pratiques d’information des jeunes changent la donne», revient pour EducPros sur les enseignements à tirer pour l’orientation de ce qu’on sait des pratiques d’information des jeunes.

Vous avez publié en juin dernier une Note sur les pratiques d’information des jeunes dans laquelle vous distinguez notamment les «jeunes stratèges» des «jeunes dépendants». Pouvez-vous nous en dire plus sur ces deux grands profils ?

Les enquêtes portaient jusqu’à présent sur ce que les jeunes demandaient lorsqu’ils s’informaient sur l’orientation, ce qui a conduit l’INJEP à s’intéresser aux pratiques d’information des jeunes en matière d’orientation. Un constat essentiel est qu’Internet prend une place de plus en plus importante. Le Web aide les jeunes stratèges, qui ont des parcours très réfléchis, à s’informer. Ils vont, par exemple, y préparer leur rencontre avec un conseiller d’orientation-psychologue à qui ils vont poser des questions très précises. Ces jeunes ne viennent pas consulter la documentation. Ils viennent pour valider la stratégie construite auparavant ou trancher entre deux stratégies possibles.

"Certains outils comme APB ont tendance à accentuer l’écart entre les jeunes 'qui savent' et ceux 'qui ne maîtrisent pas'"

À l’opposé, les jeunes dépendants sont en perdition quand ils viennent en rendez-vous. Ce sont des jeunes au parcours chaotique. Sous l’effet du stress de la pression scolaire ou familiale, ils vont repousser les choix jusqu’au dernier moment et rejeter l’acte de s’informer. Contrairement aux jeunes stratèges, les jeunes dépendants vont remplir leurs vœux sur le site APB le jour de la date butoir et s’inscrire dans des parcours subis.

En définitive, certains outils comme APB – pensé pour être un outil d’aide au choix – ont tendance à accentuer l’écart entre les jeunes stratèges «qui savent» et les jeunes dépendants «qui ne maîtrisent pas». L’information prend de plus en plus de place dans les choix opérés par les jeunes.

À propos de l’information des jeunes, vous recommandez de sortir d’une conception centrée sur l’offre pour s’inscrire dans une dynamique intégrant les utilisateurs et leurs pratiques. Les enquêtes insistent notamment sur le rôle des pairs. Comment les professionnels peuvent-ils s’en saisir ?

Lorsqu’on demande aux jeunes vers qui ils se tournent pour les questions d’orientation, on constate que la relation de confiance prime. Et les enquêtes réalisées montrent que la parole des pairs a un poids très important dans l’appropriation du discours. On peut s’en saisir en recevant les jeunes en groupe. Cela permet de créer un dialogue dans un climat sécurisant. Les jeunes sont aussi très intéressés par des échanges avec d’autres un peu plus âgés et qui peuvent leur raconter leurs parcours d’études en transmettant également leurs difficultés. Cela permet une identification. C’est cette dimension qu’intègrent souvent les écoles par la présence de nombreux étudiants sur leurs stands pendant les salons.

"Ce qui est essentiel en matière d’orientation, c’est d’évoquer le projet du jeune et pas seulement les résultats scolaires de l’élève"

L’autre enseignement, c’est qu’il est important de sortir de l’exercice scolaire afin de mettre les jeunes en confiance. En ce sens, les partenariats des établissements avec les BIJ [bureau d’information jeunesse] ou autre structure jeunesse sont positifs. Les intervenants, professionnels de la jeunesse, n’ont pas la posture des enseignants. Ce qui est essentiel en matière d’orientation, c’est d’évoquer le projet du jeune et pas seulement les résultats scolaires de l’élève. Il faut, par exemple, valoriser les compétences informelles, qui ne le sont pas dans le cadre scolaire, et travailler le rapport entre compétences scolaires et extrascolaires. L’information sur l’orientation peut dépasser certains jeunes gens à qui il faut montrer qu’ils ont une capacité à porter un regard critique, à se renseigner, à interagir et à chercher l’info. La question centrale, c’est le poids du scolaire dans l’orientation, la valorisation de différents types de parcours et de la deuxième, voire troisième chance.

Pourquoi est-il si long et si difficile de mettre en place un vrai service public d’orientation s’appuyant sur le travail de l’ensemble des acteurs de l’information jeunesse et de l’orientation sur un territoire ?

Nous avons une approche segmentée en matière d’orientation en France, avec les missions locales, les CIO, l’info jeunesse… Chacun est dans son domaine. Les gens travaillent sur un même territoire mais pas ensemble et ne savent pas ce que font les autres. C’est un mal franco-français. Pour parvenir à mettre en œuvre cette très bonne idée d’un service public d’orientation, la question du territoire est importante. Il ne faut pas parachuter un modèle d’en haut, mais créer des occasions de rencontres entre les acteurs et créer des objets de travail en commun.

Beaucoup de choses ont été faites en direction des jeunes via le RPIJ, le Réseau public d’insertion des jeunes, où ont été menées des actions concertées sur un territoire entre missions locales, missions générales d’insertion, bureaux ou points d’information jeunesse et centre d’information et d’orientation. Le travail en commun s’effectuait dans le cadre d’appels à projets soutenus notamment au plan régional. Ce type de pistes pourrait être développé pour l’orientation. Le CESC [Comité d’éducation à la santé et la citoyenneté] constitue un excellent outil qui pourrait être utilisé pour mettre les gens autour de la table.


(1) Cette conférence-débat aura lieu à la Maison des initiatives étudiantes à Paris (XIIIe). Renseignements et inscriptions : conferences@injep.fr, ou 01.70.98.94.39.
Consultez le programme de la conférence-débat .

Propos recueillis par Isabelle Maradan | Publié le