Le cap du million d'apprentis a été franchi, non sans ombre au tableau. Depuis la libéralisation de l'apprentissage qui a résulté de la loi de 2018, de nombreux enjeux se dessinent pour pérenniser un système qui a connu un essor considérable en quelques années. Parmi eux, une difficulté à contrôler la qualité des formations et un modèle de financement précaire et difficilement viable, à long terme.
Et pour cause, dans le cadre d'un projet de plan d'économies de plus d'un milliard d'euros sur l'apprentissage, le ministère du Travail a annoncé des mesures lors de la présentation du budget, jeudi 10 octobre. Parmi elles, la réduction de la prime à l'embauche de 6.000 euros pour les employeurs.
Jean-Philippe Audrain est président de la Fnadir (Fédération nationale des directeurs de centres de formation d'apprentis). Il revient pour EducPros sur ces enjeux et nous livre sa vision d'un apprentissage de qualité pour toutes les parties prenantes.
Comment réagissez-vous aux annonces du gouvernement, évoquant une possible réduction des primes à l'embauche ?
La prime résulte du maintien exceptionnel d'une aide mise en place pendant la crise du Covid-19. Elle se limitait, dans un premier temps, aux entreprises de moins de 250 salariés : un autre schéma que celui de l'aide unique et universelle d'aujourd'hui. Le sujet de discussion est probablement là. Le fait de remettre sur la table la façon d'octroyer les aides n'est pas du tout indu. En responsabilité, il faut le faire.
Mais si une baisse de l'aide aux employeurs est finalement décidée, il sera important de faire œuvre de pédagogie, et que ça ne soit pas reçu comme un signal négatif sur le dispositif.
Vous considérez donc que ces primes à l'embauche méritent d'être conservées ?
La qualité doit être présente de manière plus marquée. Si cette aide doit être minorée, elle ne doit pas être remise en cause, en tant que telle. Car ces primes visent à compenser les efforts de formation des entreprises, et doivent les accompagner pour faire en sorte que les parcours de formation soient plus sécurisés pour les jeunes et les entreprises. Mais cela doit se traduire aussi par un engagement qualité du côté des employeurs.
Les plus grandes entreprises ont une capacité d'investissement supérieure à celle des TPE. Si ciblage de l'aide il y a, la taille de l'entreprise peut être un élément discriminant.
Nous sommes contre l'idée de discriminer le ciblage des aides selon le niveau de qualification
Nous entendons parfois que les niveaux de qualification du supérieur pourraient être exclus du champ des aides à l'employeur, mais nous avons autant besoin d'accompagner de manière qualitative les jeunes en master ou en licence que pour d'autres niveaux. Cette aide doit valoir pour tous les niveaux de qualification.
En termes de qualité, quels sont les points de vigilance que vous souhaitez mettre en avant ?
Cela passe par bon nombre d'actions qui doivent se mener tout au long de l'alternance, tant par les CFA que par l'employeur, et même en amont de l'intégration du jeune dans l'entreprise.
Nous avons produit une charte qualité de l'accueil du jeune. Nous y rappelons les engagements réciproques des acteurs.
Que contient cette charte qualité ?
En amont de l'accueil de l'apprenti, cela peut concerner la réflexion RH de l'entreprise, qui peut être plus ou moins bien outillée en la matière.
Il faut s'assurer que les missions seront en adéquation avec la formation et la certification visée. Cela permet d'éviter une forme de désillusion de part et d'autre. Préparer un maître d'apprentissage doit également se faire en amont de l'arrivée du jeune.
Lors de l'accueil de l'apprenti, il est important de mettre en place un système d'intégration. Puis, tout au long du contrat, il s'agit de réaliser un suivi concret pour lequel le maître d'apprentissage doit se rendre disponible.
A quoi ressemblerait un financement prenant en compte l'engagement qualité des entreprises ?
L'idée serait d'engager une aide avec une contrepartie d'implication de l'entreprise. C'est à ce titre que cette charte que nous proposons, ou tout autre charte qualité qui serait produite, pourrait servir de support et constituer une preuve d'engagement qualité pour les entreprises.
Elle serait un document de référence lorsque l'on initie le contrat entre le jeune et l'entreprise.
Engager une aide avec une contrepartie d'implication de l'entreprise
Comment pourrait-on s'assurer du respect de cet engagement ?
C'est une interrogation qui ressort lors des discussions avec le gouvernement : c'est bien de faire entrer la qualité dans l'équation mais il faut se demander comment on l'évalue. On retombe sur des données quantitatives qui concernent plutôt la réussite à l'examen, le taux d'insertion professionnelle ou le taux de décrochage. Mais personne n'est d'accord sur la façon de calculer ces indicateurs.
La question de la qualité de la formation en alternance repose sur le suivi et l'accompagnement. Il est facile de montrer du côté de l'entreprise et du CFA qu'on a réalisé des actions en ce sens. Est-ce que nos jeunes ont été suivis par des formateurs ? Est-ce que les entreprises ont correspondu avec le CFA ? Il existe des outils de liaison entre l'organisme de formation et l'employeur qui peuvent être mis à profit pour en faire la démonstration, tels que le livret d'apprentissage.
L'engagement qualité de l'entreprise peut être porté par d'autres éléments faciles à vérifier, comme la qualification des maîtres d'apprentissage. Si l'entreprise fait suivre à un de ses salariés une formation qui vise à le faire monter en compétence sur l'accompagnement des apprentis, il peut le démontrer facilement.
Outre ces primes à l'embauche, d'autres circuits de financement ont connu des ajustements ces derniers mois, comme les niveaux de prise en charge (NPEC). Quelles sont vos inquiétudes à ce sujet ?
Pour rappel, les NPEC permettent aux CFA de générer une marge opérationnelle qui leur sert à financer un peu de développement et beaucoup d'investissement sur les infrastructures. A peu près 80% de ces marges générées financent l'investissement, ils n'enrichissent pas le CFA.
Depuis trois ans, nous avons subi des coups de rabot importants sur ces NPEC, en août 2022, septembre 2023 et juillet 2024, avec une baisse moyenne de 10% des NPEC. S'ils baissent encore, c'est l'investissement qui est impacté, puisqu'on ne disposerait plus de ces ressources pour le financer.
Réfléchir à la mutualisation des ressources
D'autant que, du côté des régions, l'enveloppe d'investissement, qui s'élève à 180 millions d'euros, est inférieure aux besoins selon une évaluation récente de Régions de France qui table plutôt sur 680 millions d'euros pour les enveloppes annuelles fonctionnement et investissement des CFA.
Il faut se doter de moyens pour garantir des établissements de qualité. On peut réfléchir à la mutualisation des ressources, comme les plateaux techniques dans certains lycées professionnels par exemple. Il faut rendre le financement plus efficient.
Quel a été l'impact auprès des CFA ?
Certains CFA commencent à fermer des sections. Les coups de rabot ont porté sur des sections pour lesquelles les effectifs étaient en tension, souvent dans des territoires ruraux.
Il y avait un effet d'amortisseur opéré par les Régions, avec une enveloppe de France Compétences fléchée pour accompagner les CFA dans ces situations compliquées. Mais l'Etat a diminué cette enveloppe d'un montant de 50 millions d'euros, en mai, avec effet immédiat. Résultat : tous les engagements de dépense pour 2024 se sont retrouvés dans une situation où ils n'étaient plus financés.
Comment imaginer un système de financement durable ?
Le dispositif fait partie de la formation initiale. Il s'agit d'un dispositif singulier qui vise l'éducation et la formation, mais aussi la professionnalisation. Cela fonde l'idée que s'agissant d'un dispositif d'éducation et de formation, il doit être sécurisé par l’État.
Nous proposons qu'un financement socle garantisse a minima le fonctionnement des CFA, avec des variantes selon les niveaux de qualification. Un financement complémentaire qui puisse être apporté par les branches professionnelles, les régions ou d'autres acteurs pourrait être mis en place, au regard des caractéristiques des territoires ou des métiers.
En quoi ce financement complémentaire permettrait de mieux inclure les spécificités territoriales et de métiers ?
Les investissements des CFA sont pris en compte de manière relative. Ils sont comptabilisés pour tout ce qui concerne la matière d'œuvre, qui peut être coûteuse (des fleurs pour des organismes de formation spécialisés dans la fleuristerie ou encore un type d'énergie pour lequel la formation est très consommatrice, par exemple). Tout cela est pris en compte dans la définition des niveaux de prise en charge parce qu'ils font partie des éléments de dépense remontés à France Compétences.
Ce n'est pas le cas des plateaux techniques, qui sont très lourds dans certains domaines. Quand on parle d'une serre horticole ou d'un ordinateur pour une formation RH, ce ne sont pas les mêmes enjeux d'investissement. Ces caractéristiques doivent être prises en considération dans le cadre d'un financement complémentaire.