Nomination de Patrick Hetzel au ministère de l’Enseignement supérieur, financement de la recherche, arrivée de trois nouveaux membres au sein de l’Udice (voir la liste des membres en encadré)… Michel Deneken, président de cette association d'universités de recherche et président de l'université de Strasbourg fait le point sur les prochains enjeux de l'Udice mais également des autres universités, dans un contexte budgétaire tendu.
Comment accueillez-vous la nomination de Patrick Hetzel à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur ? Quels sont vos attentes et vos points de vigilance ?
Au titre de l’Udice, nous sommes contents d’avoir un ministre de plein exercice, avec en plus une secrétaire d’État en charge de l’IA [Clara Chappaz]. Cela montre que c’est un ministre avec un poids politique et que la mobilisation de l’État sur l’IA inclura les universités de recherche.
Après, il met en musique une politique gouvernementale avec un budget compliqué à boucler, pour lequel on demande à tous les ministères de faire un effort, et le nôtre n’y échappera pas.
La question est de savoir si nous aurons beaucoup d’efforts à consentir ou si nous arriverons à sauver l’essentiel. Nous sommes extrêmement vigilants et nous savons qu’il y aura des difficultés, mais nous ne savons pas encore à quel niveau.
Sur quels aspects du budget êtes-vous particulièrement vigilants ?
Beaucoup d’universités sont en déficit, certaines pour la deuxième, voire la troisième année consécutive. Pour le moment, elles sont nombreuses à compenser en puisant dans le fonds de roulement. À un moment, ce fonds ne suffira plus.
Pour les universités d’Udice, une question déjà ancienne est la façon dont on calcule la subvention pour charges de service public. Actuellement, le socle de cette subvention se calcule essentiellement sur le nombre d’étudiants.
Or, nous savons que les universités - comme celles de l’Udice - avec de la recherche intensive et de la technologie de pointe nécessitent un financement proportionnellement plus fort que d’autres. Beaucoup ont du mal à l’entendre. Nos grandes universités sont aussi celles avec la masse salariale la plus importante : il faudrait prendre en compte ces deux spécificités dans le calcul.
Le PLF 2025 prévoit un budget contraint pour le supérieur, alors que 60 universités sur 71 pourraient être en déficit cette année, selon le Snesup-FSU. Comment les établissements peuvent-ils gérer cette situation ? Quel sera l’impact sur la recherche ?
Nous attendons de voir, mais pas besoin d’avoir la médaille Fields pour faire des soustractions. Si la baisse des budgets se concrétise, il faudra que chaque université réduise la voilure et voie ce dont elle doit cesser le financement.
Les efforts sont déjà soutenus, mais l’évaluation régulière de nos actions montre qu’on peut encore progresser, par exemple par la mutualisation des formations. Beaucoup d’universités ont des rapports Hcéres (Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur) qui pointent des difficultés à mutualiser, or c’est un axe de rationalisation des dépenses... Bien sûr, cela sera plus ou moins possible selon les établissements.
Mutualiser pour faire des économies mais aussi pour une meilleure qualité de vie au travail
Je pense par exemple à un bâtiment avec plusieurs écoles et facultés. Souvent, on hérite du passé, avec des équipes administratives séparées : les établissements ont chacun leur pôle comptable, leur pôle de scolarité… Nous pouvons les mutualiser, pour faire des économies, mais aussi pour une meilleure qualité de vie au travail.
Il s’agirait de mutualiser des services lorsque des emplois sont en doublon ? À quelles pistes pensez-vous ?
Oui, et je crois savoir que cela se fait dans beaucoup d’endroits. Très souvent, les évaluations pointent une pléthore de formations, avec de petits effectifs. Pourquoi ne pas en fermer ou mutualiser certaines ? La mise en place d'une nouvelle offre de formations est un très bon moment pour faire le point et lancer un nouveau plan quinquennal avec des objectifs de ce type.
Quand on ouvre des formations, il faut responsabiliser les collègues en leur disant : "nous sommes d’accord sur le caractère attractif et innovant d’une formation, mais voyons dans deux ans le taux d’ouverture et de réalisation". Si, au bout de quelques années, il y a trop peu de monde, il faut avoir le courage de dire qu'on ne continue pas.
Dans le PLF 2025, des moyens supplémentaires sont dédiés à la recherche, dans le cadre d’appels à projets. Le budget d’intervention de l’Agence nationale de la recherche (ANR) est ainsi porté à 1,4 milliard d’euros, en augmentation de 120 millions d’euros. Que pensez-vous de ce développement des appels à projets ?
Vous savez ce qui est dit : les gens sont fatigués de la culture de l’appel à projets, qui prend du temps au chercheur. Mais il ne faut pas cracher dans la soupe ! Ces contrats nous permettent d’avoir des financements que nous n’aurions pas par ailleurs.
Des appels à projets moins nombreux et mieux dotés induiraient le risque d’une université à deux vitesses
Qu’il faille rationaliser et modérer les appels à projets, je suis d’accord. Mais cela signifie des financements moindres ou alors des appels à projets moins nombreux et mieux dotés, ce qui induirait le risque d’une université à deux vitesses.
Il faut critiquer le système, mais il ne faut pas tuer la poule aux œufs d’or. Car on le voit bien, d’où viendrait l’argent par ailleurs ? La recherche de financements tiers avec des contrats privés représente une part marginale, moins de 10%.
Quels seraient les autres financements à développer pour la recherche ?
Il faut trouver des financements tiers. Mais culturellement en France, cela ne représentera jamais la moitié des budgets. Il y a notamment la formation continue à renforcer. En face, il y a une offre de formations privées qui se développe et qui peut être une concurrence dangereuse.
Je pense que nous n’avons pas encore assez exploré le volet marketing, pour aller chercher le client. Nous avons des formations moins connues et moins chères que des concurrents privés. Par exemple, nous avons de très bonnes formations continues dans la santé au sein de l’Udice : il faut les développer auprès des médecins et des soignants.
Trois nouveaux membres ont rejoint l’Udice en juin : l’université de Lorraine, l’université de Montpellier et l’Institut Polytechnique de Paris. Comment avez-vous choisi ces établissements ? L’alliance a-t-elle vocation à intégrer d’autres grandes écoles ?
C’est une question compliquée. Nous avons vocation à intégrer des établissements qui ont des écoles. Les universités ont des écoles internes ou associées, l'université PSL et l’IP Paris en sont des exemples types. Nous intégrons les écoles par ce biais-là.
Avec ces trois universités, nous avons un poids plus important que jusqu’à présent. Nous représentons 600.000 étudiants, soit 20% des étudiants français, 70% des études de santé, 40% des doctorants français et deux tiers des chercheurs "highly cited".
Nous participons à beaucoup de réunions, au même titre que France Universités, notamment au ministère. Nous sommes impliqués dans tous les grands projets annoncés par Emmanuel Macron le 7 décembre dernier, comme l’autonomie des universités. Nous serons toujours en avant-poste pour défendre plus d’autonomie, mais aussi une vraie capacité d’initiative avec les autres partenaires de la recherche que sont les organismes nationaux.
Sur quels critères choisissez-vous les établissements qui vous rejoignent ?
Ce sont des demandes : nous n’allons pas débaucher pour faire nombre. Cela se fait dans une discussion réciproque et la reconnaissance de points communs entre les dix premiers membres et les nouveaux partenaires.
L’IP Paris est intéressant car c’est un objet nouveau dans le paysage en France. Cet institut, sous la houlette de la présidence de Thierry Coulhon, veut s’inscrire totalement dans l’université. Cela est réjouissant pour nous, car jusqu’à maintenant, ces écoles étaient considérées comme hors paysage universitaire. Avec ce partenaire, nous faisons bouger les lignes d’une meilleure collaboration avec ces institutions.
Les universités de Lorraine et de Montpellier ont, quant à elles, un ratio chercheurs/enseignants qui parle de lui-même.
Quelles ont été les avancées permises par la création de l’Udice quant à la visibilité et le développement de la recherche en France ?
L’Udice est née d’un regroupement d’Idex [programmes d'investissement d'Initiative d'excellence], qui sont des universités de recherche intensive. Nous ne sommes pas un lobby à côté, en dessous ou au-dessus de France Universités. Nous regroupons des universités ayant des spécificités en commun, ce qui nous permet d’être des interlocuteurs dans le paysage de l’enseignement supérieur français.
Ce que nous représentons en termes de recherche nous distingue des autres universités. Ce n’est pas un jugement de valeur ; il ne s’agit pas d’inégalité, mais de différence. Nous essayons de montrer notre capacité à expérimenter, à être pionniers sur un certain nombre de chantiers et à avoir une capacité de pilotage, notamment parce que nous avons de grandes universités en termes de nombre d’étudiants.
Ce que nous représentons en termes de recherche nous distingue des autres universités.
Nous avons aussi été moteurs de l'acte II de l'autonomie des universités et de la LPR (La loi de programmation de la recherche). Nous avons une vision de l’université qui se fonde sur l’autonomie tout en étant un service public ; nous souscrivons donc aux missions que l’État nous impose.
Il y a également une dimension internationale, car nous avons un lien très fort avec nos homologues étrangers, qu’il s’agisse d’universités ou d’organismes de recherche. Nous ne servons pas seulement nos universités, mais l’enseignement supérieur français en général. Nous échangeons avec le U15 allemand, le U15 du Canada, le U11 du Japon, et le U8 Australie, qui sont des regroupements du même type que le nôtre.
Quels sont les liens et les projets menés avec ces universités internationales ?
Nous avons souvent des réunions ponctuelles, mais nous cherchons à nous inscrire davantage dans la durée, en instaurant un dialogue régulier. Quelles que soient les différences, les universités qui appartiennent à ces alliances se retrouvent sur les mêmes problématiques, et c’est une force. Notre préoccupation commune, c’est d’avoir une recherche compétitive, qui permette à notre pays de rester au niveau d’ambition qui est le nôtre.
Nous pensons que l’Udice peut porter des axes majeurs dans la recherche, au niveau européen. Pour la politique de recherche européenne, il y a l’EUA (European University Association) et les EUR (Ecoles universitaires de recherche) mais nous voulons être également présents à la Commission européenne, notamment concernant le financement qui sera mis en place pour la recherche.
Si nous cumulons les ERC (projets de recherche de l’European Research Council) de l’Udice, nous sommes crédibles dans la négociation européenne. Par exemple, l’université de Strasbourg a moitié chercheurs, moitié enseignants, et l’université de Montpellier a 60% de chercheurs.
Quels sujets de recherche portez-vous pour la France à l’international ?
Nous représentons 70% de la formation et de la recherche dans le domaine de la santé. Ces recherches ne concernent pas uniquement le médical, mais également les médicaments, les politiques de santé publique… Ce sont des sujets qui sont mieux portés par des universités qui ont des CHU et des équipes pluridisciplinaires comme les nôtres.
Nous sommes aussi sur les sujets concernant l’intelligence artificielle. Mais également sur la décarbonation, l’énergie, les matériaux…
Les 13 établissements membres de l’Udice :
Aix-Marseille Université,
Sorbonne Université,
Université Claude Bernard Lyon 1,
Université Côte d’Azur,
Université de Bordeaux,
Université Paris Cité,
Université de Strasbourg,
Grenoble Alpes,
Université Paris Saclay,
Université Paris Sciences et Lettres,
Université de Lorraine,
Université de Montpellier,
Institut Polytechnique de Paris.