Comment se développent les NTIC dans l’enseignement supérieur ?
La situation est très disparate entre les universités. Cela se constate simplement en consultant leurs sites Internet. En outre, certaines ne sont toujours pas connectées au wifi (sans-fil). Cependant, l’écart est encore plus grand au regard des écoles de commerce ou d’ingénieurs. D’une manière générale, le gouvernement met une forte pression pour finaliser la mise en place des espaces numériques de travail (ENT), dans un double objectif. Le premier consiste à garantir un accès au wifi dans tous les campus et à permettre à chaque étudiant de suivre l’évolution de sa scolarité sur un site propre à l’université, en ayant accès, via un mot de passe, à des informations générales et personnelles. Le deuxième vise à mettre en place une e-gouvernance, plus que nécessaire dans le cadre de la réforme du LMD qui a complexifié fortement la gestion des scolarités universitaires, n reconfigurant les filières avec une comptabilisation des crédits ECTS (European Credit Transfer System).
Comment se déploient concrètement les initiatives sur le terrain ?
Certains établissements sont en pointe, c’est l’exemple de l’université Lyon 2, qui multiplie les initiatives dans le domaine des NTIC, lesquelles sont devenues incontournables dans la scolarité des étudiants. Il est notable que le dynamisme de Lyon 2 tient aussi à l’implication de la région Rhône-Alpes dans le programme. Les différents établissements sont tributaires des collectivités territoriales dans ces initiatives. Il y a d’autres exemples de bonnes pratiques, comme les facultés de médecine de Grenoble et de Paris 6, qui diffusent par visioconférences via Internet les cours magistraux pour ceux qui doublent leur première année. Cela permet d’éviter d’avoir des amphi- théâtres bondés dans lesquels ces redoublants perturbent les cours pour décourager les étudiants qui débutent seulement ce cursus. Néanmoins, nous sommes encore loin de la Corée qui a reçu le 12 janvier dernier le grand prix de l’Unesco pour l’utilisation des NTIC dans l’enseignement (dès les petites classes).
Pouvez-vous nous parler des universités numériques thématiques ?
C’est un programme, initié par Claudie Haigneré (2),qui fait suite depuis 2004 aux campus numériques qui manquaient d’interactivité. Ils se résumaient en effet à de gros tex- tes en format PDF trop peu mobiles pour être utilisés. Il existe aujourd’hui six universités numériques de travail (UNT) – santé, sciences humaines, langues, cultures, sciences juridiques, sciences politiques –, auxquelles participent 60 établissements . Une dernière devrait naître en sciences fondamentales. L’objectif : mutualiser les ressources pédagogiques sur la base de référentiels partagés. La première UNT a été l’Université virtuelle médicale francophone mise en place par les CHU de Paris 6 à laquelle adhèrent mainte- nant tous les CHU. Chacune est rattachée à l’une des facultés impliquées dans le projet, et leurs cursus proposent des cours et des forums en ligne, des chats pour interpeller les enseignants, et sont couplés à des TP en petits groupes. Il ne s’agit pas de e-learning, car les cours en ligne ne se substituent pas aux techniques classiques. En médecine par exemple, il serait impossible de poursuivre des études sans avoir palpé à un moment un ménisque.
Peut-on vraiment parler de retard des universités françaises dans le déploiement des NTIC ?
Oui, l y a un véritable retard français. En Grande- Bretagne, dès le primaire, toutes les classes disposent d’un tableau interactif avec un accès à Internet et les USA ont basculé vers l’enseignement numérique. L’enseignement supérieur français, notamment les universités, ne forme pas suffisamment les étudiants à l’utilisation des NTIC, qui est pourtant généralisée partout ailleurs et conditionne l’accès au monde du travail. Cette situation est particulièrement préoccupante par exemple dans les IUFM, car les cursus pédagogiques ne prennent pas en compte l’impact des NTIC sur les élèves qui ont tous grandi avec Internet. Aujourd’hui, le pou- voir ne peut plus être le savoir, car les élèves ont accès à toutes les connaissances via la toile. L’enseignant tire dorénavant sa légitimité de sa capacité à structurer par le haut la masse des connaissances grâce à ses compétences pédagogiques pour co-construire le savoir avec ses élèves. Je crois que ce retard de l’école explique pour partie la crise de l’enseignement, car, paradoxalement, nous sommes l’un des pays où le haut débit est le plus répandu dans les foyers !
(1) Coauteur de Au secours ! La génération Internet arrive..., éditions ESKA, septembre 2006, 123 pages. Il est également consultant sur ces sujets pour l’Unesco.
(2) Claudie Haigneré a été ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies (juin 2002- mars 2004), puis ministre déléguée aux Affaires européennes (avril 2004 à mai 2005).