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M. Sellam (Ionis) : "On ne vient plus en classe pour écouter un enseignant mais pour travailler avec un enseignant"

Ariane Despierres-Féry, Louis Caillier Publié le
M. Sellam (Ionis) : "On ne vient plus en classe pour écouter un enseignant mais pour travailler avec un enseignant"
Marc Sellam, PDG et fondateur du groupe Ionis, répond aux questions d'EducPros. // ©  Ionis
Avec 28 écoles, Ionis Education Group poursuit son développement pour s’adapter aux enjeux de demain et aux nouvelles pratiques des étudiants. Marc Sellam, PDG fondateur de ce groupe indépendant de l’enseignement supérieur privé, revient sur ses évolutions et ses projets, pour EducPros.

C’est une année particulière pour le groupe Ionis avec les anniversaires de trois écoles, 20 ans de SupBiotech, 40 ans d’Epita et 25 ans d’Epitech. Comment s'est créé et structuré le groupe ? 

Ingénieur de formation, je suis rentré presque par accident dans l’enseignement supérieur. Je l’ai fait en créant une école de commerce, l’Iseg, en 1980.

Puis, en 1994, j’ai repris Epita. L’école avait été créée dix ans plus tôt et connaissait des difficultés de gestion. Mais avait un projet formidable : former des hauts diplômés en informatique en mettant l’étudiant au centre de sa formation. L’école était ouverte 24h/24, les étudiants travaillaient sur des projets communs et intégraient rapidement les entreprises. Nous avons redressé l’école et été chercher l’accréditation CTI (commission des titres d'ingénieur) pour délivrer le titre d’ingénieur. Aujourd’hui Epita représente 3.000 élèves-ingénieurs dans cinq villes de France. 

Puis, nous avons créé Epitech en 1999. C’est une école basée uniquement sur des projets, sur des travaux étudiants, avec un suivi par des tuteurs, et des enseignants plus pragmatiques. Epitech a aujourd’hui 25 ans, forme 5.000 étudiants et est présente dans 15 villes de France, ainsi qu’à Barcelone, Madrid, Bruxelles et Berlin.  

Et puis, je me suis intéressé à un autre univers peu exploré, les biotechnologies. C’est ainsi que nous avons créé l’école d’ingénieurs Supbiotech en 2004, qui fête ses 20 ans.  

Notre force, c’est d’être au plus près du quotidien de l’étudiant. Notre longévité tient aussi à notre modèle de groupe indépendant familial qui nourrit une vision de long terme, investit pour le bénéfice de ses étudiants et n’a pas uniquement le regard tourné vers la rentabilité. On voit que ce modèle fonctionne.

Autre mouvement stratégique cette année chez Ionis, votre école de communication l’Iseg change de nom pour devenir Isegcom. Pourquoi cette évolution ?  

Avec l’Iseg, on est passé par toutes les transformations possibles depuis que je l’ai créée il y a 44 ans. D’abord école de business, puis de finance.

Depuis une dizaine d’années, elle forme à la communication, mais elle est encore trop souvent perçue comme école de commerce. Nous avons souhaité mettre en avant son rôle premier : celui de former aux métiers de la communication, tous les métiers de la communication. Pour cela nous tirons profit des synergies avec les autres écoles du groupe pour donner une dominante aux parcours en création (avec e-art sup), technologie (avec Epitech), business et entrepreneuriat (avec l’ISG). 

Votre groupe se développe depuis 40 ans. Comment analysez-vous la concurrence accrue dans le supérieur et notamment entre groupes privés alors que le secteur se consolide ?

A l’époque où nous avons créé Ionis, personne ne s’intéressait aux écoles privées. L’arrivée des fonds d'investissement les as rendues visibles. Les fonds s’y intéressent pour faire de la rentabilité.

Dans un contexte concurrentiel où le supérieur privé est structuré autour de fonds, la force de Ionis est d’être le seul groupe autonome avec en ligne de mire la formation de nos étudiants. On ne demande pas uniquement des ratios à nos collaborateurs et à nos directeurs. 

Notre longévité nous la tenons de notre modèle de groupe indépendant familial qui nourrit une vision de long terme

Les fonds perturbent le marché et, en un certain sens, aussi ils le nettoient. Je pense que le projet de label du supérieur privé lucratif est une bonne chose. Il faut des repères, que les gens s’y retrouvent dans l’offre du privé.

Ionis a construit une offre de formations de qualité, gradée et reconnue par l’Etat, avec quatre écoles d’ingénieurs CTI (SupBiotech, Esme, Epita et Ipsa), une école de commerce avec un grande master (l’ISG). Quand l’Ecole polytechnique s’associe à Epita pour créer un bachelor en cybersécurité, c’est une reconnaissance et une complémentarité qui font sens.  

De nombreuses écoles ont fait le choix de l’apprentissage, pourquoi pas vous ?

Je suis assez réservé sur l’apprentissage de manière massive. D’abord pour des raisons pédagogiques : l’apprentissage, c’est apprendre pour faire. Mais, en même temps, on ne forme pas réellement. D’un côté, les entreprises tirent pour avoir des étudiants la majorité du temps et de l’autre, les étudiants sont dans leur tête d’abord des salariés.

Où est la formation dans ce contexte ? Cette inversion des identités va coûter cher à un certain nombre d’écoles privées. Il faut faire de l’apprentissage avec parcimonie. Car l’école, c’est ce lieu où l’on se muscle le cerveau.  

Autre chose qui fait le plus de mal, c’est qu’obtenir une reconnaissance de l’Etat est quelque chose de très exigeant, qui n'est pas à la portée de tous. Or, le développement rapide de l’apprentissage s’est couplé à une multiplication de formations inscrites au RNCP sans diplôme, donc plus facile à obtenir. Elles ont fait exploser le système de l’apprentissage et créent la confusion dans l’esprit des parents. 

Il faut faire de l’apprentissage avec parcimonie

Avant, on payait pour préparer un diplôme. Aujourd’hui, avec l’apprentissage, beaucoup de formations sont devenues quasi gratuites. Cela a permis à de nombreux jeunes d’accéder à ces formations. Mais le revers de la médaille, c’est le prix des mesures de soutien et le développement d’une jungle des formations.

En outre, l’apprentissage a profité à des profils qui n’en avaient pas besoin car ils ont déjà une très bonne insertion professionnelle - les bac+5 -, là où les BTS et BUT en ont plus besoin. 

Les synergies entre écoles sont un des marqueurs du groupe, cette année vous annoncez de nouveaux cursus entre l’Esme et l’Ipsa, dans quel but ?  

L’objectif est d’associer l’expertise de l’Esme dans le domaine technologique et de l’Ipsa dans le domaine de l’aéronautique au profit de nos étudiants. A l’issue de leurs formations, nos élèves en bachelor obtiendront un certificat de spécialisation complémentaire. 

Un des piliers du groupe est la transversalité, mélanger nos expertises business, tech, de l’innovation, de la biotechnologie, de l'aéronautique, de la création

Un des piliers du groupe est la transversalité : mélanger nos expertises business, tech, de l’innovation, de la biotechnologie, de l'aéronautique, de la création, en faisant travailler les élèves de nos différentes écoles dans nos fablab.

Ils peuvent aussi suivre des cours d’ouverture dans d’autres écoles pour enrichir leur formation. L’important c’est que l’étudiant côtoie d’autres profils et univers pendant ses études, et se crée une culture du réseau.

Ces synergies se matérialisent sur des campus partagés ?

Oui, par exemple à Toulouse, on vient d’inaugurer un nouveau campus qui regroupe l'Epita, l’ISG et l’Ipsa. A Lille, le nouveau campus compte l’Esme et l’ISG. A la rentrée prochaine, le nouveau campus de Bordeaux regroupera l’ISG et l’Esme et celui de Rennes accueillera l'Epita et l'Epitech.

En quatre ans, ce sont près de 50.000 mètres carrés qui sont sortis de terre. Et ce n’est pas pour remplacer de l’existant, à l’image du campus à Lyon (18.000m²) qui mélange du business, de la tech, de l’aéronautique et de l’ingénierie et qui doit être inauguré en octobre 2025.  

Vous portez l'envie de créer un esprit de groupe Ionis. Est-ce que vos étudiants en sont conscients ?

Il a fallu du temps, mais aujourd’hui, cela fonctionne. Cette année, on lance les Ionis Goodwills, qui récompensent 20 projets d’étudiants du groupe à hauteur de 3.000 euros chacun.

Autre exemple : depuis 10 ans des étudiants de 3e année de l’ISEGCOM, e-artsup et Epitech travaillent ensemble durant une "Project week" avec des professionnels du marketing et de la tech sur les projets réels d’entreprises comme Adidas, Nike, JC Decaux ou Sony Music.  

Cours en distanciel, montée en puissance des IA : qu’est-ce que cela vous inspire ?

Avec l’IA, le savoir revient sur le devant de la scène. On a besoin d’une autre logique. Être au milieu d’une école pour réfléchir, s’exprimer, savoir écrire, créer, synthétiser, avoir un avis et ne pas se laisser enfermer dans la facilité.  

Avec l’IA, le savoir revient sur le devant de la scène. On a besoin d’une autre logique.

Désormais, l’étudiant est dispersé technologiquement. On ne fait plus un cours comme avant : il faut capter l'attention, en arrêtant la répétition, en étant exigeant, en le mettant dans l’action car l'étudiant est dans le faire. On doit le surprendre et adapter notre pédagogie.  

Aujourd’hui, on ne vient plus en classe pour écouter un enseignant mais pour travailler avec un enseignant et avec les autres. Nos étudiants conçoivent leurs études comme un moment pour faire, sur le plan académique mais pour construire des projets et s'investir dans l'associatif.  

Quels sont les projets du groupe pour 2025 ?

La priorité est de développer notre offre d’executive education, pour être utile demain pour les cadres supérieurs et nos diplômés en les suivant tout au long de la vie, dans leurs changements de poste. Je suis persuadé qu’on a beaucoup à faire dans ce domaine en tant que groupe.  

Chacune des écoles va travailler son offre, aussi bien pour des formations courtes, longues que diplômantes. De manière à proposer localement nos formations dans les 20 villes où nous sommes présents. Il y a notamment une demande très forte avec la révolution de l’IA qui va toucher les métiers de demain. 

Ariane Despierres-Féry, Louis Caillier | Publié le