Un ascenseur social à géographie variable

Isabelle Dautresme - Mis à jour le
Un ascenseur social à géographie variable
La Picardie est la région de France où l'ascenseur social fonctionne le moins bien pour les enfants des classes populaires. // ©  Nicolas Tavernier / R.E.A
D’un département à l’autre, les chances d’ascension sociale des enfants d’origine populaire varient du simple au double, d'après une étude de France Stratégie. À l'occasion de la semaine des Cordées de la réussite, Clément Dherbécourt, auteur de l'étude, dresse des pistes pour dépasser ces barrières géographiques.

Clément Dherbécourt _ France StratégieDans une étude intitulée "Géographie de l'ascension sociale", vous montrez que les chances de mobilité des enfants d'ouvriers et d'employés varient du simple au double selon leur département d'origine. Comment expliquez-vous cela ?

Toutes les régions, en effet, n'offrent pas les mêmes chances d'ascension sociale aux enfants de milieux populaires. Et ces différences sont moins la conséquence de l'environnement économique local que de l'inégal accès à l'éducation selon leur département de naissance. Les inégalités apparaissent dès le collège et le lycée puis se poursuivent dans l'enseignement supérieur.

Dans certaines régions, comme en Île-de-France, Bretagne ou Midi-Pyrénées, par exemple, il est beaucoup plus facile pour les enfants de classes populaires de décrocher un bac général que dans d'autres. Ce qui s'explique en partie par des différences de structure de l'offre d'éducation.

On constate ainsi que là où il y a beaucoup d'élèves en lycées professionnels, comme en Picardie-Nord-Pas-de-Calais, l'ascenseur social fonctionne moins bien. La taille de la population étudiante a également un effet positif.

Les enfants d'ouvriers et d'employés ont-ils moins profité de la massification de l'enseignement supérieur que ceux issus de milieux plus favorisés ?

Au niveau national, la massification de l'enseignement supérieur a permis aux enfants d'ouvriers et d'employés d'accéder à des positions sociales supérieures à celles de leurs parents.

Mais les écarts entre les régions défavorisées et favorisées se sont maintenus. La région Île-de-France est celle où l'ascenseur social fonctionne le mieux et la Picardie, le moins bien.

Que faudrait-il faire pour augmenter les chances de mobilité ascendante dans les territoires défavorisés ?

L'ascenseur social ne pourra y fonctionner qu'à condition que soit mis en place une politique volontariste. Il faudrait, par exemple, construire des logements sociaux dans les régions les plus dynamiques, de façon à y attirer les familles populaires. Les aides à la mobilité étudiante doivent également être plus conséquentes.

Aujourd'hui, les régions se contentent le plus souvent de prendre en charge une partie du budget de transport des étudiants. Mais cela n'est qu'une infime partie de ce que cela coûte réellement d'être étudiant. Il faut aller beaucoup plus loin, en revoyant le montant des bourses et en proposant davantage de logements étudiants. Tout ceci implique un investissement beaucoup plus important de la part des régions et de l'État.

Il faut passer d'un modèle où l'offre scolaire est pensée à partir du territoire local, à un modèle centré sur la réussite de l'individu.

Élargir l'offre d'enseignement supérieur dans les régions les moins bien dotées, cela suffira-t-il à réduire les inégalités ?

Le fait de développer l'offre d'enseignement supérieur dans les régions les moins favorisées ne garantit pas que les jeunes issus de classes populaires en profitent. Pour cela, il faut en outre, généraliser et développer les systèmes de quotas et de places réservées pour les individus issus de milieux défavorisés. Nous sommes par exemple favorables au fait que les 10% des meilleurs bacheliers de chaque lycée se voient proposer, s'ils le souhaitent, une place en filière sélective.

Vous parlez également de la nécessité de renforcer la coopération entre académies...

Lutter contre l'immobilité sociale et géographique passe en effet par une plus grande coopération des services académiques au sein d'une même région. Aujourd'hui, nous sommes toujours dans une logique de gestion des flux d'étudiants au niveau du département.

On en a l'illustration avec le portail APB, où la priorité est accordée aux jeunes du secteur. Ces barrières académiques à l'entrée dans l'enseignement supérieur constituent un frein à la réduction des inégalités entre territoires.

La région Île-de-France, qui est la plus dynamique, doit s'ouvrir aux régions limitrophes. On pourrait imaginer, par exemple, que les établissements d'enseignement supérieur franciliens réservent des places pour les étudiants défavorisés des régions périphériques. Les académies du Nord de la France ne pourront de toute façon pas absorber seules la massification en cours. Il faut passer d'un modèle où l'offre scolaire est pensée à partir du territoire local, à un modèle centré sur la réussite de l'individu.

Isabelle Dautresme | - Mis à jour le