Les difficultés des universités à accueillir tous les étudiants dans les filières demandées ont fait rejaillir la question de la sélection à l’entrée. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une option pertinente, en temps de restrictions budgétaires ?
La question qu’il faut poser, avant toute autre, est simple : pourquoi des bacheliers viennent par défaut sur les bancs de la fac ? Pourquoi est-elle la seule filière que l’on rejoint après avoir été refusé partout ailleurs ? Cela n’est plus possible, l’université ne doit plus être un choix par défaut. Sa mission est de former, à un niveau d’exigence élevé, et pour un certain nombre d'étudiants, à des études longues. Elle est donc, par nature, plutôt destinée aux bacheliers généraux. Quand on s’élève contre l’échec en premier cycle, cela veut seulement dire qu’il demeure encore un enseignement universitaire exigeant !
Celui-ci ne doit pas pour autant être réservé à quelques-uns : je suis contre la sélection en première année à l’université. Il ne faut pas l’interdire aux profils différents qui auraient une très grande motivation, l’université doit en effet pouvoir répondre aux besoins de connaissances et de formation de tous. Mais dans un certain nombre de cas, il convient d’avoir accompli préalablement des parcours préparatoires.
Et surtout, le problème est ailleurs : il est dans les autres filières publiques, qui sont toutes… sélectives ! Si on va au bout de la logique de notre système, il faut supprimer la sélection à l’entrée des autres filières postbac – BTS et DUT – et repenser les classes prépas.
Une mission menée par Christian Lerminiaux travaille sur la mise en place d’une voie spéciale pour les bacheliers professionnels à l’université. Est-ce également l’une des réponses possibles ?
C’est une idée… mais, dans ce cas-là, il faudra m’expliquer quelle est la mission des BTS et des DUT ! Pourquoi ces derniers n’accueillent-ils pas d’abord tous les bacheliers technologiques et professionnels qui souhaitent rejoindre leurs formations, avant d’accepter les bacheliers généraux ?
L’université ne me semble pas particulièrement armée pour former les bacheliers professionnels ; en tout cas, elle l’est naturellement moins que d’autres, sauf à accepter la mise en place de collèges universitaires et à repenser les STS.
Cela ne règle pas cependant totalement la question de certains cursus surchargés, comme les STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives) ou la psychologie – dont vous êtes issu – où la demande dépasse très fortement le nombre de places…
Il n’existe pas de système idéal qui résoudrait tous les problèmes. Cette situation est aussi la conséquence des filtres qui existent ailleurs, comme je l’indiquais précédemment. Rappelons qu’en STAPS, il y a toujours eu de très fortes variations dans les deux sens.
La seule solution, c’est un travail en amont sur l’orientation et le "-3/+3". Il faut donner les clés de l’enseignement supérieur à tous, en les informant sur la réalité des filières. C’est ce qu’on fait aujourd’hui concernant les classes prépas, dès la seconde, car les lycées connaissent ces cursus, il faut le faire aussi pour l’université.
Expliquer aux lycéens, aux familles, aux chefs d’établissement, aux enseignants... Pour que demain, un bachelier qui rejoint "psycho" parce qu’il a adoré Freud soit bien conscient qu’il aura aussi – et parfois surtout – des cours de maths et de physiologie !
L’enseignant n’a pas à être un coach. Il doit être… un enseignant !
Vous êtes en charge d'une mission sur le numérique à l'école. L’université a-t-elle aussi pris le virage du numérique ?
Il y a un véritable intérêt pour le numérique à l’université. Elle est en effet profondément concernée par ce virage. Avec en premier lieu l’utilisation du numérique dans l’enseignement. Mooc, équipements, pédagogie… Il s’agit de réfléchir à comment former les étudiants, mais aussi à quoi : avec la question des formations du futur.
La révolution numérique aura une part destructrice, avec des emplois menacés. Des tensions vont naître de l’automatisation d’un certain nombre de tâches. Comme toute transition technologique, elle déplace les frontières entre les métiers qui peuvent être automatisés et les autres. Il faut donc une profonde réflexion sur la formation initiale et continue pour répondre aux nouveaux besoins.
L’université a aussi un rôle crucial en matière de recherche. Avec le big data, les plates-formes du futur, les enjeux scientifiques et technologiques sont immenses. Sans oublier l’objet de recherche que constitue le numérique en soi, pour toutes les disciplines.
En ouvrant à tous l’accès aux connaissances, le numérique ne remet-il pas aussi en cause l’université, institution incontournable pour délivrer le savoir ?
L’université, c’est avant tout des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Et au contraire, elle a plus que jamais sa place dans la profusion d’informations actuelle. Car oui, il est possible de trouver une réponse avec un clic, mais celle-ci n’est pas toujours pertinente ! La transformation de l’information en connaissance est un processus complexe, qui nécessite de trier, de comparer, de hiérarchiser.
Et c’est justement la force de l’université. Les universitaires sont à la fois producteurs du savoir et diffuseurs des connaissances. Ils sont en mesure de délivrer la façon dont on produit la connaissance, et c’est cela qui est crucial, pour développer l’esprit critique. Le savoir n’est pas un produit fini, c’est le résultat d’un processus long et rigoureux. Faire de la science, c’est aussi discuter la façon dont on produit le savoir.
Des étudiants en cours à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne // © Camille Stromboni
Cette formation à la recherche est-elle primordiale dès la licence ?
Oui, c’est important dès la première année ! Il ne s’agit pas de former les étudiants à la recherche et à une méthodologie complexe immédiatement, mais d’expliquer simplement comment on fait pour en arriver à produire de la connaissance. C’est en tout cas ce que doit faire un enseignant-chercheur et cela ne nécessite pas d’entrer dans la complexité mais d’éclairer le savoir dispensé par le dévoilement des démarches qui ont conduit à sa production.
L’association organique de l’enseignement et de la recherche est fondamentale et c’est ce qui fait du métier d’enseignant-chercheur un métier merveilleux.
La dimension collective est très importante et l’université demeure le lieu incontournable de la confrontation directe. Le virtuel ne peut être qu’un complément.
À l’heure des Mooc et autres outils pédagogiques en ligne, le rôle de l’enseignant à l’université n’est-il pas voué à évoluer vers celui de coach ?
Cette idée me fait toujours rire. Le coaching est très à la mode. Mais non, l’enseignant n’a pas à être un coach. Il doit être… un enseignant ! Cela réclame des connaissances, un savoir et des méthodes d’enseignement, une compétence pédagogique. Être capable de dire comment un savoir a été obtenu, c’est justement une démarche pédagogique qui peut être entraînante pour les étudiants. Le numérique, là aussi, est très utile, comme une technologie au service de la présentation d’un savoir.
Alors, bien sûr, le cours magistral classique a vocation à évoluer drastiquement. Les enseignements peuvent être en partie dispensés en ligne, chacun peut travailler directement de chez lui ou en réseau. Mais tout ne peut être traité à distance. La dimension collective est très importante et l’université demeure le lieu incontournable de la confrontation directe. Le virtuel ne peut être qu’un complément, certes formidablement nécessaire, mais un complément.
L’université a-t-elle les moyens de réaliser ces bouleversements, alors que les budgets sont de plus en plus serrés ?
Oui, j’en suis convaincu. Bien sûr qu’il n’y a jamais assez de moyens dans les universités, mais il ne s’agit pas de créer un nouvel écosystème scientifique, il existe déjà ! Les équipes sont là, elles sont nombreuses à s’être emparées de ces problématiques.
Il faut sans doute une accélération de l’Histoire, car nous sommes à un moment charnière, avec une compétition internationale très forte.
Jean-Marc Monteil a été nommé par le Premier ministre, Manuel Valls, à la tête d'une mission sur la politique numérique pour l'éducation nationale, en mars 2015. Cet ancien président de l’université Blaise-Pascal (Clermont-Ferrand) et ancien président élu de la CPU (Conférence des présidents d’université), professeur en sciences psychologiques et sociales, a été recteur des académies de Bordeaux et d’Aix-Marseille avant d’occuper la fonction de DGES (directeur général de l’enseignement supérieur, ex-Dgesip).
Il a également été chargé de mission auprès de François Fillon à Matignon, de 2007 à 2010, et chargé de mission dans le cadre du projet du plateau de Saclay.
Lire la biographie EducPros de Jean-Marc Monteil.
- La tribune de quatre présidents d'université (Jean Chambaz, Christine Clérici, Barthélémy Jobert et Bruno Sire) sur la sélection à l'université (Le Monde - 25/08/2015)
- Notre débat sur la sélection en licence
- Notre débat sur la sélection en master