Jean-Paul Brighelli : "Quand certains promettent la réussite pour tous, c’est de l’escroquerie"

Propos recueillis par Sophie de Tarlé Publié le
Jean-Paul Brighelli : "Quand certains promettent la réussite pour tous, c’est de l’escroquerie"
27744-brighelli2010-pg-original.jpg // © 
Dans son nouveau brûlot, Tireurs d’élites (Plon/Jean-Claude Gawsewitch, 18 €), Jean-Paul Brighelli s’indigne sans langue de bois contre les quotas de boursiers imposés aux grandes écoles et aux classes préparatoires. Après La fabrique du crétin : la mort programmée de l’école qui l’a rendu célèbre en 2005, ce professeur en classe préparatoire au lycée Thiers à Marseille persiste et signe.

Qu’est-ce qui nous vaut ce nouveau coup de gueule ?

J’ai écrit ce livre en raison des menaces qui se précisent sur les classes préparatoires et les grandes écoles, et une possible dilution dans le système universitaire. Certains souhaitent mettre des quotas de boursiers dans les grandes écoles. On essaie de déboulonner ce qui marche au nom de l’égalitarisme. L’élite est devenue un gros mot, d’ailleurs on dit maintenant « élitisme ». Moi, je conçois l’élitisme pour tout le monde. En revanche, quand certains promettent la réussite pour tous, c’est de l’escroquerie. Je regrette, mais tout le monde ne peut pas aller jusqu’au doctorat. Je reconnais que nous avons en France un taux très faible de licenciés, mais nous payons l’incurie du collège et du lycée. Finalement, nous sommes revenus en 1788. Les pédagogues ont réalisé la grande peur de Bourdieu, en créant une France d’héritiers. Et puis quand je vois la politique de Richard Descoings à Sciences po, je réponds que la charité ne peut pas être une politique globale.


Que conseillez-vous pour permettre à plus de boursiers d’accéder aux grandes écoles ?

On peut faire de la discrimination de façon positive ! Lorsqu’on crée des classes préparatoires de proximité, c’est une façon de permettre à des jeunes d’oser la prépa, alors qu’ils n’y auraient pas forcément pensé autrement. Je pense en particulier aux CPES (classes préparatoires aux études supérieures) comme celle du lycée Jacques-Feyder d’Épinay-sur-Seine (93) en partenariat avec l’université Paris 13.

Comment, d’après vous, le premier cycle universitaire devrait-il être réformé ?

Le fossé entre le niveau du bac et l’université s’aggrave de plus en plus. Globalement, le taux d’échec en première année avoisine les 50 %. On balance des bacheliers à l’université dans un état lamentable, à des enseignants absolument pas préparés à les accueillir. Ce sont en général des professeurs en thèse, des spécialistes. Dans l’idéal, les classes préparatoires devraient servir de matrice pour une refonte du premier cycle universitaire. Il est en effet injuste qu’il y ait un encadrement pour les meilleurs élèves, qu’on ne propose pas aux moins bons qui vont à l’université. Il faudrait que les deux premières années de la licence permettent un approfondissement des bases, soit des années propédeutiques à l’enseignement supérieur. Et il serait nécessaire qu’il y ait un encadrement strict pendant ces deux premières années. En bref, il faudrait plus de cours, plus d’encadrement, plus de colles (interrogations orales en tête à tête), donc plus d’argent. Si une partie du grand emprunt doit aller à l’université, c’est le moment. Je fais remarquer que les lauréats de la médaille Field sont deux Français, qui ne sont pas passés par l’université mais par les classes préparatoires.

Propos recueillis par Sophie de Tarlé | Publié le