Max Anghilante (Iffres) : "Même si on observe une légère croissance du mécénat pour l'enseignement supérieur, il reste anecdotique"

Cécile Peltier Publié le
L'Iffres (Institut français fondations recherche enseignement supérieur) tenait colloque les 15 et 16 novembre 2012 dans les locaux du Cnam. Malgré un programme accrocheur - « La crise, une opportunité pour les fondations de recherche et de l'enseignement supérieur ? » - les congressistes ne se sont pas bousculés. Interview de Max Anghilante et Jean-Louis Lacombe, respectivement président et vice président de l'association, sur les difficultés de ce type de mécénat en France.

Quel est l'impact réel de la crise sur le mécénat de l'enseignement supérieur et de la recherche ?

Max Anghilante : En cette période de crise, les entreprises qui connaissent une raréfaction de leurs ressources, ont tendance à diminuer le montant de leurs dons, en particulier pour l'enseignement supérieur et la recherche. J'ai pu l'observer sur le terrain dans mon activité de consultant, y compris dans le domaine de la santé, pourtant considéré comme le mieux loti. Et ce d'autant qu'elles sont de plus en plus sollicitées par les établissements. Depuis 2005, dans l'enseignement supérieur et la recherche, près de 400 fondations (tous statuts confondus) et fonds de dotation ont vu le jour. En 2005, j'ai monté la fondation de recherche, Cœur et Artères. A l'époque, nous étions parvenus à lever 5 millions d'euros en trois mois. Aujourd'hui, une fondation d'utilité publique comme celle-là récolte difficilement quelques dizaines de milliers d'euros à son lancement.

Dans ces conditions, pourquoi avoir choisi ce titre un brin provocateur : « La crise : une opportunité pour les fondations de l'enseignement supérieur et de la recherche ? »

Max Anghilante : Nous sommes partis du constat que les fondations ont effectivement du mal à lever des fonds. Nous pourrions nous contenter de nous en tenir à ce niveau de réflexion, en proposant des réponses pratiques du type : «Comment effectuer une bonne levée de fonds ? etc. ». Nous pensons qu'il est plus intéressant de prendre le contre-pied en estimant qu'au contraire, la crise est une période de changement dont il faut profiter pour faire bouger les lignes. Et pousser l'enseignement supérieur et la recherche d'un côté, et les entreprises de l'autre à créer des passerelles pour trouver ensemble les moyens de la surmonter.

La faible participation au colloque de l'Iffres, et ce malgré un gros effort en matière de communication, ne plaide pas pour en votre faveur ...

Max Anghilante : Pour commencer, je ne voudrais pas que ces considérations pessimistes n'occultent un constat positif essentiel : l'intérêt des intervenants et des présentations, la richesse des débats qui justifient pleinement l'organisation ces journées. Néanmoins, c'est un fait, la cuvée 2012 est révélatrice du contexte économique morose : plus que la baisse de la fréquentation - moins 20 % par rapport à 2011 - c'est l'attitude même des participants qui interroge. La première année, les congressistes restaient les deux jours. Cette année, ils assistent à une ou deux conférences et s'en vont. « C'est la crise. Nous sommes confrontés à l'immédiateté opérationnelle, à l'urgence quotidienne » : c'est la réponse qui remonte de notre réseau. Du côté du monde académique, ce message est complété en substance par le suivant : « le mécénat ? Mais, pour nous ce n'est pas un sujet, puisque nous avons les Investissements d'avenir, les Labex, les Assises etc. » Pour caricaturer: « Pourquoi aller chercher des ressources privées puisque la gauche est revenue au pouvoir ? Nous avons face à nous un Etat que nous parviendrons à faire fléchir. »

Jean-Louis Lacombe : C'est terrible de voir à quel point en période de crise les structures mentales sont figées, comme s'il suffisait de regarder ses pieds pour en sortir. D'un côté, l'entreprise s'enferme dans une logique court-termiste de productivité, tandis que l'enseignement supérieur et la recherche sont nostalgiques d'un tout-Etat. Mais l'avenir fera sans doute une place à nos réflexions, la crise est partie pour durer et forcera les entreprises et le monde académique à exploiter leurs synergies potentielles.

L'entreprise s'enferme dans une logique court-termiste de productivité, tandis que l'enseignement supérieur et la recherche sont nostalgiques d'un tout-Etat

Pourquoi parler d' « opportunité » ? Le mécénat dans l'enseignement supérieur et la recherche aujourd'hui est-il à ce point dans l'impasse ?

Max Anghilante : Les fondations ont été créées entre 2004 et 2008 sous l'impulsion de l'Etat, avec l'idée de rapprocher l'enseignement supérieur et la recherche avec le monde économique, avec un objectif : développer le mécénat et le partenariat. Or, même si on observe une légère croissance du mécénat d'entreprise pour la recherche et l'enseignement supérieur, il reste anecdotique. On l'évalue autour de 200 millions d'euros par an, soit à peine 10 % du mécénat d'entreprise en France.

Mises à part les fondations de quelques grandes écoles (type HEC ou Polytechnique), créées de longue date et qui tirent une bonne partie de leurs dons des alumni, le volume du mécénat d'entreprises n'a pas évolué en proportion du nombre de nouvelles fondations. Il est par ailleurs souvent difficile de parler vraiment de mécénat, souvent confondu avec le sponsoring. Les entreprises mécènes attendent très souvent une contrepartie qui dépasse la simple tolérance fiscale en matière de communication (1). De nombreuses chaires établies sur la base du mécénat illustrent bien ce problème.

Quels freins empêchent aujourd'hui les fondations de lever des fonds plus importants ?

Max Anghilante : Je crois qu'au-delà du fait que chacun reste campé sur ses positions, il existe des erreurs de stratégie. Les nouvelles fondations qui se créent ne se donnent souvent pas les moyens financiers et humains d'atteindre les objectifs qu'elles se sont fixées. La gouvernance est souvent mal partagée avec une surreprésentation du monde académique ou savant. De même, au lieu de placer des managers expérimentés à la tête des fondations, les établissements ont tendance à opter pour des enseignants ou chercheurs qui s'acquitteront de ces activités sur leur temps de service restant. Mais la direction d'une fondation et le développement de la relation avec l'entreprise est un métier qui exige du temps et des compétences managériales !

Ils manquent aussi de patience. Les établissements qui créent des fondations pensent que le lendemain, il y aura de l'argent dans les caisses, mais cela ne fonctionne pas comme ça ! Même sans crise, le mécénat est le résultat d'un travail de long terme, permettant d'établir une relation de confiance.

Enfin, le succès d'une fondation suppose une démarche d'ouverture qui semble mal engagée aujourd'hui. Pour convaincre une entreprise de lui apporter des fonds, un président d'université doit prendre le temps de rencontrer des patrons et de leur ouvrir leur établissement. Or, très peu d'entre eux sont dans cette démarche.

Malgré ses bonnes intentions, l'Iffres a-t-il vraiment les moyens d'impulser le changement ?

Jean-Louis Lacombe : l'Iffres, créé il y a trois ans, est constitué d'un large réseau dont le cœur comprend une cinquantaine de membres sensibilisés à l'importance du mécénat. Mais ce n'est pas suffisant. Pour conforter notre représentativité, il en faudrait 200. C'est pour cela que nous appelons les fondations à nous rejoindre afin d'acquérir la taille critique suffisante pour convaincre les entreprises de contribuer à une réflexion globale.

Max Anghilante : Le ministère de l'Enseignement supérieur, à l'instar du ministère de la Culture qui possède une cellule mécénat, doit également s'emparer du sujet. Sur le modèle de celle en cours de rédaction au ministère de la Culture, nous sommes d'ailleurs en train d'écrire la charte du partenariat et du mécénat dans l'enseignement supérieur et la recherche que nous allons soumettre au cabinet de Geneviève Fioraso.


(1) Par nature, le mécénat n'appelle aucune contrepartie, mais une société qui fait un don à un établissement a droit à des prestations en communication égales au maximum à 25 % du montant de ce don.

Cécile Peltier | Publié le