Ian Edwards (fundraiser) : «Aux USA, les dons aux universités viennent en majorité des particuliers, au contraire de la France»

Propos recueillis par Laura Martel Publié le
Ian Edwards (fundraiser) : «Aux USA, les dons aux universités viennent en majorité des particuliers, au contraire de la France»
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Ian Edwards a commencé sa carrière de fundraiser en Angleterre, il y a 20 ans, avant de s’installer en France. En 2006, il rejoint le cabinet Iainmore Associates après avoir été directeur de développement de l’INSEAD pendant neuf ans. L’Ecole lui doit notamment, en 2004, la campagne « The INSEAD, a Business School for the World », qui a permis de récolter 300 millions d’euros. Son expérience lui permet de porter un regard croisé sur le fundraising aux Etats-Unis, en France et en Grande-Bretagne.

En France, nombre de grandes écoles, et maintenant des universités, cherchent à recruter des fundraisers qui ont déjà travaillé en Angleterre ou aux Etats-Unis pour profiter de leur expérience. Un Anglais ou un Américain, qui a le meilleur profil a priori pour un établissement d'enseignement supérieur franaçais ?

« Les Français parlent toujours d’un modèle anglo-américain du fundraising, mais il y a une culture du don caritatif dans les universités aux Etats-Unis qu’il n’y a absolument pas en Angleterre. Les plus grandes universités américaines sont des établissements privés qui ont toujours fait appel aux dons, tandis que les grands «colleges» anglais sont publics, financés par l’Etat et les frais de scolarité. La profession est donc bien moins ancrée qu’on ne le croit en Angleterre, où l’on regarde aussi avec envie de l’autre côté de l’Atlantique. Parmi les dix premières universités britanniques, la moitié ont d’ailleurs des directeurs de développement américains : ce sont à eux qu’on accorde de la crédibilité, de la confiance. »

L’arrivée de ces fundraisers américains a-t-elle permis de développer le recours à la levée de fonds dans les universités britanniques ?
« Les universités se sont ouvertes au fundraising il y a une dizaine d’années, mais sans faire preuve de réelles ambitions. Les sommes récoltées restaient somme toute assez faibles. Mais récemment, la chute des subventions gouvernementales a poussé les universités anglaises à lancer des campagnes d’envergure, souvent sous l’égide de fundraisers américains. En mai 2008, Oxford a inauguré «Oxford Thinking», la plus ambitieuse campagne européenne jamais envisagée, avec un objectif d’1,350 milliards d’euros. En 2009, Cambridge, à l’occasion de ses 800 ans, a annoncé viser un peu plus d’1 milliard d’euros. Mais on retombe ensuite à 378 millions d’euros (Edinburg), quand les huit plus grandes universités américaines ont toutes dépassé les 3 milliards d’euros lors de leurs dernières campagnes. Les Britanniques ont encore du retard à rattraper. »

Qu’en est-il de la France ?
« Bien sûr, la France est loin, loin derrière. Les premières universités à se lancer dans une campagne se fixent des objectifs qui ne vont guère au-delà des 20 millions. Si l’on devait donner un pourcentage de degré d’expertise de la profession de fundraiser, je dirais qu’aujourd’hui les Etats-Unis sont à 95%, la Grande Bretagne 35% et la France, 15%, soit le niveau la Grande Bretagne dans les années 90. Mais les Français vont vite faire taire leur retard parce qu’ils s’inspirent du parcours des deux autres pays. »

Pourquoi les établissements européens ont mis du temps à recourir au fundraising alors que cela marche si bien dans les universités américaines?
« Le fundraising est une question d’état d’esprit, chez celui qui donne, comme celui qui reçoit. En Angleterre, en France, on a peur de ‘demander la charité’, et il n’y a pas vraiment d’esprit de corps dans les facs. Aux Etats-Unis, l’université est considérée comme un ascenseur social, et l’étudiant qui rentre dans un établissement trouve normal de ‘rembourser sa dette’ s’il réussit. Il sait que les années qu’il passe à étudier ne sont que le début de ses relations avec son université. Ce n’est pas par hasard si l’un des plus importants évènements universitaires est le « home coming », une grande fête annuelle organisée pour le retour des anciens dans leur ‘alma mater’. Il faut d’ailleurs souligner qu’aux USA, les dons viennent en très grande majorité des particuliers, au contraire de la France, où ce sont les entreprises qui contribuent le plus.

Pensez-vous que la loi sur l'autonomie des universités ait définitivement convaincu les universités françaises de faire appel aux fundraisers ?
« La loi LRU a fait faire un pas de géant au fundraising en France. C’est une période d’euphorie mais les universités doivent faire attention à ne pas lancer des campagnes tous azimuts, au risque de ne pas avoir assez travaillé leur stratégie et de se griller auprès des entreprises, surtout dans le contexte actuel. Par ailleurs, il n’est pas forcément judicieux de faire appel à des professionnels anglophones : tout dépend de vos ambitions, de votre projet. Plaquer des méthodes américaines par exemple, peut être dangereux : il faut faire du cas par cas. Aujourd’hui, il est bien plus intéressant pour un fundraiser de travailler en Europe, car c’est un vrai défi. Aux Etats-Unis, les comportements de certains menacent la profession. Les directeurs de bureau se vendent au plus offrant et ne restent pas plus de 18 mois en poste. C’est trop peu pour établir les relations de confiance qui sont la base même du don. Les fundraisers sont peu à peu remplacés par des ‘personnalités’ qui invitent à contribuer. »

Se former au fundraising : un certificat proposé par l'AFF et l'ESSEC
La professionnalisation du métier de fundraiser a conduit à la création en 2005 d’un Certificat Français du Fundraising (CFF), grâce à un partenariat entre l’Association Française des Fundraisers (AFF - réseau des professionnels de la collecte de fonds), et la Chaire d’Entrepreneuriat Social de l’ESSEC. Les enseignements, qui s’adressent à tous les professionnels de la collecte de fonds (enseignement supérieur compris), sont consacrés aux méthodes, outils, pratiques et management de la collecte de fonds ; la formation prévoit également la rédaction d’un mémoire professionnel (projet personnel de fundraising).
Date limite de candidature pour la prochaine session, le 30 juin 2009, sur www.fundraisers.fr  MF

Propos recueillis par Laura Martel | Publié le