Jacques Ginestié : “Les Espé sont sorties du débat entre disciplinaire et professionnel”

Isabelle Dautresme Publié le
Jacques Ginestié  : “Les Espé sont sorties du débat entre disciplinaire et professionnel”
Formation à l'Espé d'Aix-Marseille // ©  Espé Aix-Marseille
La première génération d’enseignants formés par les Espé fera sa rentrée en septembre 2015. Jacques Ginestié, président du réseau national des Espé et directeur de celle d’Aix-Marseille, les considère plutôt bien préparés à l’exercice de leur métier.

Quel bilan tirez-vous des deux premières années d’existence des Espé ?

Globalement, c’est un bilan positif bien que très variable d’une académie à l’autre. Beaucoup de choses ont été faites en seulement deux ans. À commencer par le rapprochement des positions entre les Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation), les rectorats et les universités. Aujourd’hui, tout le monde se parle, ce qui n’était pas gagné au départ. Même dans les écoles qui connaissent encore des problèmes, il y a eu de gros progrès.

Si la question de la formation professionnelle des enseignants a pu faire débat, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les positions de chacun des acteurs ont bougé. Chacun a fait un pas vers l'autre. Je pense pouvoir dire que les Espé sont sorties de la querelle entre disciplinaire et professionnel. Mais il faut continuer d’avancer.

Parmi les difficultés des Espé à la rentrée 2014, il y avait le casse-tête des “reçus-collés”. Où en êtes-vous ?

Toutes les Espé ont mis en place un dispositif adapté pour les “reçus-collés” qui prévoit un accompagnement aux concours. Nous sommes dans l’attente d’une évaluation de ces dispositifs.

Parmi les questions qui restent en suspens, il y a maintenant celle des anciens reçus-collés qui ont réussi le concours cette année et qui ont déjà un master 2 Meef (métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation). Pour ceux-là, il faut imaginer un complément de formation, qui ne soit pas redondant avec l'enseignement qu'ils ont reçu l'année dernière.

Nous devons également renforcer la formation des néo-titulaires, pendant les deux années suivant leur titularisation. Certaines Espé ont d’ores et déjà mis en place des programmes, d’une centaine d’heures environ, qui accordent une large place à la plurisdiciplinarité, la conduite de projets, le travail en équipe...

Où en sommes-nous de la professionnalisation du concours ?

Elle est très variable selon les matières. Certaines disciplines considèrent encore, qu’à l’écrit, le savoir disciplinaire doit être prioritaire et la part relative à l’exercice du métier d’enseignant, subsidiaire.
Cette question du contenu du concours est d’autant moins anecdotique qu’il conditionne la formation. Si les étudiants s’aperçoivent, à la lecture des rapports de jury, que la dimension professionnelle est très importante, alors la question du contenu de la formation ne se posera plus.

Qu'en est-il des maquettes de master Meef  ?

Les maquettes ont été “construites en avançant” ce qui, au départ, a pu déstabiliser certains étudiants. Aujourd’hui, elles sont stabilisées. Nous sommes parvenus à trouver un équilibre entre tronc commun et enseignement disciplinaire. Il y a eu un gros travail d’harmonisation au niveau national. Ce qui ne veut pas dire que toutes les Espé proposent les mêmes maquettes, mais partout, on retrouve les grands équilibres et orientations.

Il est urgent de mettre en place un plan national de recherche en éducation.

Parmi les chantiers qu’il reste à mener, il y a celui de la recherche en éducation. Qu’attendez-vous du ministère ?

Qu’il mène une politique volontariste. Tout le monde reconnaît, aujourd’hui, que l’on ne peut pas faire évoluer le système éducatif sans renforcer la recherche. Le ministère de l’Éducation nationale doit organiser la recherche en éducation comme il le fait pour les autres domaines. Il faut qu’elle puisse bénéficier de Labex par exemple. Il est urgent de mettre en place un plan national de recherche en éducation.

Lors de la mise en place des Espé, le budget a cristallisé de nombreuses tensions. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

La question du budget est encore très largement un sujet de crispation au niveau local. Une solution pourrait être de généraliser les comités de pilotage à l’ensemble des académies. En mettant les différents acteurs (rectorat, Espé, universités, étudiants…) autour d’une table, on les engage à prendre leurs responsabilités. Quels projets souhaitent-ils mettre en place ? Pour quel budget ?

La question du fléchage du budget des Espé est également compliquée. Si on veut impliquer les universités, il faut qu’elles s’engagent aussi financièrement. Le budget des Espé ne doit donc pas être sanctuarisé. Sinon on risque de se retrouver dans la même situation qu’avec les IUFM.

Dans une enquête du Snuipp, 82% de fonctionnaires stagiaires interrogés se disent pas suffisamment formés. Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ?

Non. Aujourd’hui, je pense que les enseignants qui sortent des Espé sont bien formés. Les critiques sont ciblées sur les manques mais pas sur la qualité de la formation. Lorsque les stagiaires disent qu’ils ne sont pas suffisamment formés au travail en équipe, un reproche qui revient souvent, en creux cela signifie qu’il existe bien une formation mais qu’elle ne va pas assez loin.

Plus que sur le contenu de la formation, nous devons travailler sur son organisation. Nous sommes passés d’une logique séquentielle avec d’un côté l’acquisition de connaissances et de l’autre le développement de compétences, à une formation professionnelle à temps complet dans laquelle ces deux temps doivent s’articuler simultanément. Or pour l’heure, cette articulation ne se fait pas bien. Nous devons mieux penser les stages, la fréquence des visites en établissement et leurs modalités. Et définir plus précisément ce que l’on attend d’un établissement formateur. Mais pour cela, nous avons encore besoin d’un peu de temps.

Des professeurs pas assez préparés
D’après une enquête en ligne réalisée par le Snuipp (syndicat majoritaire du premier degré) auprès de 1.244 stagiaires, 82% se disent insuffisamment formés. Des contenus de formation jugés insatisfaisants notamment sur l’initiation à la recherche, les pratiques pédagogiques ou la gestion de classe, un manque d’accompagnement sur le terrain… Tels sont quelques-uns des sujets de mécontentement.

Isabelle Dautresme | Publié le