Marc Mézard (ENS Ulm) : "Nous souhaitons insuffler l’esprit d’innovation à nos étudiants"

Sophie de Tarlé Publié le
Marc Mézard (ENS Ulm) : "Nous souhaitons insuffler l’esprit d’innovation à nos étudiants"
Marc Mézard, directeur de l'ENS-Ulm ©SdeTarlé // © 
À la tête de l’École normale supérieure depuis avril 2012, le physicien Marc Mézard, 57 ans, a succédé à Monique Canto-Sperber. Sa feuille de route ? Développer l’innovation dans l’école, et faire connaître l’établissement au-delà des cercles restreints de chercheurs, notamment à l’étranger.

L’ENS [École normale supérieure] a-t-elle encore sa place parmi les meilleurs établissements mondiaux ?

Au classement de Shanghai, elle fait partie des trois premiers établissements français classés [à la 71e place derrière l’UPMC et Paris-Sud, ndlr]. Ce qui est une performance eu égard à notre taille relativement petite  – 2.200 étudiants seulement, en incluant les doctorants. Cette taille fait aussi notre force, car nous pouvons offrir un accompagnement individualisé et un enseignement à la carte, avec à la fois des cours "maison" et à l’université, tant scientifiques que littéraires, selon la tradition de l’école, et une véritable immersion dans nos unités de recherche.

L’ENS fait partie des membres fondateurs de PSL [Paris sciences et lettres], formé de 13 établissements. Ce regroupement est-il toujours actif ?

Plus que jamais. PSL possède une bonne dynamique et prend de l’ampleur. Nous y développons des projets de recherche communs ambitieux. Et à l’automne, nous lançons un ITI [Institut de technologie et d’innovation] avec trois membres de PSL, Chimie ParisTech, l'ESPCI ParisTech et les Mines ParisTech, ainsi qu'avec la participation de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, l’université Paris Dauphine et l’Institut Curie.

Dans ce cadre, nous proposerons aux étudiants une année prédoctorale, dédiée à l’innovation et la création d’entreprise. Les étudiants de toutes les écoles membres pourront s’y inscrire. À l’ENS par exemple, ce sera en quatrième année. En plus de formations pluridisciplinaires, ils suivront, par exemple, des cours sur l'entreprise, l'innovation, l'économie et la propriété intellectuelle. Pour nos étudiants, l’idée est de leur faire comprendre que si, durant leur thèse ou dans leur recherche, ils ont une idée à développer, ils auront toutes les armes pour le faire. Nous souhaitons  insuffler l’esprit d’innovation à nos étudiants.

Tout le monde n'est pas fait pour passer des concours

Par ailleurs, le cycle CPES [cycle pluridisciplinaire d’études supérieures], développé en 2012 dans le cadre de PSL en partenariat avec le lycée Henri-IV, connaît un franc succès. À l’origine, le CPES d’Henri-IV consistait en une année zéro avant d’entrer en prépa. 

Aujourd’hui, cette formation pluridisciplinaire permet une spécialisation progressive sur trois ans dans l'une des trois filières choisies par l'étudiant (humanités, sciences sociales ou sciences). C’est un enseignement qui permet, par exemple, à des bacheliers S qui hésitent entre une voie scientifique ou littéraire de prendre leur temps avant de faire leur choix. Tout le monde n’est pas fait pour passer des concours. Ce cycle a attiré beaucoup de jeunes, puisque pour 60 places, 1.300 candidats se sont déclarés cette année sur APB, dont 350 en premier vœu.

L’école accueille surtout des enfants des classes favorisées. Que faites-vous pour élargir le recrutement ?

La particularité de l’ENS est d’accueillir en son sein, après deux ans de classes préparatoires, 200 étudiants littéraires et scientifiques. Bien que les études soient gratuites, et rémunérées, le concours est si sélectif que l’école n’admet en réalité que peu de boursiers. C’est pourquoi, nous avons mis en place en parallèle un système d’admission sur dossier pour des étudiants de deuxième ou troisième année de licence qui souhaiteraient intégrer l’ENS. Nous en admettons 120 chaque année. Ces étudiants n’ont pas le statut de fonctionnaire et ne sont pas rémunérés, mais suivent les cours et passent le diplôme de l’école. Ce sont des profils intéressants. Ainsi, Édouard Louis, phénomène littéraire de cette année avec En finir avec Eddy Bellegueule [Seuil], en est issu.

Nous souhaitons aussi recruter plus d’étudiants étrangers, car nous cherchons des profils d’excellence quelle que soit leur origine. Nous pensons que c’est un enrichissement pour nos étudiants. Nous les recrutons sur dossier, via une procédure de sélection spécifique. Aujourd’hui, 20% des étudiants de l’ENS sont étrangers.

En lettres, comment continuer à attirer de bons étudiants qui doivent suivre deux ans de classes préparatoires, alors que Sciences po Paris intègre les meilleurs élèves dès le bac ?

Pendant longtemps, les candidats recalés au concours de l’ENS [soit 95,4% des khâgnes !, ndlr] devaient obligatoirement aller à l’université. La création de la banque d’épreuves BEL a ouvert de nombreuses autres portes. En fonction de leurs résultats à l’écrit de l’ENS, les élèves de khâgne peuvent se présenter à l’oral d'HEC, de l’ESSEC, mais aussi postuler à Dauphine, au CELSA, etc.

Aujourd’hui, 25% des étudiants de khâgne obtiennent un concours. Ce qui permet à la classe préparatoire littéraire d’être beaucoup plus attractive, et d’attirer des étudiants qui, sans cela, seraient en effet tentés par une voie plus sécurisante comme une prépa HEC ou Sciences po. Mais évidemment, c’est encore trop peu comparé aux presque 100% d’élèves de maths spé qui obtiennent un concours.

Aujourd’hui, 25% des étudiants de khâgne obtiennent un concours

L’École polytechnique a décidé de faire rembourser les étudiants qui partent pantoufler dans le privé. Qu'en est-il à l’ENS ?

La Cour des comptes et le ministère de l’Enseignement supérieur nous ont demandé de réclamer les salaires perçus durant leurs études [1.494,30 € brut par mois durant quatre ans, ndlr] aux normaliens qui n’auraient pas rempli leur obligation de travailler dix ans pour l’État.

Jusqu’à présent, avant la loi sur l’autonomie, ils bénéficiaient d’une grande tolérance. Désormais, nous demandons aux anciens élèves de déclarer leur situation chaque année. Mais ils n’ont en réalité qu’à travailler six ans pour l’État, car les quatre années d’études comptent. D’ailleurs, ceux qui partent vers le privé sont une minorité : à la sortie, 65% de nos élèves deviennent enseignants-chercheurs, 10 à 15% enseignent au lycée ou en prépa, 10% vont dans la haute administration, et seuls 10% vont dans le privé.

Concernant la formation, alors que la plupart des établissements d'enseignement supérieur se tournent vers le numérique, avez-vous développé des MOOC ?

Nous les appelons des FLOT (Formations en ligne ouverte à tous). Nous avons développé ces cours à titre expérimental au niveau master, en maths, physique et philosophie. Nous les diffusons pour l’instant à travers la plate-forme de cours en ligne Coursera. Si le concept fonctionne, nous continuerons à en créer de nouveaux et nous en déposerons aussi sur la plate-forme FUN.

Nous développons les FLOT sur la base du volontariat, mais déjà, de nombreux professeurs se montrent intéressés. C’est aussi une vitrine pour l’école et pour eux à l’international. Le cours sur la théorie de Galois, par exemple, d’Olivier Debarre et Yvles Laszlo, est suivi par 3.000 étudiants sur Coursera, alors qu’en temps normal, seuls 20 étudiants le suivaient à l’école.

L’ENS Ulm en bref
Création 
: 1794.
Directeur
 : Marc Mézard.
Nombre d’étudiants
 : 2.200, dont 900 élèves normaliens ayant le statut de fonctionnaire stagiaire, rémunérés.
Admission 
: bac+2 ou bac+3
Formation 
: 14 départements d’enseignement et de recherche littéraires et scientifiques.
Anciens célèbres :
Louis Pasteur, Jean-Paul Sartre, Bernard-Henri Lévy,  Laurent Lafforgue  et Cedric Villani.
Palmarès 
: 13 prix Nobel et 10 médailles Fields.
Sophie de Tarlé | Publié le