L. Métral (Audencia) : "Nous devons retrouver de la légitimité managériale"

Agnès Millet Publié le
L. Métral (Audencia) : "Nous devons retrouver de la légitimité managériale"
rea audencia // ©  Jean Claude MOSCHETTI/REA
L'école de commerce nantaise, Audencia, veut lancer une série d'actions pour rectifier sa culture managériale. Système de baronnie, égalité femme-homme mise à mal et cas de managers toxiques : autant de sujets sur la table après un audit. Il faisait suite à une série d'articles publiés par Médiacités. Laurent Métral, président du conseil d'administration de l'école, nous livre son constat et ses conclusions.

Après la publication d'une série d'articles par Médiacités dévoilant des dysfonctionnements managériaux au sein d'Audencia, à la rentrée 2022, l'école de commerce nantaise a mandaté le cabinet Sémaphores pour mener un audit et faire le point sur la culture managériale de l'école.

Selon Laurent Métral, président du CA d'Audencia, l'école avait déjà commencé à réfléchir à la révision de certaines pratiques managériales mais la crise sanitaire a "chamboulé" ce projet. Puis, après cette période difficile, le lancement d'un "grand plan stratégique ECOS 2025" a fini de mettre sous tension les équipes de l'école. Il fait le point pour EducPros sur la situation managériale et les actions que l'école prévoit de mettre en place pour sortir de cette crise.

Après la publication des articles de Médiacités, vous avez commandité un audit auprès d'un cabinet externe. Pourquoi ?

Très vite, nous avons en effet décidé de lancer un audit pour ne rien écarter des sujets soulevés et en estimer le poids réel. Cet audit devait se faire par des acteurs externes, étant donné les accusations de management toxique systémique qui serait conduit par la direction générale.

Laurent Metral Audencia
Laurent Metral Audencia © Photo fournie par le témoin

Mené au premier semestre 2023, il a mobilisé les collaborateurs : 43% ont répondu au questionnaire et 23% des salariés ont été reçus en entretien individuel.

Une participation qui montre un mal-être collectif ?

On peut le voir comme cela. Ou, comme moi, on peut estimer que c'est le signe d'une parole qui se libère mais aussi celui de l'engagement et de l'adhésion des collaborateurs pour l'école. En répondant, ils veulent faire avancer les choses.

Les conclusions de l'audit ont été présentées aux salariés d'Audencia, le 5 avril. Quels sont les enseignements selon vous ?

L'audit valide qu'il n'y a pas de situation de management toxique systémique, conduite par la direction générale. Il aurait pu y avoir une remise en cause de mon mandat ou de celui de Christophe Germain, mais on perçoit plutôt une confiance renouvelée - reste à voir s'il souhaitera postuler pour reconduire son mandat qui se termine fin juin. En revanche, il y a des cas individuels de management toxique. Il n'y aura pas de tolérance pour ces cas. Déjà identifiés, ils seront traités au cas par cas.

De plus, les collaborateurs ont l'image d'un top management qui manque d'union. Le comité de direction doit travailler en collectif et en transversalité. Peut-être un peu éloigné des réalités du quotidien, il doit se recentrer sur l'interne et l'existant opérationnel.

L'audit valide qu'il n'y a pas de situation de management toxique systémique, conduite par la direction générale.

Ainsi, Christophe Germain s'est peut-être un peu écarté du quotidien pour devenir notre ambassadeur en externe dans le chantier stratégique du renouvellement des accréditations. Sur ce point, il a fallu qu'on accepte de dire que l'on s'était peut-être trompés.

Autre résultat: il n'y a pas de management sexiste. Mais il y a un sujet de statuts entre le corps enseignant, plus masculin et les fonctions support, plus féminines. Certains professeurs pensent que tout doit tourner autour d'eux, qu'ils ont droit un bureau de 20 m², etc., parfois dans un système de baronnies, avec des pratiques managériales dépassées. Or, notre client final est l'étudiant et non le professeur.

Malgré des changements à la rentrée, le top management reste très masculin. Cette situation sera-t-elle traitée?

Nous sommes attentifs à ces questions. Mais on ne peut pas continuer à dire que notre système n'est pas sexiste si le top management restait masculin. À un moment donné, seul le résultat compte [NDLR : le comité de direction est aujourd'hui composé de 46% de femmes et 54% d’hommes, précise l'école].

Il n'y a pas de management sexiste. Mais, il y a un sujet de statuts entre le corps enseignant, plus masculin et les fonctions support, plus féminines.

Il faut réfléchir à notre plan de relève. Si l'on n'a pas assez de ressources internes pour nos postes stratégiques de demain, alors il faut adapter nos recrutements externes aujourd'hui. Et cela vaut aussi pour la diversité culturelle et le sujet du handicap.

D'ailleurs, tous les processus, notamment ceux liés aux carrières - promotions, rémunérations et primes - doivent être transparents.

L'audit montre-t-il une surcharge de travail dans les équipes ?

Face à la concurrence et dans notre volonté de développement, il est clair que nous avons voulu aller trop vite et sur trop de chantiers. Les collaborateurs souhaitent une meilleure priorisation des dossiers et une meilleure articulation entre opérationnel et stratégique, pour différencier l'urgent et le stratégique.

Et ce, alors que notre école n'avait pas encore achevé sa mue, d'établissement régional à une école au périmètre international. Cette transformation en cours doit être expliquée.

Audencia va renforcer son implantation parisienne, à Saint-Ouen, pour accueillir jusqu'à 2.000 étudiants en 2025. Percevez-vous de l'inquiétude des salariés face à ce développement ?

Le campus à Paris suscite des questionnements parmi les salariés. Certains se demandent si c'est la fin d'Audencia en tant qu'école nantaise. D'autres plus concrètement, se demandent s'ils vont devoir faire des allers-retours entre les deux villes...

Nous devons expliquer les raisons de ce projet : il y a une nécessité de nous développer. L'objectif n'est pas que Paris dépasse le site nantais. Mais nous pensons qu'Audencia doit être présent à Paris pour capter certains publics et développer certains programmes. C'est un incontournable de notre stratégie notamment pour notre développement budgétaire. Il nous faut aussi être vigilant et choisir nos projets car nous ne pouvons pas tout mener en même temps.

Typiquement, aujourd'hui, le projet immobilier est de nouveau en réflexion avec trois options : rester locataire du campus le Spot que nous occuperons à la rentrée 2023, devenir locataire du projet final Bauer box ou devenir propriétaire de ce site, comme initialement prévu.

Après ces constats et enseignements, quelles sont les prochaines étapes ?

Ce que l'on a vécu là restera dans notre histoire. C'est un moment de bascule, un rendez-vous crucial pour la continuité de l'école, pour ne pas perdre l'engagement et l'adhésion des collaborateurs. Il faut agir rapidement.

Dans les prochains jours, nous déciderons de l'opportunité ou non de choisir un cabinet pour nous accompagner dans la construction d'un plan d'actions concrètes et visibles, notamment sur l'axe du management.

Si oui, nous espérons le trouver d'ici mai pour travailler dès début juin. Ce plan sera soumis pour validation aux partenaires sociaux, du CSE – qui pourra l'enrichir - et des parties prenantes pour une mise en œuvre à partir de la rentrée 2023.

Le plan d'actions risque de mettre en cause certaines personnes, donc il est possible qu'il y ait des départs. Mais ce n'est pas le but, nous voulons embarquer le plus de monde possible.

Quelles sont les pistes d'actions que vous pressentez ? Avez-vous déjà identifié les projets prioritaires et ceux qui pourraient être suspendus pour alléger la charge ?

Déterminer quels sont les axes prioritaires, c'est tout le travail de réflexion que nous devons mener aujourd'hui, avec l'équipe de direction, en association avec les collaborateurs. Cependant, le plan d'actions basé sur l'audit est un élément incontournable. Notre feuille de route se compose de plusieurs éléments.

D’abord, retrouver de la légitimité managériale pour redonner de la confiance à l'ensemble du collectif. Nous devrons traiter les cas de management toxique.

Nous devons retrouver de la légitimité managériale pour redonner de la confiance à l'ensemble du collectif. Et traiter les cas de management toxique.

Plus généralement, il faut améliorer la qualité du management. Nous avons pu faire un amalgame et penser qu'un bon chercheur en management était un bon manager. C'est un peu le virage connu par tout type d'entreprise il y a quelques années : le bon technicien n'est pas forcément le bon manager. C'est l'idéal mais ce n'est pas toujours le cas. Les compétences ne sont pas toujours là et cela demande de l'accompagnement.

Il y a un paradoxe : comment une école de management peut souffrir de problèmes de management ?

Oui, nous devons aligner nos planètes et nous appliquer à nous-même - en tant qu'entreprise - ce que l'on enseigne. Nous devons trouver une organisation au fonctionnement plus agile, plus fluide, plus transversale et davantage par projet. Et ne pas rester dans une culture par silo, avec des managers qui ont parfois le sentiment d'avoir tout pouvoir dans leur domaine.

Notre orientation d'une école axée sur la RSE a d'ailleurs surement créé une plus forte attente en interne et en externe pour un management exemplaire.

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