Jean Meimon, président de l’ESCE : "Je voulais former une armée de fantassins, bons en langues étrangères, flexibles"

Propos recueillis par Maëlle Flot Publié le
Jean Meimon, président de l’ESCE : "Je voulais former une armée de fantassins, bons en langues étrangères, flexibles"
24982-meimon-original.jpg // © 
Educpros vous propose un nouveau rendez-vous intitulé « Entrepreneurs pédagogiques ». Enseignants, responsables de formation ou d’établissement d’enseignement supérieur, dans le public, le consulaire, l’associatif ou le privé, ils témoigneront de leur aventure pédagogique. Notre première rencontre : Jean Meimon. Le président de l’ESCE (École supérieure du commerce extérieur), revient sur son parcours et les choix qui ont fait de son école de commerce un établissement reconnu dans son domaine. Une histoire atypique. Créée en 1968, son école de commerce post-bac a rejoint le Pôle Léonard de Vinci à La Défense dans les années 90, avant d'être rachetée par un groupe américain, Laureate Education.

Vous créez votre école de commerce en 1968, à l’âge de 26 ans, en plein mouvement de Mai 68. Plutôt à contre-courant pour le jeune universitaire que vous étiez ?
Jean Meimon : J’étais effectivement professeur de macro-économie à Assas. Le directeur général du CFCE [Centre français de commerce extérieur] m’avait confié l’année précédente une enquête sur la structure du commerce extérieur. Avec mon équipe, nous avions questionné les entreprises et constaté qu’elles manquaient de personnels qualifiés dans ce domaine. On m’a alors demandé de concevoir une école pour former des techniciens du commerce extérieur. J’aurais pu mener une carrière universitaire, mais la volonté entrepreneuriale a été la plus forte.

Quelle volonté pédagogique vous animait alors ?
Je voulais former en deux ans une armée de fantassins, bons en langues étrangères, flexibles, sans a priori, capables de mobilité et disposant d’une solide connaissance des techniques du commerce extérieur. J’ai été beaucoup décrié pour ça car c’était une époque où les premières années d’enseignement supérieur se concevaient comme généralistes. Moi, je m’inspirais du modèle allemand ou encore néerlandais, beaucoup plus pragmatique. Pour les programmes, nous sommes partis essentiellement des besoins des entreprises françaises.

Sur quels soutiens pouviez-vous compter ? Quelles étaient vos méthodes de travail ?
J’avais le soutien, matériel, du CFCE. Et je m’étais surtout associé à trois autres universitaires, des pointures dans leur domaine. Une des premières difficultés a été de constituer le corps professoral permanent, car une école ne tient pas qu’avec des vacataires. Or, il n’y avait pas d’enseignants spécialisés dans le commerce extérieur. J’ai dû innover et embaucher des géographes pour le volet économique, des enseignants issus des sciences dures ou spécialisés dans les mathématiques financières, des experts-comptables, des sociologues pour le multiculturel. Je suis aussi allé débaucher des professionnels, des douaniers, etc. Vous savez, je suis très pugnace, je ne lâche pas facilement. L’ESCE, c’est un combat. Je me suis battu contre la Sécurité sociale afin qu’elle accepte nos stages de six mois, une durée minimale si l’on veut que les étudiants aient une bonne expérience en entreprise et une chance d’être embauchés.

Quelles évolutions pédagogiques votre école a-t-elle connues ?
Mon premier choc pédagogique, je l’ai eu quand l’Éducation nationale m’a demandé d’aider à la création du BTS commerce international au début des années 70. J’étais alors dans l’obligation de distinguer la formation de l’ETCE – l’ancêtre de l’ESCE – et nous sommes passés à trois ans. En 1973, une grande école, qui possédait déjà une solide réputation, nous a proposé de les rejoindre. J’ai décliné car je voulais conserver intact mon projet pédagogique. J’avais créé un modèle et je croyais ne pas avoir de concurrents. Le benchmarking ne se pratiquait pas à l’époque ; je n’ai découvert qu’en 1980 l’existence du CESEM à Reims.

Aujourd’hui, l’ESCE délivre une formation en cinq ans. Ce passage de bac+3 à bac+5 a-t-il suscité des débats en interne ?
À la fin des années 80, les entreprises disaient avoir une bonne image de l’école, mais soulignaient le risque de frustration de la part de nos étudiants car leur convention collective ne leur donnait pas le statut de cadre. Les besoins étaient là, donc nous avons passé nos formations à quatre ans. Les débats ont été beaucoup plus enlevés pour le passage au master. Quelle allait être l’incidence sur le recrutement ? Sur nos partenariats à l’étranger ? Avec l’arrivée du 3-5-8, notre modèle était à mon avis condamné. Nous sommes passés au grade de master en 2008 en repensant notre cursus et en modifiant notre deuxième cycle avec plus d’options de spécialisation à l’international.

Qu’est-ce qui a pu vous distinguer des autres business schools ?
Notre spécialisation assumée dans le commerce extérieur dès la première année d’études et la dimension internationale de l’école qui est essentielle. Je figurais parmi les mille premiers étrangers ayant obtenu un visa pour la Chine au début des années 80. Nous avons ensuite monté des partenariats avec la Chine. J’ai inclus, lors de la création de l’école, l’apprentissage de deux langues étrangères avec des cours renforcés. Le mandarin a été introduit il y a vingt-six ans et j’ai fait venir tout spécialement de Chine un professeur, avec sa famille, pour m’assurer qu’il aurait envie de rester. Ensuite, il y a eu l’introduction du russe, du portugais, de l’arabe, etc. Nous avons renforcé notre présence internationale par la création de campus à Pékin, Mexico, São Paulo. Nos projets visent encore l’extension à l’international.

Pourquoi, selon vous, votre école a-t-elle su trouver sa place dans le paysage d’enseignement supérieur ?
Le projet a réussi car il est cohérent et répond à l’attente des jeunes et du marché. Il s’est fait dans la continuité. Ma spécialité économique – les modèles de croissance et la planification – m’y a aidé bien sûr. J’ai voulu un corps professoral permanent pour la même raison. J’ai ensuite choisi mes équipes en fonction de critères de compétences, mais aussi d’affectivité. Je veux travailler avec des gens passionnés. L’actuel directeur, Jean Audouard, travaille avec moi depuis quinze ans. Le responsable des relations internationales est un collaborateur de treize ans déjà. De même pour ma chargée de communication, ainsi qu’une grande partie du personnel. Nous avons peu de turn-over.

À 67 ans, vous êtes-vous posé la question de la pérennité de votre école ?
Oui, et bien avant. À la fin des années 90, les cofondateurs de l’école avaient plus de 70 ans et l’ESCE valait de l’argent. Ils m’ont donné leur accord afin que je trouve un repreneur. Un groupe hollandais s’est montré intéressé, mais la seule chose qui l’attirait était d’avoir un point de chute à Paris. Et nous risquions de ne plus pouvoir conserver notre spécificité. En revanche, Laureate Education, un groupe américain, m’a donné un accord écrit pour que je conserve mes équipes, mes programmes, notre organisation et nos spécificités françaises. Nous sommes une vitrine pour eux, nous ne leur reversons pas de fonds. Je ne regrette qu’une chose : de ne pas avoir signé plus tôt avec eux, car ils renforcent notre dimension internationale que jamais nous n’aurions pu avoir seuls. Quant à la succession, l’équipe de direction est formée depuis dix ans pour en assurer la pérénnité.

Vous êtes donc un homme heureux ?
Seule la question des accréditations m’empêche de dormir la nuit. Nous sommes en plein processus d’accréditation auprès de l’AACSB… Sinon, j’ai lutté pour trois choses dans ma vie : le commerce extérieur de la France, une école de qualité, enfin l’égalité des sexes. J’ai convaincu des entreprises, en démontant un à un les a priori et les clichés, qu’une femme pouvait faire une très bonne directrice import-export. Il faut encore progresser car c’est un combat de longue haleine.

L'ESCE en chiffres
Budget de l'école : 20 millions d'euros
Nombre d'étudiants : 1 725
Nombre de professeurs : 55 professeurs permanents et 220 profs associés
Partenaires étrangers : 116 universités dans 35 pays

Propos recueillis par Maëlle Flot | Publié le