Jean-Philippe Ammeux, directeur de l'IESEG : "Nous avons eu les mains libres pour tailler un corps professoral dans les standards internationaux"

Propos recueillis par Camille Stromboni Publié le
Jean-Philippe Ammeux, directeur de l'IESEG : "Nous avons eu les mains libres pour tailler un corps professoral dans les standards internationaux"
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Jean-Philippe Ammeux dirige l'IESEG depuis quinze ans. Il a fait de cette petite école de commerce lilloise un établissement renommé, classé dans le top ten des meilleurs (cf. palmarès de span style="font-style: italic;">l'Etudiant 2010 des ESC). Une success story qui n'était pas écrite d'avance pour cette business school au recrutement postbac. Jean-Philippe Ammeux revient sur les réformes menées et son choix de jouer la carte de l'international dès le départ. Une nouvelle séquence dans notre série « Les entrepreneurs pédagogiques ».

Vous arrivez à la direction de l'IESEG en 1994. Quelle stratégie mettez-vous alors en place pour faire connaître école ?
Jean-Philippe Ammeux : Nous étions à l'époque une petite école, avec environ 450 étudiants. Le recrutement était local et les diplômés travaillaient essentiellement dans la région. Mon premier challenge était de renforcer l'institution, notamment le corps professoral. Nous venions d'emménager dans de nouveaux locaux plus grands, où nous sommes encore aujourd'hui, ce qui a facilité notre croissance.

J'ai également dû faire la « tournée des popotes » pour porter notre voix auprès de la CGE (Conférence des grandes écoles), c'est-à-dire une campagne pour nous faire connaître. À l'époque, auprès de Véronique de Chantérac, directrice de l'ESCP, de Jean-Marc de Leersnyder (HEC), délégué général du Chapitre des grandes écoles, ou encore de Michel Rimbaud, qui dirigeait l'EAP. Nous avons rejoint la CGE en 1997. Cela nous a donné une crédibilité et nous a permis d'être plus attractifs. C'était très important, surtout pour une école postbac, même si nous nous sentions toujours dans la seconde catégorie. Ce qui reste d'ailleurs le cas pour certains, visiblement.

Avez-vous envisagé d'adopter un recrutement sur prépa ?

JPA : C'est une piste que nous n'avons pas explorée. Nous serions tout d'abord arrivés les derniers sur ce créneau, mais surtout cette voie ne nous paraissait pas un modèle d'avenir. Notre curriculum [cinq années postbac] est en effet directement compatible avec les standards internationaux, ce qui nous a beaucoup aidés pour les partenariats. Pour les échanges, nos étudiants qui arrivent en troisième année ont déjà suivi tous les cours d'introduction en business, contrairement à ceux des écoles après prépa.

L'IESEG a très tôt privilégié une approche internationale...

JPA : En effet, nous avons choisi de jouer la carte internationale et européenne. Depuis longtemps, les enjeux ne sont plus nationaux et nous étions en outre plutôt bloqués à ce niveau, faute de prépa.
L'année 1999 a été une année charnière. Suite à la déclaration de la Sorbonne en 1998 et le lancement de Bologne l'année suivante, nous avons ouvert les yeux sur l'importance de cet environnement international. Nous avons décidé de modifier l'architecture du programme en passant au rythme « 3 + 2 » afin de créer l'équivalent d'un bachelor. Nous avons également développé l'enseignement en anglais. Ce qui a engendré un recrutement important d'enseignants-chercheurs à l'international. Enfin, nous avons pris conscience que l'école, avec 600 étudiants, était trop petite pour être visible, d'où l'augmentation progressive de la taille des promotions, tout en conservant la sélectivité d'environ 10 candidats pour une place. L'orientation internationale a plu aux jeunes.

Cette orientation internationale vous a permis d'atteindre un bon niveau de recherche. Quelle a été votre méthode de recrutement pour séduire les enseignants-chercheurs ?

JPA : Pour attirer un chercheur, le salaire n'est pas le critère primordial. Le plus important, c'est l'environnement que lui offre l'école, en particulier le fait d'avoir d'autres bons chercheurs avec lesquels collaborer. Au départ, il a donc fallu être très convaincant. Nous avions tout de même déjà un laboratoire CNRS (1) avec la Catho de Lille et une tradition de recherche ancrée dans l'établissement.
C'est aussi grâce à notre faiblesse de départ que la mutation a été facile. Nous avions à l'origine peu d'enseignants-chercheurs et donc les mains libres pour tailler un corps professoral dans les standards internationaux. Près de 90 % des professeurs de l'IESEG n'étaient pas là en 2000. La mayonnaise a pris au fur et à mesure. J'y consacre d'ailleurs beaucoup de temps, encore aujourd'hui près d'un jour par semaine. C'est une priorité stratégique.

Révolutionner une école, c'est facile ?

JPA : Le virage a quand même été dur au début. Pendant deux ans, j'ai été en conflit avec la directrice des études qui était en poste depuis plus de vingt ans. Certains sont partis. En 1999, nous avons été audités par Equip, un label ressemblant au modèle Equis, mais qui n'existe plus, avec un résultat clair : il fallait internationaliser le staff académique. Cette évaluation m'a aidé à faire de la pédagogie auprès des équipes. Elle m'a en outre été très utile car elle m'a fourni un tableau de bord avec une dizaine de critères très précis sur lesquels travailler.

Vous êtes l'une des grandes écoles membres de l'université catholique de Lille. À quoi vous sert ce réseau ?

JPA : Précisons tout d'abord que l'IESEG est autonome et n'est pas financée par la Catho de Lille. Au sein de cette fédération (2), nous mettons en commun des moyens, notamment sur les résidences et restaurants universitaires. Avec des regroupements à géométrie variable, nous mutualisons les dépenses afin d'atteindre la taille critique et de baisser les coûts.
La bibliothèque universitaire Vauban (3) par exemple ne coûte à l'IESEG que 250.000 € par an, alors que son budget annuel s'élève à 1,5 million d'euros. Nous avons aussi un immense complexe sportif à quelques kilomètres de l'école, un service de santé et un service des relations internationales communs. Ce dernier s'occupe principalement du volet administratif des échanges Erasmus.

Utilisez-vous cette « marque de fabrique » à l'international ?

JPA : Cette appartenance au réseau catholique facilite bien sûr les partenariats avec des établissements catholiques. Cela nous a aidés notamment en Inde. Dans un certain nombre de pays, le caractère catholique est synonyme de qualité et d'une vraie tradition éducative. Aux États-Unis par exemple, les réseaux universitaires catholiques et jésuites sont de très bonne qualité. À l'inverse, en Angleterre, il faut l'exprimer avec précaution. Mais, pour réussir à nouer plus de 150 partenariats, nous avons surtout pris notre bâton de pèlerin et un directeur des relations internationales très efficace.

Après quinze ans à la tête du même établissement, la lassitude se fait-elle sentir ?

JPA : Non, c'est toujours très motivant parce que l'école n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était il y dix ans. Cela bouge très vite dans notre secteur. Par rapport à l'an 2000, notre budget a quintuplé, le nombre d'étudiants plus que triplé avec aujourd'hui près de 2.000 étudiants.
J'ai toujours besoin de nouveaux challenges et celui de l'international me plaît particulièrement. C'est d'ailleurs ma spécialité : j'ai fait ma thèse sur les PME exportatrices. Dans ce domaine, nous avons une longueur d'avance, mais il faut surtout la garder et ne jamais relâcher l'effort. Par exemple, nos trois dernières années d'études sont dispensées en anglais. Dès l'an prochain, les élèves de première et deuxième années pourront eux aussi suivre tous leurs cours en anglais. Ce sera en option dans un premier temps.

Le nombre d'étudiants va continuer à augmenter, non pas l'effectif de Français mais le nombre d'étudiants internationaux. D'ici à moins de cinq ans, nous devrions atteindre les 3.000 étudiants, et ce automatiquement avec tous les programmes d'échanges mis en place, notamment les twinnings programmes. L'avenir est devant nous. Quand je regarde l'Inde, tout est à construire. À la mi-2010, toutes les institutions étrangères pourront s'installer dans le pays. Il ne faut pas qu'il y ait seulement les Anglo-Saxons.


(1) Le LABORES, devenu depuis la fusion avec le laboratoire de l'IAE lillois, il y a trois ans, le LEM (Lille Economie et Management, UMR CNRS 8179).

(2) L'université catholique de Lille rassemble 6 facultés, 20 grandes écoles, écoles et instituts, 30 équipes de recherche, un groupe hospitalier de 700 lits et un institut de rééducation psychothérapeutique.

(3) Les établissements adhérents de la bibliothèque universitaire Vauban : le groupe EDHEC, les facultés libres de droit, de sciences économiques et de gestion, de sciences humaines et sociales, la faculté de théologie, l'IESEG et l'ISEA (Institut supérieur d'expertise et d'audit).

L'IESEG School of Management en chiffres
En 2009 : • 1.700 étudiants • 260 étudiants en échange à l'étranger • 55 professeurs permanents, 150 professeurs vacataires, 50 visiting professors • 139 universités étrangères partenaires • 2.755 anciens.

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