Laurent Bigorgne : "Après la LRU, l'heure n'est plus aux grandes réformes mais à l'expérimentation"

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier et Camille Stromboni Publié le
Laurent Bigorgne : "Après la LRU, l'heure n'est plus aux grandes réformes mais à l'expérimentation"
Laurent Bigorgne // © 
Alors que l’Institut Montaigne est en train d'élaborer des propositions sur les suites à donner à la LRU ou sur le financement de l’enseignement supérieur, Laurent Bigorgne, son directeur, tire, dans un entretien avec EducPros, un bilan positif de la mise en œuvre de la LRU et des Initiatives d’avenir. Selon ce membre du comité de suivi de la loi LRU, les «grandes réformes» ne sont plus nécessaires, il faut maintenant laisser les universités autonomes prendre leurs décisions… notamment sur les sujets qui fâchent : la gouvernance, la carte des formations ou les droits d’inscription. Un plaidoyer pour l’expérimentation.

Quel bilan tirez-vous de la LRU ?

Le bilan est nécessairement positif. Personne de sérieux aujourd’hui ne recommande d’ailleurs de revenir sur ce texte. Ce n’est pas pour autant un texte qui résout tout. Il faut appeler les décideurs politiques à maintenir une démarche continue dans le temps. Par exemple, je serais très inquiet qu’après les élections, on décide de fusionner le ministère de l’Éducation nationale et celui de l’Enseignement supérieur. Ce serait une erreur tragique. À chaque fois que cela s’est produit, les crédits budgétaires de l’enseignement supérieur ont été sacrifiés au profit de ceux de l’éducation nationale. Il existe aujourd’hui un tel défi sur l’enseignement primaire pour le futur ministre de l’Éducation qu’il n’aura pas le temps d’être stratège pour l’enseignement supérieur, même flanqué de secrétaires d’État.


En quoi l’autonomie est-elle une bonne chose pour les universités ?

"L'Etat doit être stratège et pas tacticien"

Je ne défends pas l’autonomie au nom de l’idéologie, mais toutes les world class universities dans le monde sont autonomes. Leur destin est d’être entre les mains d’une communauté scientifique. Ces lieux de production de savoir ont besoin de temps, de continuité et d’indépendance vis-à-vis du pouvoir central. C’était déjà le cas à la naissance des grandes universités européennes comme Bologne ou Coïmbra. De même, regardez en Angleterre, on ne parlait pas il y a vingt ans de l’université de Warwick. Bien gérée, avec une politique affirmée, elle obtient aujourd’hui de grands succès. Preuve que l’autonomie porte ses fruits.


Face aux universités autonomes, l’État a-t-il encore un rôle à jouer ?

L’État n’a pas à dire aux scientifiques comment conduire leur recherche. Il doit fixer les grandes orientations, trouver des mécanismes d’incitation. Son rôle est d’être un stratège, surtout pas un tacticien, comme il l’a été par le passé à négocier chaque euro et chaque poste. On ne doit plus jamais retomber dans ces travers.


Le comité de suivi de la loi LRU, dont vous êtes membre, pointe une autonomie restée à mi-chemin pour les universités françaises. Que reste-t-il à faire ?

«Je suis convaincu que la carte des Idex est la bonne»

Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de grandes réformes. Les établissements doivent prendre des décisions eux-mêmes. Ils doivent même pouvoir décider de leurs cartes de formation ou choisir la composition de leurs conseils d’administration et la gouvernance qui leur est appropriée. Sur ces sujets, comme sur les autres, je suis partisan de l’expérimentation.

Reste la question du financement des universités. D’un côté, l’État doit continuer à faire de l’enseignement supérieur une priorité et y mettre les moyens, de l’autre il doit laisser les universités fixer leurs frais d’inscription. Le tarif national a vécu. Dans un premier temps, quatre ou cinq universités sélectionnées par appels d’offres – pourquoi pas les lauréats des Idex ? – pourraient moduler leurs tarifs, à condition de rester dans une certaine fourchette définie par l’État et de reverser une partie des sommes générées dans des aides sociales aux étudiants. Cela ne marchera que si chaque euro supplémentaire investi par l’étudiant lui apporte de nouveaux services et correspond à un euro supplémentaire investi par l’État.


Les universités ont-elles les moyens de prendre en main leur autonomie ?

Je ne nie pas la situation difficile d’un certain nombre d’établissements, mais la réponse est oui. Regardez comment d’autres administrations publiques se sont réformées.

Le grand emprunt va-t-il dans le même sens que la LRU ?

Les deux logiques sont complémentaires. Ce processus, organisé à la fois par le ministère et hors ministère avec le CGI [Commissariat général à l’investissement], a été mobilisateur, avec des résultats à la clé. Je suis convaincu que la carte des Idex est la bonne, même si cela crée nécessairement des déceptions. Nous avons besoin de cette émulation collective. À l’avenir aussi, la compétition via des jurys internationaux est une bonne initiative. Allons-y. Que chacun joue sa carte !


Que répondez-vous à ceux qui pensent que l’autonomie et le grand emprunt induisent un système d’enseignement supérieur à plusieurs vitesses ?

«Un pays qui n’aurait pas la capacité de concentrer des moyens sur des champions universitaires serait dans une situation difficile»

Je récuse totalement cette critique. Soyons lucides, notre système fonctionne déjà à plusieurs vitesses. Ces pôles d’excellence vont au contraire tirer notre enseignement supérieur vers le haut. Un pays qui n’aurait pas la capacité de concentrer des moyens sur des champions universitaires serait dans une situation difficile. L’ensemble des universités britanniques bénéficient des retombées de Cambridge et d’Oxford. Les diplômés de ces deux universités se retrouvent dans l’ensemble du système, les enseignants également, et leur recherche irrigue les autres établissements. C’est une dynamique dont on ne peut se passer, mais qui fonctionne à une condition : la fluidification du système. C’est le rôle de l’État. Les étudiants, la recherche, les enseignants doivent circuler entre les établissements. Il faut à tout prix empêcher les effets de rente.


Quel candidat vous apparaît le mieux placé pour défendre ces idées ?

Aucun ne remet en cause l’autonomie. La gauche et la droite ont pris conscience de l’importance de l’enseignement supérieur et de la recherche – il y a dix ans, le sujet n’intéressait personne ! Je dois reconnaître également que je suis admiratif du travail et des avancées obtenues depuis 2007, alors que le sujet avait peu réussi à l’actuelle majorité suite aux événements de 1968 et de 1986.

Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier et Camille Stromboni | Publié le