Jean-Baptiste Mauvais (agrégé d’allemand en Seine-Saint-Denis) : "Un service civique obligatoire permettrait d’éduquer les élèves des grandes écoles aux réalités sociales"

Propos recueillis par Marie-Anne Nourry Publié le
Jean-Baptiste Mauvais (agrégé d’allemand en Seine-Saint-Denis) : "Un service civique obligatoire permettrait d’éduquer les élèves des grandes écoles aux réalités sociales"
Jean-Baptiste Mauvais // © 
À l’heure de l’Année européenne du bénévolat et du volontariat , un agrégé d’allemand propose un service civique obligatoire dans les grandes écoles. Jean-Baptiste Mauvais défend cette idée pour rapprocher les étudiants des grandes écoles des réalités sociales. Cet ancien élève du lycée Henri-IV et de l'ENS de Lyon a choisi d'enseigner dans un dispositif « Nouvelles Chances » en Seine-Saint-Denis (93).

Comment est née cette idée de service civique obligatoire ?

Ce projet part d’un constat simple mais paradoxal : de nombreuses personnes occupant le sommet de la hiérarchie sociale se construisent comme étrangères à un monde pour lequel elles seront pourtant appelées à définir des orientations. Entre ma scolarité dans des établissements sélectifs et mes débuts professionnels auprès d’élèves décrocheurs, j'ai mesuré combien, en classes préparatoires et en grande école, nous étions très loin de certaines réalités. Certes, des étudiants s'engageaient dans des associations remarquables, mais de façon volontaire, donc facultative. La crise a ravivé un thème bien connu, celui de la déconnexion des élites avec la réalité vécue au quotidien par de nombreuses personnes. Mais ces indignations resteront vaines si nous ne nous donnons pas collectivement les moyens de prévenir ces dérapages en éduquant en amont à la responsabilité à l’égard de l’autre, des autres.

Vous proposez donc de systématiser le service civique. Mais comment le financer ?

Je ne me positionne pas en contradiction avec l'Agence du service civique présidée par Martin Hirsch, mais, pour l'instant, seuls les jeunes déjà sensibilisés aux valeurs du service civique s'engagent dans une telle mission. Par ailleurs, les coûts de financement constituent un obstacle majeur à la systématisation du dispositif de l’agence pour le service civique. Les volontaires recevant une indemnité mensuelle, étendre le service civique à l'ensemble d'une classe d'âge impliquerait des coûts énormes, de 3 à 5 milliards d'euros par an. C'est pourquoi je préconise d'inscrire le service civique dans le cursus des étudiants, sous la forme d'un module intégré à la formation et non rémunéré, ce qui résoudrait le problème de financement.

Comment envisagez-vous ce module « service civique » ?

Il serait évalué et validé en première année sous la forme de crédits ECTS, et donc valorisé. La diversité des activités proposées aux étudiants (soutien scolaire, visites à des personnes âgées, organisation de sorties dans des lieux culturels…) est essentielle pour que le module ne soit pas perçu comme une corvée, mais comme une expérience formatrice. J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas de faire la charité, ni de se donner bonne conscience, mais de former des élites en prise avec la société dans laquelle elles vivent. Le principe est celui de la réciprocité avec les personnes rencontrées, afin qu’un échange ait lieu. Pour que le module fonctionne, il faut mettre en place des partenariats avec des collectivités territoriales, des établissements publics et des associations, et s’appuyer sur les associations étudiantes existantes.


Vous regrettez que les dispositifs d’ouverture sociale existant dans les grandes écoles soient quasi unilatéraux. Pourquoi ?

Depuis dix ans, beaucoup de projets d'ouverture sociale ont émergé. Permettre à des jeunes peu favorisés de suivre des études supérieures ou d’entrer à Sciences po est indispensable, mais pas suffisant. Ce type de projet revient – à tort – à penser qu’un recrutement plus diversifié des élites suffit à combler le fossé qui sépare ces dernières de la réalité. D'ailleurs, la dénomination « Cordées de la réussite » montre que ce label, même s’il s’appuie sur l’engagement de certains étudiants, s’inscrit dans une perspective unilatérale, du bas vers le haut, ou de la périphérie vers le centre. Cette approche est salutaire, mais incomplète. Si nous rendons le service civique obligatoire, les étudiants les plus favorisés auront la possibilité d'aller à la rencontre de la société dans sa diversité, sa complexité et son altérité. Ce qui peut contribuer à changer leurs représentations des autres et de leur propre rôle – et responsabilité – à l’égard de la société.


Quelle est la prochaine étape ?

Je réfléchis à la possibilité d'organiser une rencontre réunissant des personnalités concernées par ces problématiques, afin de favoriser une prise de conscience médiatique et publique à ce sujet.

Propos recueillis par Marie-Anne Nourry | Publié le